Jean-Jacques Rousseau, né le à Genève et mort le à Ermenonville, est un écrivain, philosophe et musicien. Orphelin de mère très jeune, éduqué dans un milieu populaire, il mène une vie marquée par l'errance. Si ses ouvrages l'ont rendu célèbre dans toute l'Europe, ils lui valent aussi des conflits avec l'Église catholique et la République de Genève, ce qui l'oblige à souvent changer de résidence et alimente un sentiment de persécution de plus en plus aigu.
Passionné par la musique, Rousseau tente d'abord de se faire connaître en ce domaine. Il rencontre un réel succès avec Le Devin du village (1752), premier opéra-comique français. Son ami Diderot lui confie la responsabilité de la section de l'Encyclopédie consacrée à la musique. Dès lors associé par le public au mouvement philosophique des Lumières, il s'en démarque progressivement en affirmant l'importance du sentiment et de la sensibilité par opposition à la froide raison voltairienne. Loin de partager le matérialisme athée de Diderot, il affirme l'existence de Dieu en se fondant sur le sentiment et l'émotion en face du mystère de la nature, le sens inné du bien et du mal et l'aspiration à une transcendance. Il expose son credo dans La Profession de foi du vicaire savoyard.
Dès 1750, Rousseau commence à s'affirmer comme un penseur de premier plan avec le Discours sur les sciences et les arts. Sa pensée se précise et s'affermit avec le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755) puis Du contrat social (1762). Sa philosophie politique est bâtie autour de l'idée que l'Homme est naturellement bon et que la société le corrompt, les interactions avec les autres individus rendant les êtres humains « méchants » et conduisant inéluctablement à l'accroissement des inégalités. Pour établir une société juste et plus égalitaire, l'homme doit avoir recours à un contrat social et être gouverné par des lois découlant nécessairement de la « volonté générale » exprimée par le peuple. Ces lois ne sont pas universelles mais propres à chaque État et corps politique particulier, en fonction de son histoire et de ses coutumes. Rousseau est ainsi le premier à conférer la souveraineté au peuple, ce qui fait de lui un des penseurs de la démocratie (et notamment de la démocratie directe), même si, dans le domaine du pouvoir exécutif, il est favorable à une aristocratie élective mais non héréditaire.
Dans le domaine littéraire, Jean-Jacques connaît un énorme succès avec le roman épistolaire Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761), qui séduit ses lecteurs par sa peinture préromantique de la primauté du sentiment amoureux sur les différences de condition sociale et de revenu — poursuivant ainsi au moyen de la fiction sa lutte contre les inégalités. Convaincu de la perfectibilité de l'espèce humaine, il attache une importance fondamentale à l'éducation et propose un programme pédagogique détaillé dans Émile ou De l'éducation (1762), qui suit les grandes étapes de la croissance, depuis le berceau jusqu'à l'âge adulte. Cet ouvrage connaît lui aussi un énorme retentissement, mais l'aura de son auteur sera quelque peu ternie quand ses adversaires révéleront qu'il a mis aux Enfants-Trouvés les cinq enfants qu'il a eus avec Thérèse Levasseur, une servante d'auberge qu'il a finalement épousée après plus de trente ans de vie commune en marge des conventions sociales. En 1766, poursuivi par les autorités françaises et interdit de séjour à Genève et à Berne, il se réfugie durant plus d'un an en Angleterre, où il se met à écrire Les Confessions, qui seront publiées après sa mort. Un des premiers écrivains à rédiger une autobiographie, il retrace dans cet ouvrage son évolution intellectuelle et sa formation amoureuse sans hésiter à confesser même des actions dont il éprouve encore une brûlante honte. Sur la fin de sa vie, il exprime son amour de la nature dans Les Rêveries du promeneur solitaire tout en se livrant à une observation approfondie de ses sentiments intimes.
Dès sa mort, il devient l'objet d'un véritable culte, et sa tombe est assidûment visitée, tant par des visiteurs français que prussiens ou anglais. Lors de la Révolution, il devient une référence majeure en raison de ses idées sur la structure du lien social et la formation du sentiment national. Son corps est transféré au Panthéon en 1794.
Sa philosophie politique s'appuie sur des lectures étendues tant d'auteurs de l'Antiquité que de philosophes, de juristes et d'économistes contemporains, notamment Hobbes et surtout Locke. Il est toutefois critique à l'égard de ces deux derniers, car il estime que les systèmes politiques fondés sur l'interdépendance économique et l'intérêt conduisent à l'inégalité et à l'égoïsme généralisé.
Sa pensée a exercé une influence considérable sur la philosophie, la politique, l’éducation, le goût et les mœurs. Il est considéré comme le véritable fondateur de l'anthropologie car il a posé le problème du passage de la nature à la culture. Il a influencé profondément le mouvement républicain français ainsi que la philosophie de Kant. Il a marqué la littérature par sa prose remarquablement persuasive et son engagement en faveur de la subjectivité de l'auteur. Il s'est aussi imposé comme un être profondément sincère et fidèle à ses origines, revendiquant fièrement une totale autonomie par rapport au pouvoir.
Au XXe siècle, une controverse oppose ceux qui estiment que ses écrits ont inspiré les totalitarismes et ceux qui l'en exonèrent. Après avoir été longtemps une icône de la gauche française, Rousseau est maintenant adopté par une droite nostalgique des petites patries parfaitement homogènes, tout en continuant à inspirer de par le monde des intellectuels inquiets de la montée des inégalités.
Biographie
Famille et enfance
Baptême de Jean-Jacques Rousseau le à la cathédrale Saint-Pierre de Genève. Le prénom de son grand-père, David, est inscrit par erreur au lieu de celui de son père, Isaac.
La famille est originaire de Montlhéry[1], près d'Étampes, au sud de Paris[n 1]. Le quadrisaïeul (arrière-arrière-arrière-grand-père) de Jean-Jacques, Didier Rousseau (1530-1580/84), quitte cette ville pour fuir la persécution religieuse contre les protestants[2]. Il s'installe à Genève en 1549 où il ouvre une auberge[3]. Le petit-fils de ce dernier, Jean Rousseau (1606-1684), tout comme son fils David Rousseau (1641-1738), le grand-père de Rousseau, exercent le métier d'horloger, profession alors respectée et lucrative[4],[5],[6].
Jean-Jacques faisant la lecture à son père. (Maurice Leloir, 1889)
Jean-Jacques Rousseau est né le au domicile de ses parents situé dans la Grande rue de la boulangerie dans la ville haute de Genève. Il est le fils d'Isaac Rousseau (Genève, 1672 - Nyon, 1747), horloger comme son père et son grand-père, et de Suzanne Bernard (Genève, 1673 - Genève, 1712), elle-même fille d'un horloger nommé Jacques Bernard[7] et nièce — non pas fille comme l'affirment Les Confessions — d'un « Ministre », un pasteur de Genève qui l'avait adoptée et lui avait légué sa fortune[8]. Isaac et Suzanne se marient en 1704, après qu'une première union a réuni les deux familles, le frère de Suzanne, Gabriel Bernard, ayant épousé la sœur d'Isaac, Théodora Rousseau, en 1699. Un premier garçon, François, naît le , puis Isaac laisse femme et nouveau-né à Genève pour aller exercer son métier d'horloger à Constantinople[9]. Il y reste six ans et revient au foyer en 1711, le temps d'avoir un deuxième enfant avec sa femme, qui meurt de fièvre puerpérale le , neuf jours après la naissance de Jean-Jacques[10].
Jean-Jacques chez le pasteur Lambercier. Carte postale, 1912.
Jean-Jacques est d'abord élevé par son père et sa tante Suzon dans la maison où il est né. En 1717, en raison de problèmes d'argent, Isaac doit vendre la maison de la haute ville et déménager dans le faubourg de Saint-Gervais, le quartier populaire de la basse ville, qui avait une solide tradition de revendications sociales, appuyée sur des traités d'histoire et de politique[11]. Dès l'âge de sept ans, Jean-Jacques lisait à son père des livres puisés dans la bibliothèque familiale, tels Tacite, Plutarque et Grotius[12].
La Genève de cette époque est contrôlée par une petite classe d'aristocrates qui cherchent à étendre leur pouvoir en fomentant la division entre les artisans qui ont le statut de « citoyens » — dès son Premier Discours Jean-Jacques revendiquera ce titre avec fierté et affichera sa solidarité avec la classe des artisans[n 2] — et les « simples habitants » devenus majoritaires dans la population[13]. À la suite d'une altercation avec un compatriote, Isaac Rousseau se réfugie à Nyon dans le pays de Vaud, le , pour échapper à la justice[14]. Il ne reviendra jamais à Genève, mais conservera quelques contacts avec ses fils, notamment Jean-Jacques qui fait régulièrement le voyage à Nyon et à qui il communique sa passion pour les livres. Il confie sa progéniture à son beau-frère[n 3] Gabriel Bernard, un employé aux fortifications qui vit aussi dans le quartier de Saint-Gervais[16].
Celui-ci le met en pension, avec son cousin Abraham Bernard, chez le pasteur Lambercier à Bossey au pied du Salève, au sud de Genève. Jean-Jacques y passe deux ans (1722-1724)[17]. Il prend conscience de sa sexualité lorsque Mademoiselle Lambercier, sœur du pasteur, lui donne une fessée — un épisode dont il fait longuement le récit au début des Confessions (I, p. 11-13) et qui a souvent été analysé comme la source d'une pulsion sado-masochiste[18],[19]. Cette période heureuse prend fin lorsqu'on le soupçonne d'avoir brisé un peigne et qu'il est renvoyé chez son oncle, avec le durable sentiment d'avoir été accusé injustement[20].
Son oncle le place alors en apprentissage chez un greffier, puis, devant le manque de motivation de l'enfant, chez un maître graveur, Abel Ducommun. Le contrat d'apprentissage est signé le pour une durée de cinq ans. Jean-Jacques est confronté à un maître tyrannique et à une rude discipline[21]. En réaction, il se livre parfois, avec une bande de camarades, à de menus larcins qu'il justifie comme une sorte de « compensation ». En outre, mettant à profit son expertise, il grave des espèces de médailles pour lui et ses camarades, « devenant en quelque manière un chef de bande[22]. » Surtout, il se plonge dans la lecture dès que son maître a le dos tourné[23]. Après trois ans d'apprentissage, le , rentrant tardivement d'une promenade à l'extérieur de la ville et trouvant les portes de Genève fermées, il décide de fuir, par crainte d'être à nouveau battu par son maître, non sans avoir fait ses adieux à son cousin Abraham[24]. Il n'a pas seize ans.
Après quelques journées d'errance, il se réfugie par nécessité alimentaire auprès du curé de Confignon, Benoît de Pontverre. Celui-ci l'envoie chez une Vaudoise de Vevey, la baronne Françoise-Louise de Warens, femme blonde de vingt-huit ans récemment divorcée et convertie au catholicisme, fort cultivée et qui s'occupait des candidats à la conversion[25]. Rousseau se prend d'une grande affection pour celle qui deviendra sa tutrice. La baronne l'envoie à Turin à l'hospice des catéchumènes de Spirito Santo où il arrive le . Même s'il prétend dans ses Confessions avoir longuement résisté à sa conversion au catholicisme, il semble en fait s'en être accommodé assez vite et est baptisé le [26]. Il réside quelques mois à Turin en semi-oisif, vivotant grâce à quelques emplois de laquais-secrétaire et recevant conseils et subsides de la part d'aristocrates et d'abbés auxquels il inspire quelque compassion. C’est lors de son emploi auprès de la comtesse de Vercellis que survient l'épisode du vol d'un ruban appartenant à la nièce de celle-ci et dont il fait lâchement retomber la faute sur une jeune cuisinière, Marion, qui est, de ce fait, renvoyée[27],[sp 1].
Désespérant de pouvoir s'élever de sa condition, Rousseau décourage ses protecteurs et reprend, le cœur léger, le chemin d'Annecy pour aller retrouver la baronne de Warens en [28]. Adolescent timide et sensible, il est à la recherche d'une affection féminine qu'il trouve auprès de la baronne. Il est son « petit », il la nomme « Maman », et devient son factotum[29]. Il avoue dans les Confessions qu'il n'éprouvait pas de désir sexuel en face de Maman, mais qu'il s'adonnait au « supplément » du plaisir solitaire[sp 2],[30]. Comme il s'intéresse à la musique, elle l'encourage à se placer auprès d'un maître de chapelle, M. Le Maître, en . Mais lors d'un voyage à Lyon, Rousseau, affolé, abandonne en pleine rue Le Maître frappé d'une crise d'épilepsie[31]. Ne trouvant pas Mme de Warens, il erre ensuite une année en Suisse, puis il donne ses premières leçons de musique à Neuchâtel en . En , il rencontre à Boudry un faux archimandrite dont il devient l'interprète jusqu'à ce que l'escroc soit assez rapidement démasqué[32].
Rousseau et Madame de Larnage, lithographie de Paul Gavarni.
En , il retourne auprès de Mme de Warens, qui vit désormais à Chambéry. Il rencontre chez elle Claude Anet, sorte de valet-secrétaire, mais qui est aussi amant de la maîtresse de maison[33]. Mme de Warens est à l'origine d'une grande partie de son éducation sentimentale et amoureuse. Le ménage à trois fonctionne tant bien que mal jusqu'au décès de Claude Anet d'une pneumonie le [34]. « Maman » et Jean-Jacques s'installent pendant l'été et l'automne aux Charmettes[n 4]. Pendant ces quelques années, idylliques et insouciantes qu'évoquent Confessions, il s'adonne à la lecture en puisant dans l'importante bibliothèque de M. Joseph-François de Conzié avec laquelle il va se fabriquer « un magasin d'idées »[sp 3]. » Grand marcheur, il décrit aussi le bonheur d'être dans la nature, le plaisir lié à la flânerie et à la rêverie, au point d'être qualifié de dromomane[35]. Il travaille aux services administratifs du cadastre du duché de Savoie, puis comme maître de musique auprès des jeunes filles de la bourgeoisie et de la noblesse chambériennes. Mais sa santé est fragile. « Maman » l'envoie en consulter un professeur de Montpellier, le docteur Fizes, sur un présumé polype au cœur, dont le médecin estime qu'il s'agissait en fait d'un cas d'hypocondrie[36]. C'est au cours de ce voyage qu'il fait la connaissance de Madame de Larnage, âgée de vingt ans de plus que lui et mère de dix enfants, mais qui est sa véritable initiatrice à l'amour physique[37] et dont il évoque encore le souvenir avec émotion quarante ans plus tard[sp 4].
De retour à Chambéry en février 1738, il a la surprise de trouver auprès de Madame de Warens un nouveau converti et amant, Jean Samuel Rodolphe Wintzenried, âgé de 22 ans et qui répond mieux aux attentes de la dame[38]. En juillet 1738, il publie « une médiocre étude intitulée : Si le monde que nous habitons est une sphère? Résolution géométrique et astronomique », portant sur les disparités de longueur dans le calcul des méridiens[39]. Peu après, il écrit son premier recueil de poèmes : Le Verger de Madame la baronne de Warens, poésie grandiloquente éditée en 1739 à Lyon ou Grenoble[40]. Mais il s'ennuie et l'avoue à sa bienfaitrice, qui le fait engager comme précepteur chez M. de Mably à Lyon, où il arrive le [41].
Portrait de la Marquise de Broglie (1718-1777) en Sultana par Jean-Marc Nattier.
En devenant précepteur des deux fils du prévôt général de Lyon, Rousseau entre dans l'orbite de deux figures importantes des Lumières, car M. de Mably est le frère aîné de Gabriel Bonnot de Mably et d'Étienne Bonnot de Condillac qui se distingueront tous deux dans les lettres et la philosophie des sciences[42]. Précepteur sans aucune expérience ni autorité, Rousseau compose un Mémoire présenté à M. de Mably sur l'éducation de Monsieur son fils, où se trouvent déjà en germe certains des principes de l'Émile[43]. Ayant l'occasion de fréquenter la bonne société lyonnaise, il s'y gagne quelques amitiés, notamment celle de Charles Borde qui l'introduira dans la capitale. Chambéry est proche et il peut rendre quelques visites à « Maman », mais les liens sont distendus. Après une année difficile auprès de ses jeunes élèves, Rousseau s'accorde avec M. de Mably pour mettre fin au contrat et retourne auprès de Mme de Warens en mai 1741. Mais il n'y reste que quelques mois et retourne à Lyon où il rencontre l'intendant Pallu et est présenté au duc de Richelieu qui le convainc de tenter sa chance à Paris[44].
Jean-Jacques fait cependant retour auprès de Mme de Warens en janvier 1742. Il prépare alors son voyage vers la capitale en travaillant à un projet de notation musicale et à une comédie intitulée Narcisse. Arrivant à Paris en juillet, muni d'une lettre d'introduction auprès de M. de Boze, il est présenté à Réaumur, qui lui permet de soumettre à l'Académie des sciences un mémoire présentant son système de notation musicale qui propose le remplacement de la portée musicale par un système chiffré. Les académiciens ne sont pas convaincus par un projet qui ne leur semble pas nouveau, déjà inventé notamment par le père Souhaitty. Rousseau s'obstine, améliore son projet et le fera publier à ses frais, en 1743, sous le titre de Dissertation sur la musique moderne, sans rencontrer le succès espéré[45].
Il se lie d'une grande amitié avec Denis Diderot qu'il rencontre en septembre 1742[46]. Cette amitié fondée sur des goûts partagés en matière de musique, de théâtre et de littérature, est marquée par d'intenses discussions et ponctuée de parties d'échec que Rousseau gagne toujours[47]. Elle jouera un grand rôle dans leur cheminement intellectuel et durera une quinzaine d'années[n 5].
Le père Castel ayant expliqué à Jean-Jacques que « à Paris tout se fait par les femmes », il se met à fréquenter les salons de Madame de Besenval (dont la fille est la Marquise de Broglie) et de Madame Dupin, une des femmes les plus brillantes de Paris — qu'il tente vainement de séduire. Celle-ci lui confie durant une semaine l'éducation de son fils de 13 ansJacques-Armand Dupin de Chenonceaux, qui lui rend la vie impossible[48].
En , il commence la composition d'un ballet héroïque, Les Muses galantes, dont des extraits seront présentés à Venise en 1744[49],[n 6].
Secrétaire d'ambassade à Venise
Venise, Le Bucentaure retournant au Môle le jour de l'Ascension, par Canaletto (1728).
En juillet 1743, il est engagé comme secrétaire de Pierre-François, comte de Montaigu, qui vient d'être nommé ambassadeur à Venise. Sa connaissance de l'italien et son zèle le rendent indispensable auprès d'un ambassadeur incompétent qui ne parle ni italien ni vénitien et qui écrit mal — un problème majeur dans une république où la plupart des communications officielles doivent se faire par écrit[50],[51]. Il apprécie la vie animée de Venise avec ses spectacles, la musique italienne et ses filles de joie — notamment l'enchanteresse Zulietta qui finit par lui conseiller d'étudier plutôt les mathématiques[sp 6]. Mais l'importance qu'il se donne le rend arrogant et insupportable à Montaigu, qui le congédie au bout d'un an. Il est de retour à Paris le en éprouvant le sentiment d'avoir été humilié par l'ambassadeur[52]. Cette courte expérience lui a néanmoins permis d'observer le fonctionnement du régime vénitien et c'est à ce moment, alors qu'il a trente-et-un ans, que s'éveille son intérêt pour la politique et qu'il conçoit le projet d'un grand ouvrage qui s'intitulerait Les Institutions politiques mais qui deviendra le fameux Du contrat social. Il y travaille de temps à autre pendant plusieurs années tandis que son expérience de la subordination a ravivé ses sentiments démocratiques et fait germer le projet d'un Discours sur l'inégalité[53].
Amitiés et compagne à Paris
En 1745, il présente Condillac à Diderot et le trio décide de se rencontrer à déjeuner chaque semaine[n 7].
Il s'installe à l'hôtel Saint-Quentin, rue des Cordiers, où il se met en ménage avec une jeune lingère, Marie-Thérèse Levasseur[n 8]. Cette dernière lui apporte l'affection qui lui manque. Jean-Jacques doit alors soutenir non seulement Thérèse mais aussi sa famille assez envahissante[54]. Entre 1747 et 1752, Thérèse mettra au monde cinq enfants que Jean-Jacques fait placer aux Enfants-Trouvés, l'assistance publique de l'époque[55]. Il s'en justifiera en disant d'abord qu'il n'avait pas les moyens d'entretenir une famille[sp 7],[56]. Dans les Confessions, il se justifie en présentant cela comme « un acte de citoyen, de père, et d'admirateur de la République de Platon[sp 8] »[n 9]. Cette décision lui sera reprochée plus tard par Voltaire, alors qu'il se pose en pédagogue dans son livre Émile, et aussi par ceux qu'il appelle la « coterie holbachique » (l'entourage de D'Holbach, Grimm, Diderot…)[n 10].
Jean-Jacques est reçu par Louise Dupin en 1743. Ill. des Confessions.
Pour célébrer la victoire de Fontenoy (mai 1745), Rousseau est invité à contribuer à la création de la comédie-ballet les Fêtes de Ramire de Rameau, basée sur La Princesse de Navarre de Voltaire, mais sa contribution sera finalement ignorée[57]. Il gagne sa vie en exerçant les fonctions de secrétaire, puis de précepteur chez les Dupin de Francueil de 1745 à 1751 : il aide le mari à compiler un ouvrage de chimie et une critique de Montesquieu tandis qu'il aide Mme Dupin à rédiger divers essais teintés de féminisme, tout en fouillant dans des ouvrages d'histoire, d'ethnographie et de science politique[58]. Le cercle de ses fréquentations s'élargit en 1747 avec Louise d'Épinay[n 11], D'Alembert et Grimm. Pour divertir la compagnie du château de Chenonceau, il rédige une comédie en trois actes, L'engagement téméraire, jouée en 1748[59].
En 1747, Rousseau et Diderot envisagent de publier un journal satirique intitulé Le Persifleur, qu'ils rédigeraient à tour de rôle, et dans lequel ils rendraient compte de façon critique des ouvrages nouveaux[60], mais ce projet est abandonné quand Diderot et d’Alembert sont formellement invités à collaborer à l’Encyclopédie, dont ils deviennent les codirecteurs en octobre 1747[61].
Sa situation matérielle s'améliore quelque peu et il emménage avec Thérèse à l'hôtel du Languedoc, rue de Grenelle-Saint-Honoré[62].
En 1749, ayant présenté à un concours son Discours sur les sciences et les arts, il est déclaré vainqueur en 1750, ce qui lui vaut une célébrité immédiate. Il abandonne alors ses emplois de secrétaire et de précepteur pour se rendre indépendant, et vit grâce à ses travaux de transcription de partitions musicales comme il le fait depuis des années ; il adopte une tenue vestimentaire plus simple et plus en harmonie avec les idées développées dans le Discours[63]. Dans le domaine des idées, la véritable vocation de Rousseau se dessine et il prend ses distances à l'égard « de tous nos beaux esprits, hors un[n 12] » et donc d'une littérature qui ne viserait qu'à plaire aux Grands. Selon l'analyse de Launay, désormais « la seule grande littérature serait la littérature politique » ancrée dans l'engagement personnel de l'écrivain[64].
Le , son intermède en un acte, Le Devin du village, composé en six jours, est représenté devant le roi Louis XV et la Pompadour, à Fontainebleau. Ce premier opéra-comique français est un succès, mais Rousseau se dérobe le lendemain à la présentation au roi, refusant de ce fait la pension qui devait lui être accordée[65], ce qui lui vaudra les reproches de Diderot[sp 9]. À la suite de cette première dispute sérieuse avec son ami, Rousseau va en arriver à « formuler nettement les raisons théoriques de sa haine des riches, et tous les principes qui en découlent[66]. »
Il fait jouer immédiatement après sa pièce Narcisse, à laquelle Marivaux avait apporté quelques retouches[67] et dont la préface exprime le thème central de sa philosophie politique[68]. Outre Diderot, le cercle qu'il fréquente est constitué de Condillac, Grimm, Raynal, d'Alembert, d'Holbach et Louise d'Épinay[69]. Cette année 1752 voit le début de la querelle des Bouffons. Rousseau y prend part auprès des encyclopédistes en rédigeant sa Lettre sur la musique française, dans laquelle il affirme la primauté de la musique italienne sur la musique française et celle de la mélodie sur l'harmonie, écorchant au passage Jean-Philippe Rameau[70].
En novembre 1753, l'Académie de Dijon lance un autre concours sur la source de l'inégalité[n 13]. Jean-Jacques s'enthousiasme pour ce sujet et rédige son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (également appelé Discours sur l'inégalité ou Second discours), qui achève de le rendre célèbre. Il y défend la thèse selon laquelle l'homme est naturellement bon mais que la société le corrompt[71].
L'œuvre suscite, comme le Premier discours, une vive polémique de la part notamment de Voltaire, Charles Bonnet, Castel et Fréron[72]. Rousseau commence alors à s'éloigner des encyclopédistes athées qui croient au progrès, alors que lui-même prône la vertu et l'amour de la nature.
Bref retour à Genève
Sans attendre le résultat du concours, Jean-Jacques décide d'aller se ressourcer à Genève — qu'il a quittée 26 ans plus tôt — non sans faire un détour par Chambéry pour rendre visite à Mme de Warens, fortement appauvrie par de mauvais investissements et à qui il apporte quelque secours[73]. C'est de Chambéry qu'il date la dédicace à Genève et l'envoi de son Discours sur l'inégalité, le , car, selon Trousson « il lui semblait politique de le dater d'un lieu qui ne fût ni la France ni Genève[74]. »
Afin de redevenir citoyen de Genève de plein droit, il réintègre le protestantisme avec l'appui du pasteur de Cologny, en présentant Thérèse comme sa garde-malade et en faisant intérieurement une nette distinction entre son acceptation de la religion officielle et sa croyance intérieure[75], ainsi qu'il s'en explique dans Les Confessions : « Il s'ensuivait que, voulant être citoyen, je devais être protestant[sp 10]. » Durant les quatre mois de son séjour à Genève, il fréquente notamment Jean Jallabert, Jacob Vernet, Jacob Vernes, Firmin Abauzit ainsi que Paul Moultou, qui devient un ami inconditionnel[76]. Il travaille à une traduction des Histoires de Tacite, ébauche une tragédie en prose intitulée Lucrèce et songe au plan de ses Institutions politiques. Mais il ne peut pas gagner sa vie à Genève comme il le faisait à Paris et prend conscience que la censure politique et ecclésiastique pourrait y être pire. Sa décision prise, il quitte la ville avec Thérèse le et, cinq jours plus tard, ils retrouvent leur logis à Paris[77].
Jean-Jacques savait depuis le que le jury de Dijon n'avait pas couronné son texte, invoquant divers prétextes. Prévoyant le coup, il avait fait des démarches dès le mois de juin en vue de sa publication auprès de l'imprimeur Marc-Michel Rey établi à Amsterdam. Celui-ci fait traîner les choses mais livre finalement les exemplaires un an plus tard, en mai 1755[78].
Rousseau ne s’adresse plus seulement à la société bourgeoise comme les artistes de cour ou les érudits des siècles précédents. Il n'a de cesse de s’adresser à un autre public, différent de celui de la haute société qui hante les salons littéraires[79]. Son second discours suscite beaucoup moins de réactions que le premier[80]. Progressivement, sa célébrité devient « funeste » selon ses propres termes, cette célébrité qu’il a cherchée comme une arme sociale se retourne contre lui, et il entre dans une paranoïa, confronté à la personnalité publique qu’est devenu « Jean-Jacques », celui que les gens veulent voir, rencontrer et dont des portraits circulent[79],[81].
Changement de vie (1756-1759)
Durant cette période, au moment où Le Cercle ou Les Originaux (1755), comédie de Palissot, ridiculise les encyclopédistes, Rousseau ressent la nécessité de changer de vie et de suivre le précepte qu'il fait figurer désormais dans de nombreux textes « vitam impedere vero (consacrer sa vie à la vérité) »[82]. Tout d'abord, il change de tenue. « Je quittais la dorure et les bas blancs ; je pris une perruque ronde ; je posais l'épée ; je vendis ma montre en me disant avec une joie incroyable : Grâce au ciel, je n'aurai plus besoin de savoir l'heure qu'il est »[sp 11],[83]. Par ailleurs, il quitte la ville pour s'installer à la campagne, d'abord à l'Ermitage en forêt de Montmorency, puis dans la maison du Petit Mont-Louis. Enfin, il refuse les places et les rentes qu'on lui offre. Pour rester libre, il gagne sa vie en exerçant le métier de copiste de musique. Il rompt, également, le lien fort qui existait entre lui et Diderot depuis 1742[84].
Pour Jean Starobinski, la pauvreté ostentatoire de Rousseau a une double visée. C'est d'abord une « démonstration de vertu à la manière stoïcienne ou cynique » destinée à alerter les consciences, à pointer du doigt l'inégalité sociale alors très forte. Par ailleurs, elle est une manifestation de la fidélité de Rousseau à son origine sociale[85]. Toujours selon cet auteur, Rousseau a eu le génie de se conformer à un principe très à la Plutarque, qu'il énonce ainsi dans une lettre adressée à son père alors qu'il n'a que dix-neuf ans : « J'estime mieux une obscure liberté qu'un esclavage brillant[sp 12] »[85].
À l'Ermitage
En , Madame d'Épinay met à sa disposition l'Ermitage, une maisonnette située à l'orée de la forêt de Montmorency. Il s'y installe avec Thérèse et la mère de celle-ci[86] puis commence à rédiger son roman Julie ou la Nouvelle Héloïse et son Dictionnaire de musique. Il entreprend aussi, à la demande de Mme Dupin, de mettre en forme les manuscrits à contenu politique de l'abbé de Saint-Pierre[87]. Au début de 1757, Diderot envoie à Rousseau son drame Le Fils naturel, dans lequel se trouve la phrase « L'homme de bien est dans la société, il n'y a que le méchant qui soit seul ». Rousseau prend cette réplique pour un désaveu de ses choix et il s'ensuit une première dispute entre les amis[88].
Au cours de l'été, Diderot éprouve des difficultés pour faire paraître l'Encyclopédie à Paris. Les amis Grimm et Saint-Lambert étant enrôlés dans la guerre de Sept Ans, ils confient au vertueux Rousseau leurs maîtresses respectives, Mme d'Épinay et Mme d'Houdetot. Or, Jean-Jacques tombe amoureux de cette dernière, sur laquelle il projette la figure de l'héroïne de La Nouvelle Héloïse, entraînant une idylle intense mais vraisemblablement platonique[89]. Cependant, du fait de maladresses et d'indiscrétions, les rumeurs vont bon train et arrivent aux oreilles de l'amant. Rousseau en accuse successivement ses amis Diderot, Grimm et Mme d'Épinay qui vont définitivement lui tourner le dos. Excédée, Mme d'Épinay lui signifie son congé, et il doit quitter l'Ermitage le [90].
À Montmorency
En janvier 1758, Jean-Jacques s'installe à Montmorency où il loue la maison qui deviendra son musée en 1898[91]. Isolé et souffrant de la maladie de la pierre, il devient bourru et misanthrope. De plus en plus jaloux de son indépendance, il refuse les dons de ses amis ou des personnes qui veulent soulager sa misère relative[92]. Il gagne toutefois l'amitié et la protection du maréchal de Luxembourg et de sa deuxième épouse. Il se livre à une intense activité littéraire. Comme il continue à copier de la musique, des visiteurs curieux de rencontrer un personnage célèbre viennent lui confier de petits travaux et il reçoit ainsi, en mai 1758, Casanova en compagnie de sa maîtresse Mme d'Urfé[93].
En 1759, il communique avec l'éditeur Rey pour l'impression de son roman Julie ou la Nouvelle Héloïse mais les discussions traînent et ce n'est qu'en avril 1760 que les premières épreuves arrivent à Montmorency. Jean-Jacques s'occupe alors de faire exécuter douze estampes d'illustration qu'il supervise minutieusement. L'ouvrage est finalement mis en vente en février 1761. C'est le plus grand succès du siècle : il s'en produira 72 éditions jusqu'en 1800. L'ouvrage procure à Jean-Jacques une popularité extraordinaire et une aura de maître de vertu[94].
En mars 1761, il fait paraître un Projet de paix perpétuelle[95]. En mai, il souffre beaucoup de la lithiase et craint de ne pas survivre. Il prend alors des dispositions en vue de l'édition de ses œuvres complètes et vise à mettre Thérèse à l'abri du besoin. Un moine ayant réussi à lui installer une sonde le 18 juin, il se remet lentement[96].
En , la grand-chambre du Parlement de Paris condamne l'Émile à être interdit et brûlé en raison de son apologie de la religion naturelle et d'une éducation fondée sur la nature qui menace la morale et la société[100]. Son auteur est décrété de prise de corps. Rousseau se voit donc contraint de fuir seul la France, avec l'aide du maréchal de Luxembourg ; Thérèse le rejoindra plus tard. Il rédige dans le cabriolet Le Lévite d'Ephraïm, un personnage auquel il s'identifie parce qu'il est vengé par une communauté juste[101]. Il évite Genève et se réfugie à Yverdon chez son ami Daniël Roguin. Alors que sa condamnation à Paris est due à des motifs religieux, le Conseil de Genève condamne aussi et surtout le Contrat Social dont les principes politiques « s'avéraient nettement opposés à ceux de la constitution genevoise et même dangereux pour elle. » Rousseau est condamné à être appréhendé et à comparaître en Conseil. Aucune voix ne se porte à sa défense parmi les membres du Conseil[102].
Berne ayant pris à son tour un décret d'expulsion, Rousseau doit quitter Yverdon. Il se rend alors chez Madame Boy de la Tour à Môtiers, ville située dans la principauté de Neuchâtel relevant de l'autorité du roi de PrusseFrédéric II, à qui Rousseau demande asile. Frédéric II accepte d'accorder l'hospitalité au proscrit à condition qu'il s'abstienne d'écrire sur « des matières scabreuses » et suggère au gouverneur George Keith de lui donner cent écus. Jean-Jacques refuse fièrement ce présent en disant qu'il préférerait « brouter l'herbe et ronger des racines que d'accepter de lui [Frédéric] un morceau de pain[103]. »
En août 1762, dans une lettre à Frédéric-Guillaume de Montmollin, pasteur de Môtiers, il affirme son attachement à la religion réformée, au grand dam de Genève et des philosophes qui continuent à l'accabler, notamment Voltaire et d'Alembert[104]. La maladie de la pierre continue à le faire souffrir et il doit être régulièrement sondé. C'est alors qu'il adopte un long vêtement arménien, plus commode pour cacher son affection[105],[sp 13]. Il écrit une pièce en un acte, Pygmalion, premier mélodrame musical qui pose « le problème de la relation entre l'artiste et sa création » et où s'exprime son narcissisme[106]. Il se met aussi à rédiger une suite romanesque à l'Émile intitulée Émile et Sophie, ou les Solitaires, qui restera inachevée[107].
La lande et l'île Saint-Pierre où vécut Rousseau, vues du nord.Première page du manuscrit dit « de Paris » des Confessions, offert à la Convention nationale en 1794 par la veuve de Rousseau, Thérèse Levasseur. Rousseau a entrepris cet ouvrage pour se justifier à la suite des attaques de Voltaire.[n 14].
L'Émile est mis à l'Index en et Christophe de Beaumont, archevêque de Paris, lance un anathème contre les idées professées par Le Vicaire savoyard. Rousseau y répond par une Lettre à Christophe de Beaumont parue en , qui s'attaque à l'Église romaine[108]. Toutefois, son ton volontairement « antipapiste » ne calme pas le Petit Conseil de Genève qui exige une rétractation publique. Fatigué, Rousseau va finir par renoncer le à la citoyenneté genevoise[109]. Entretemps, il se passionne pour la botanique et confie à un éditeur son Dictionnaire de musique, fruit de seize années de travail[110].
Le conflit avec Genève s'intensifie avec la publication en octobre 1763 des Lettres écrites de la campagne de Jean Robert Tronchin, procureur général auprès du Petit Conseil de Genève, qui vise à renforcer le pouvoir du patriciat[111]. Poussé par des représentants du peuple genevois qui contestent la légalité de la condamnation de Rousseau par le Petit Conseil, Rousseau réplique à Tronchin par ses Lettres écrites de la montagne dans lesquelles il défend sa position sur la religion professée par le vicaire savoyard. Surtout, il reprend ses « démonstrations du Contrat social sur la tendance fatale des gouvernements à dégénérer[112] » et prend position en faveur du Conseil général, qui représente le peuple souverain, contre le droit de veto du Petit Conseil[113]. Ces neuf lettres composées en secret entre octobre 1763 et mai 1764 sont confiées à Rey, son éditeur d'Amsterdam, qui les publie en . Au début de l'année 1765, elles sont brûlées à La Haye et à Paris, et interdites à Berne[114].
C'est le moment que choisit Voltaire[n 15] pour publier anonymement, le 31 décembre 1764, Le Sentiment des citoyens, « un pamphlet ignoble et féroce », où il insulte Rousseau[n 16] en plus — honte suprême — de révéler qu'il a abandonné ses enfants, et qui se termine en suggérant que Rousseau mérite la mort : « Il faut lui apprendre que, si on châtie légèrement un romancier impie, on punit capitalement un vil séditieux[115]. » Le pasteur de Môtiers, Montmollin, qui avait accueilli Jean-Jacques lors de son arrivée, cherche alors à l'excommunier avec le soutien de la « Vénérable Classe de ses confrères de Neuchâtel », mais sans succès. Protégé par un rescrit de Frédéric II[116], Rousseau se passionne pour la botanique au cours du printemps 1765 et travaille à un Projet de constitution pour la Corse. Il passe toutefois pour un séditieux et la population rameutée par Montmollin — qui le désigne comme l'Antéchrist[117] — devient menaçante et va jusqu'à lui jeter des pierres. Le , craignant pour sa vie, Jean-Jacques se réfugie provisoirement dans l'île Saint-Pierre sur le lac de Bienne[118], d'où le gouvernement bernois l'expulse le [n 17]. Avant de partir, Jean-Jacques confie à son ami Du Peyrou une malle contenant tous les papiers qu'il possédait (manuscrits, brouillons, lettres et copies de lettres)[119].
Rousseau, dès lors, vit dans la hantise d'un complot dirigé contre lui et décide de commencer, en forme de justification, Les Confessions, sa grande œuvre autobiographique. Il gagne Paris où il séjourne en novembre et au Temple où il bénéficie du privilège d'exterritorialité, sous la protection du prince de Conti qui lui demande de ne pas écrire mais lui permet de recevoir des visiteurs de marque — surtout des dames — à qui il donne audience de neuf heures à midi et de six à neuf, car il est plus populaire que jamais[120].
Fuite en Angleterre 1766-1767
Portrait par Allan Ramsay de Rousseau à Londres en 1766. Rousseau y a vu une machination de la part de Hume[n 18].Portait de David Hume par par Ramsay formant diptyque avec celui de Rousseau ci-dessus. Rousseau se plaignit de la dissymétrie de traitement entre les deux portraits[121].Frontispice de Remarks on the writings and conduct of J.J. Rousseau (1767), ouvrage anonyme de Johann Heinrich Füssli prenant la défense de Jean-Jacques[122]. Rousseau, en caftan à gauche et tenant un fil à plomb, pointe son index vers Voltaire équipé d'un fouet et tentant de chevaucher un géant écrasé au sol qu'il retient par un mors. En arrière-plan, un gibet où sont pendues la Justice et la Liberté.
À l'invitation de David Hume, attaché à l'ambassade de Grande-Bretagne à Paris, il gagne l'Angleterre le . Thérèse le rejoint un mois plus tard, escortée par James Boswell. À Londres, Jean-Jacques suscite beaucoup d'intérêt. Allan Ramsay le peint avec son costume et bonnet d'Arménien (voir ci-contre). Richard Davenport lui loue un appartement dans sa demeure de Wootton Hall, à cinquante lieues de Londres, où Jean-Jacques réside du au . C'est là qu'il écrit les premiers chapitres des Confessions[123]. Mais son instabilité mentale s'accroît et il finit par se persuader que David Hume est au centre d'un complot contre lui[99].
En mars, Rousseau prend connaissance d'une fausse lettre que le roi de Prusse lui aurait adressée, et qui circulait dans les salons parisiens depuis plus de deux mois. Elle est bien tournée mais peu charitable à son égard. Rousseau semble y avoir cru dans un premier temps, puisqu'une lettre de réponse au roi a été retrouvée dans ses papiers. Lorsqu'il découvre que cette lettre est fausse, Rousseau l'attribue à d'Alembert, puis il soupçonne Hume de tremper dans le complot. En fait, l'auteur en est Horace Walpole, qui, un soir qu'il se trouvait chez madame Geoffrin, avait plaisanté sur les affections et contradictions de Rousseau et qui, une fois rentré chez lui, avait rédigé la fameuse lettre et l'avait rendue publique, en se disant « fort disposé à [s]e moquer de charlatans politiques et littéraires quelque talent qu'ils puissent avoir ». Ce qu'il concevait comme une simple plaisanterie se répandit comme une trainée de poudre. L'histoire rendit furieuses les admiratrices de Rousseau. Madame de Boufflers fit part de son indignation devant Walpole, qui feignit la contrition[124],[125]. Cette fausse lettre est reproduite dans le Saint James's Chronicle, qui publie aussi divers textes qui le ridiculisent, notamment une sarcastique Lettre au Docteur Jean-Jacques Pansophe de Voltaire[126].
Hypersensible et soupçonneux, Jean-Jacques se croit victime d'un complot dont Hume se serait fait complice, alors même — et pour cette raison même — que celui-ci s'affairait à lui obtenir une pension du roi d'Angleterre. Après seulement six mois de séjour en Angleterre, la rupture est complète entre les deux philosophes. Le 10 juillet, Rousseau publie à Paris une Lettre à David Hume, qui engendre un véritable scandale dans les Cours européennes et pose avec une acuité nouvelle le rapport de l'écrivain avec le pouvoir et le public[127]. Les ennemis de Rousseau, au premier rang desquels Voltaire, jubilent, alors que ses amis, qui l'ont poussé à confier son destin à Hume, sont consternés par la tournure des évènements[128]. Quant à Hume, craignant que les Confessions ne ternissent sa réputation, il veut se justifier et publie à la mi-octobre un ouvrage de 156 pages intitulé Exposé succinct de la contestation qui s'est élevée entre M. Hume et M. Rousseau, avec les pièces justificatives, dans laquelle se trouve aussi la lettre du 10 juillet[129]. Alors que la conduite de Rousseau est condamnée par les philosophes et que Voltaire s'acharne encore à le discréditer[130], de nombreux pamphlets se rangent de son côté[127], notamment l'ouvrage de Füssli, dont l'allégorie du frontispice est éloquente (ci-joint).
En janvier 1767, Rousseau refuse la retraite que lui offre Catherine II à Saint-Pétersbourg ainsi que celles que lui propose en France Mirabeau, dit l'ami des hommes. Sa paranoïa ayant atteint un point critique, il s'enfuit de Davenport le 30 avril, dans un état de panique, afin d'échapper à ses persécuteurs. Après avoir erré quelques jours, il quitte l'Angleterre le 21 mai[131].
En , toujours sous la menace d'une condamnation par le Parlement, Rousseau regagne la France. Hébergé d'abord par Mirabeau à Fleury-sous-Meudon, il accepte en juin l'hospitalité du prince de Conti au château de Trye, près de Gisors dans l'Oise, sous le nom d'emprunt de Jean-Joseph Renou, nom de jeune fille de la mère de Thérèse[132]. Il est dans « un état d'anéantissement mental », ne voulant plus lire ni écrire. Le séjour est particulièrement angoissant et il en vient à soupçonner ses meilleurs amis, y compris le fidèle DuPeyrou venu lui rendre visite en novembre[133].
En janvier 1768, le Petit Conseil de Genève sollicite cependant son aide pour apaiser les tensions avec le peuple représenté par le Conseil général. Rousseau conseille la modération et un accord interviendra le 11 mars après cinq ans d'agitation[134]. Le , il quitte Trye et se rend dans la région de Grenoble. Il passe du temps à herboriser en compagnie de Michel Servan. La nouvelle de sa présence s'est répandue et des foules se pressent sur son passage.
Thérèse le rejoint à Bourgoin le . Le lendemain, pour la première fois, il la présente au maire de la ville comme étant sa femme[135]. Il reprend son nom et, en janvier 1769, il s'installe à la ferme Monquin à Maubec[n 19]. Il se remet à ses Confessions quand il n'est pas en train d'herboriser.
Retour à Paris
Il décide de quitter le Dauphiné le , séjourne quelques semaines à Lyon, et arrive à Paris le où il loge au cinquième étage de l'hôtel Saint-Esprit, rue Plâtrière[136]. Il parvient à boucler son budget grâce à ses travaux de copiste de partitions de musique[n 20]. Il reçoit des visiteurs attirés par sa célébrité, parmi lesquels on compte notamment le prince de Ligne, le duc d'Albe, le duc de Croÿ, le comte de Crillon, etc.
Au cours de séances qui durent 17 ou 18 heures[137], il fait dans des salons lecture de la première partie des Confessions, couvrant les années 1712-1740. Il commence par le salon de la comtesse d'Egmont, où l'auditoire reste silencieux et gêné face à cette âme mise à nu. Ses anciens amis craignant des révélations, Mme d'Épinay fait interdire ces lectures par Antoine de Sartine, alors lieutenant général de police[138].
Au plan politique, il est plus que jamais opposé au gouvernement de la noblesse sur le peuple. Tout comme il avait ignoré les attentes du comte de Buttafoco dans son Projet de constitution pour la Corse[139] (1765), il rejette le projet de restauration monarchique mis de l'avant par le jeune Gustave III de Suède venu le consulter en février 1771. Dans les Considérations sur le gouvernement de Pologne qu'il remet à Wielhorski en juin 1771, il condamne la politique russe de démantèlement de ce pays, position qui contraste, comme le note Alfred Dufour, avec les « tableaux caricaturaux, tracés par les tenants des Lumières et des souverains éclairés, d’une Pologne anarchique et féodale, politiquement et socialement arriérée »[140]. Rompant avec sa position du Contrat social, il accepte maintenant le principe du système représentatif mais préconise un modèle économique plus proche de la Sparte antique que d'une nation moderne[n 21].
Toujours convaincu d'être l'objet d'un vaste complot ourdi par ses ennemis, il fait le vide autour de lui, soupçonnant tout le monde et se refusant à toute tentative d'explication, y compris de la part des fidèles et des personnes qui l'aiment le plus[141]. Il herborise dans les parcs et le bois de Boulogne, activité qu'il partage parfois avec Malesherbes et surtout avec Bernardin de Saint-Pierre. Il écrit à l'adresse de Mme Delessert, sous forme de lettres, un cours de botanique destiné à sa fille Madelon, les Lettres sur la botanique[sp 14]. Il prépare aussi un Dictionnaire des termes d'usage en botanique[142].
À partir de 1774, il ébauche un opéra intitulé Daphnis et Chloé et met en musique une centaine de chansons dont le recueil paraîtra après sa mort sous le titre Consolations des misères de ma vie[143]. L'année suivante, il se lie avec Gluck qui professe une grande admiration pour son Devin du village. Il commente ses opéras Orphée et Alceste mais rompt avec lui après quelques mois, car il le soupçonne de faire partie du « complot »[144].
Tout en poursuivant l'écriture des Confessions sur les années 1741-1765, il se met à rédiger en secret Dialogues ou Rousseau juge de Jean-Jacques (1772-1775), dans lequel il s'entretient avec un Français fictif au sujet de cet auteur dont tout le monde parle et qui est victime d'un horrible complot au cœur duquel seraient Grimm et Diderot :
« S'il entre en quelque lieu public, il y est regardé et traité comme un pestiféré. Tout le monde l'entoure et le fixe; mais en s’écartant de lui sans lui parler, seulement pour lui servir de barrière, et s’il ose parler lui-même et qu'on daigne lui répondre, c'est toujours ou par un mensonge ou en éludant ses questions d’un ton si rude et si méprisant qu'il perde l'envie d’en faire[sp 15]. »
En février 1776, il tente de déposer cet ouvrage sur l'autel de Notre-Dame, afin de le confier à la Providence, mais la grille fermée l'empêche d'y accéder. En désespoir de cause, il va le confier à Condillac, mais celui-ci traite le manuscrit comme une œuvre de littérature sans voir l'appel à l'aide qu'il contenait. Rousseau écrit alors un billet circulaire destiné À tout Français aimant encore la justice et la vérité où il justifie sa position[n 22]. Il tente sans grand succès de les distribuer aux passants indifférents. Sa rupture sur un malentendu avec Mme de Créqui, son amie depuis 25 ans, accroît encore son désespoir[145].
Le 24 octobre 1776, il est projeté à terre par un grand chien danois précédant un carrosse lancé à toute allure. Gravement blessé à la tête, Jean-Jacques récupèrera alors que des journaux annoncent son décès — sur lequel Voltaire croit bon d'ironiser. Il est alors en train de rédiger Les Rêveries du promeneur solitaire, qui restera inachevé, dans lequel il revient sur des périodes de sa vie et tente encore de justifier l'abandon de ses enfants. Il reste indifférent face au succès que remporte Le Devin du village en janvier 1777. Vieillissant, il trouve difficile la vie parisienne. Le 20 mai 1777, il accepte l'hospitalité du marquis de Girardin à Ermenonville, qui a aménagé sa propriété sur le modèle de La Nouvelle Héloïse et qui met à sa disposition un petit pavillon de quatre pièces[146].
Décès
Les dernières paroles de J.-J. Rousseau, gravure de Jean-Michel Moreau (1783).
Le , après sa promenade matinale habituelle, l'écrivain philosophe se plaint de douleurs dans la poitrine et de terribles maux de tête, s'effondre sur le sol de son pavillon et meurt peu après de ce qui semble avoir été un accident vasculaire cérébral[147].
Vue du tombeau de Rousseau dans l'île des Peupliers. Gravure par Godefroy, dessin de Gaudat, 1781.
Le lendemain de sa mort, le sculpteur Jean-Antoine Houdon fait un moulage de son masque mortuaire. Le marquis de Girardin fait embaumer le corps qui est ensuite placé dans un cercueil de plomb et inhumé le dans l'île des Peupliers sur sa propriété[148]. La nouvelle de la mort du grand homme se répand très vite et l'émotion est vive. Olivier de Corancez avance l'hypothèse d'un suicide par empoisonnement ou par balle, créant une controverse sur les circonstances de la mort, mais sans aucune base sérieuse, pas plus que d'autres scénarios fantaisistes qui se mirent à circuler et que reprenaient volontiers les anciens amis inquiets des révélations à venir dans les Confessions[149]. Le rapport d'autopsie publié dans le Journal de Paris le 20 juillet ne mettra pas complètement fin aux rumeurs[n 23]. Quant au marquis de Girardin, il donnera une version embellie des derniers moments de Jean-Jacques dans la Lettre à Sophie, publiée en 1779[150].
Très vite, la mémoire de Jean-Jacques est l'objet d'un véritable culte et on voit se multiplier les récits hagiographiques[151]. La tombe érigée à la hâte par Girardin est remplacée en 1780 par le monument funéraire actuel dessiné par Hubert Robert et exécuté par J.-P. Le Sueur : un sarcophage sculpté, sur ses quatre côtés, de bas-reliefs représentant une femme donnant le sein et lisant l'Émile, ainsi que des allégories de la liberté, de la musique, de l'éloquence, de la nature et de la vérité[152],[153]. Sur le fronton, un cartouche d'où pend une guirlande de palmes porte la devise de Rousseau « vitam impendere vero » (« consacrer sa vie à la vérité »). La face nord porte l'épitaphe « Ici repose l'homme de la Nature et de la Vérité »[154]. En juin 1780, Marie-Antoinette accompagnée de princes et de princesses s'y rend en pèlerinage et elle sera bientôt suivie tant par des visiteurs français que prussiens ou anglais[155]. Il se crée même des rituels autour du tombeau visité au clair de lune et vénéré comme un lieu sacré[156].
La publication en 1780 de Rousseau juge de Jean-Jacques fait cependant prendre conscience du délire dans lequel se trouvait le philosophe. La critique n'est pas meilleure lors de la publication de la première partie des Confessions en 1782[n 24]. Tout cela n'empêche pas le culte de grandir et les portraits de Rousseau de se multiplier, autant que ceux de Voltaire, mort cinq semaines avant lui[157].
Œuvre
La grande sensibilité de Rousseau marque profondément son œuvre et explique, en partie, les brouilles qui ont jalonné sa vie. David Hume disait d'ailleurs de lui[158] : « Toute sa vie il n'a fait que ressentir, et à cet égard, sa sensibilité atteint des sommets allant au-delà de ce que j'ai vu par ailleurs ; cela lui donne un sentiment plus aigu de la souffrance que du plaisir. Il est comme un homme qui aurait été dépouillé non seulement de ses vêtements, mais de sa peau, et s'est retrouvé dans cet état pour combattre avec les éléments grossiers et tumultueux »[trad 1]. Bertrand Russell a commenté ainsi cette citation : « C'est le résumé le plus sympathique de son caractère qui soit à peu près compatible avec la vérité »[trad 2].
Un philosophe hors norme
Jean Bodin, une des sources d'inspiration de Rousseau.
Rousseau n'a pas suivi de cours de philosophie. Comme le note Bertrand Russell, « il n'était pas ce qu'on appelle aujourd'hui un philosophe. Néanmoins, il a exercé une puissante influence sur la philosophie, ainsi que sur la littérature, le goût et la politique[159]. » Autodidacte, ce sont ses lectures — notamment celle de ses prédécesseurs immédiats : Descartes, Locke, Malebranche, Leibniz, la Logique de Port-Royal et les jusnaturalistes[160],[161] — qui lui ont permis de devenir philosophe. Dès la première œuvre qui le rend célèbre, le Discours sur les sciences et les arts, il se revendique comme n'étant pas un philosophe de profession et exprime sa méfiance envers certains de ceux qui se disent philosophes. Il écrit à ce propos :
« Il y aura dans tous les temps des hommes faits pour être subjugués par les opinions de leur siècle, de leur pays, de leur société : tel fait aujourd'hui l'esprit fort et le philosophe, qui, par la même raison, n'eût été qu'un fanatique du temps de la Ligue. Il ne faut point écrire pour de tels lecteurs, quand on veut vivre au-delà de son siècle[sp 16]. »
Trois aspects de la pensée de Rousseau sont particulièrement à relever[162] :
tout d'abord, il est le premier grand critique de la pensée politique et philosophique telle qu'elle se déploie à partir de la fin du XVIIe siècle. À l'encontre de Bacon, Descartes, Locke, Newton, il soutient que ce qu'ils nomment « progrès » est d'abord un déclin de la vertu et du bonheur, que les systèmes politiques et sociaux de Hobbes et Locke fondés sur l'interdépendance économique et sur l'intérêt conduisent à l'inégalité, à l'égoïsme et à la société bourgeoise (un terme qu'il est un des premiers à employer)[162] ;
ensuite, s'il critique la théorie politique et philosophique de son temps, cette critique vient de l'intérieur. Il ne veut revenir ni à Aristote, ni à l'ancien républicanisme ni à la moralité chrétienne car, s'il accepte bien des préceptes des traditions individualistes et empiristes de son temps, il en tire des conclusions différentes en se posant des questions différentes. Par exemple : est-ce que l'état de guerre de tous contre tous est premier ou est-ce qu'il ne s'agit que d'un accident de l'histoire ? Est-ce que la nature humaine ne peut pas être modelée pour arriver à un État démocratique[163] ?
enfin, Rousseau est le premier à penser que la démocratie est la seule forme légitime d'État[162].
Dans ses écrits politiques, Rousseau se place dans la continuité de Bodin qu'il interprète à l'aide de « la théorie philosophique et juridique du droit naturel moderne »[164]. Selon lui, Grotius et Pufendorf ainsi que Locke ont commis l'erreur de penser que les passions étaient naturelles[165] alors qu'elles ne sont que les produits de l'histoire. La nécessaire satisfaction des besoins primaires (nourriture, abri, etc.) qui a marqué si fortement l'histoire des hommes, tend à les isoler : elle ne les rapproche pas, comme chez Pufendorf, pas plus qu'elle n'attise leur discorde comme chez Hobbes[166].
Prométhée avertit l'homme du mauvais usage possible du feu. « Le Satyre, dit une ancienne Fable, voulut baiser & embrasser le feu, la première fois qu'il le vit ; mais Prometheus lui cria : Satyre, tu pleureras la barbe de ton menton, car il brûle quand on y touche. » Frontispice du Discours, 1750. Dans sa Réponse à Lecat, Rousseau se compare à Prométhée apportant son Discours à l'humanité[167].
En 1749, lors d'une visite à Diderot, alors emprisonné à Vincennes, Rousseau lit dans le Mercure de France[168] que l'Académie de Dijon a lancé un concours sur la question suivante : « Le rétablissement des sciences et des arts a-t-il contribué à épurer ou à corrompre les mœurs[169] ? » Cette lecture provoque chez lui ce qu'on nomme usuellement l'« illumination de Vincennes »[170], événement qui va profondément changer le cours de sa vie : « Tout d'un coup, écrit-il, je me sens l'esprit ébloui de mille lumières ; des foules d'idées s'y présentèrent à la fois avec une force et une confusion qui me jeta dans un trouble inexprimable »[169]. Il confie son projet à Diderot qui l'encourage fortement à présenter un texte au concours en prenant le contrepied de la pensée commune[sp 17],[n 25].
Dans le Discours sur les sciences et les arts, Rousseau s'oppose à Montesquieu, Voltaire et Hume qui voient la modernité et le perfectionnement des arts et des sciences comme extrêmement positifs[171]. À l'encontre de ceux-ci, il attribue le rétablissement des arts « à la chute du trône de Constantin », c'est-à-dire à la chute de l'Empire byzantin, « qui porta dans l'Italie les débris de l'ancienne Grèce »[sp 18]. Influencé par les classiques anciens, tels Tite-Live, Tacite ou Plutarque, il « dresse un réquisitoire contre la société moderne et l'artifice »[172]. Ses modèles de société parmi les Anciens sont Sparte et la République romaine, du temps où celle-ci était « le temple de la vertu » avant de devenir, sous l'Empire, « le théâtre du crime, l'opprobre des nations et le jouet des barbares »[sp 19]. L'anti-modèle est constitué par la Cité d'Athènes au siècle de Périclès qu'il trouve trop mercantile, trop portée sur la littérature et les arts, toutes choses qui, selon lui, poussent à la corruption des mœurs.
La pensée de Rousseau s'articule autour de trois axes : la distinction entre les sciences et arts utiles et ceux qu'il estime inutiles, l'importance accordée au génie, l'opposition au luxe qui corrompt la vertu. Concernant le premier point, Rousseau donne aux arts et aux sciences une origine peu flatteuse : « L'astronomie est née de la superstition ; l'éloquence, de l'ambition, de la haine, de la flatterie, du mensonge ; toutes, et la morale même, de l'orgueil humain. Les Sciences et les arts doivent donc leur naissance à nos vices »[sp 20]. Toutefois, il distingue d'une part les sciences et arts utiles, qui ont trait aux métiers et au travail manuel alors fort méprisé, et d'autre part les sciences et arts abstraits seulement motivés par la recherche du succès mondain[173]. L'important, chez Rousseau, c'est la vertu, « science sublime des âmes simples » dont les principes sont « gravés dans tous les cœurs » et dont on apprend les lois en écoutant « la voix de sa conscience dans le silence des passions »[sp 21].
En concordance avec sa conception du lien entre art ou science et vertu, Rousseau distingue le génie, qui ne se laisse pas corrompre par le monde, et le mondain. S'adressant à Voltaire, il écrit : « dites-nous, célèbre Arouet, combien vous avez sacrifié de beautés mâles et fortes à votre fausse délicatesse, et combien l'esprit de la galanterie si fertile en petites choses vous en a coûté de grandes »[sp 22]. De façon générale, il estime que les génies (Bacon, Descartes, Newton) ont su se focaliser sur l'essentiel et ont contribué à l'amélioration de l'entendement humain : « c'est à ce petit nombre qu'il appartient d'élever des monuments à la gloire de l'esprit humain »[sp 23].
Rousseau voit une antinomie entre le luxe, qu'il associe au commerce et à l'argent, et la vertu : « Les anciens politiques parlaient sans cesse de mœurs et de vertu ; les nôtres ne parlent que de commerce et d'argent »[sp 24]. Pour lui, le luxe conduit au développement des inégalités et à la dépravation des mœurs. Sur ce point, il est en opposition avec le courant majeur de son siècle représenté par des auteurs comme Mandeville ou Voltaire qui, dans le Mondain, plaide en faveur du superflu, ou encore par les physiocrates ou par David Hume qui voit dans le luxe un aiguillon à l'activité économique[174]. Conscient de cette opposition, Rousseau note :
« Que le luxe soit un signe certain des richesses ; qu'il serve même à les multiplier : que faudra-t-il conclure de ce paradoxe si digne d'être né de nos jours ; et que deviendra la vertu, quand il faudra s'enrichir à quelque prix que ce soit[sp 24] ? »
Préface de Narcisse (1752)
Bien avant le Discours sur l'inégalité, Rousseau exprime, dans la Préface de Narcisse (novembre 1752), le thème central de sa philosophie politique[68] :
« Étrange et funeste constitution où les richesses accumulées facilitent toujours les moyens d'en accumuler de plus grandes et où il est impossible à celui qui n'a rien d'acquérir quelque chose [...] tous ces vices n'appartiennent pas tant à l'homme qu'à l'homme mal gouverné[sp 25]. »
Sous une citation d'Aristote invitant à chercher la vraie nature humaine dans des natures non corrompues, une allégorie de la Liberté brandit une pique surmontée d'un bonnet (pileus) évoquant le rituel d'affranchissement des esclaves chez les Romains. Au sol des chaînes brisées, une cage ouverte et un chat, symbole d'indépendance[175].« Il retourne chez les égaux », illustration du Discours par Jean-Michel Moreau (1778).
En 1755, Rousseau publie le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes. Dans cet ouvrage, il imagine ce qu'aurait pu être l'humanité quand l'Homme était bon : c'est l'état de nature, qui n'a peut-être jamais existé. À partir de cette base, il explique comment l'Homme naturellement bon est devenu mauvais. Selon lui la chute n'est pas due à Dieu (il le suppose bon), ni à la nature de l'Homme, mais au processus historique lui-même, et aux institutions politiques et économiques qui ont émergé au cours de ce processus[176]. Dieu est l'Être suprême qui a créé le système de la Nature qui répond à des règles étudiées par la science[177]. Contrairement au Premier discours, la source du mal n'est plus imputée à une explication morale, mais aux inégalités économiques que l'auteur dénonce au nom de la justice sociale. Alors que liberté et égalité sont des valeurs fondamentales qu'il tient absolument à sauvegarder, elles tendent à entrer en contradiction l'une avec l'autre, car la propriété — qui découle de la liberté et qu'il décrit ailleurs comme « le plus sacré des droits du citoyen et plus important à certains égards que la liberté même[sp 26] » — en arrive inévitablement à accroître les inégalités. Dans un fragment légèrement antérieur à ce discours, il écrit :
« C'est un axiome dans les affaires aussi bien qu'en physique qu'on ne fait rien avec rien. L'argent est la véritable semence de l'argent et le premier écu est infiniment plus difficile à gagner que le second million[178]. »
Dans ce discours-ci, il établit trois stades dans le progrès des inégalités, jusqu'à celui de « celui de Maître et d'esclave, qui est le dernier degré de l’inégalité, et le terme auquel aboutissent enfin tous les autres, jusqu’à ce que de nouvelles révolutions dissolvent tout à fait le gouvernement, ou le rapprochent de l’institution légitime[sp 27]. » Pour préserver le droit de propriété, il est donc nécessaire de le limiter, de préférence par auto-régulation[179].
Il rejette le postulat d'Aristote selon lequel l'homme serait par essence un animal social. Pour Rousseau, l'homme s'est socialisé à cause de sa perfectibilité naturelle, qui l'a éloigné de l'état de nature et est la source de tous ses malheurs[180]. Il termine son discours en exposant sa vision d'une société où l'inégalité des conditions serait proportionnée à l'inégalité des talents naturels, et en constatant que l'Homme ne peut pas revenir en arrière, que l'état de nature est définitivement perdu[181].
Dans Les Confessions, il signale que « cet ouvrage fut plus du goût de Diderot que tous mes autres écrits, et pour lequel ses conseils me furent le plus utiles[sp 28]. » De fait, l'ouvrage comporte nombre d'idées qui se trouvent textuellement dans l'article « Autorité politique »[sp 29] rédigé par Diderot pour l'Encyclopédie, notamment sur « l'usurpation de la puissance souveraine par la violence, la légitimité de la révolte contre un tyran, ou le peuple seul authentique dépositaire du pouvoir dont le prince n'est que l'usufruitier », ce qui permet de supposer que les deux amis ont dû abondamment débattre de ces questions[182].
Pour Jean Starobinski, Rousseau dans cet ouvrage « recompose une « genèse » philosophique où ne manquent ni le jardin d'Éden, ni la faute, ni la confusion des langues version laïcisée, « démythifiée » de l'histoire des origines, mais qui, en supplantant l'Écriture, la répète dans un autre langage »[183]. Le mal désigne à la fois les tourments de l'esprit qui préoccupaient tant les stoïciens mais également ce que les Modernes nomment l'aliénation, c'est-à-dire l'extrême attention que les Hommes portent au regard des autres. Attention qui les détourne de leur moi profond, de leur nature[184].
Voltaire, à qui Rousseau avait envoyé son discours, lui fit une réponse assez caustique[n 26].
Discours sur l'Économie politique
Dans l'article Économie politique de l'Encyclopédie, paru peu après le Discours sur l'inégalité et qu'il a fait imprimer séparément en 1758, Rousseau développe son analyse des réalités économiques en prenant une position critique envers les travaux des économistes Melon et de Mandeville tout en préconisant des règles de finances publiques visant à réduire les inégalités. Ainsi, en matière d'impôt : « Celui qui n’a que le simple nécessaire, ne doit rien payer du tout ; la taxe de celui qui a du superflu, peut aller au besoin jusqu’à la concurrence de tout ce qui excède son nécessaire[sp 30] » La fiscalité ne doit pas avoir pour fonction d'enrichir l'État mais d'encourager les citoyens pauvres à produire et de réduire le luxe des riches[185].
Dans une section consacrée à l'éducation patriotique, Rousseau montre que l'amour de la patrie doit être fondé sur le respect de la liberté et de la propriété individuelle, de sorte que le citoyen voit que la défense de sa patrie est dans son intérêt personnel. Il estime « qu'on doit d'un même mouvement apprendre aux enfants et aux peuples l'amour de la patrie et celui de l'humanité[186]. »
Rousseau développe aussi la notion de volonté générale, faisant pendant à l'article Droit naturel rédigé par Diderot, en donnant à cette notion une teneur plus démocratique et populaire.
Lorsqu'il se réfugie à l'Ermitage en 1756, Rousseau emporte avec lui des cartons de manuscrits de l'abbé de Saint-Pierre, mort en 1743, que Mme Dupin — dont l'abbé avait été le mentor — lui a demandé de mettre en forme pour l'édition. Il en paraîtra la Polysynodie et le Projet de Paix Perpétuelle. Ce dernier ouvrage défend l'idée que le jeu des échanges commerciaux entre les États suffirait à maintenir la paix. Dans son Jugement sur le Projet de Paix, Rousseau analyse cette idée et la juge impraticable notamment parce que « Toute l’occupation des Rois, ou de ceux qu’ils chargent de leurs fonctions, se rapporte à deux seuls objets, étendre leur domination au-dehors & la rendre plus absolue au dedans [...] Les Ministres ont besoin de la guerre pour se rendre nécessaires[187]. »
Lettre à Voltaire sur la Providence (1756)
Répondant au Poème sur le désastre de Lisbonne dans lequel Voltaire met en doute la Providence, Rousseau défend celle-ci pour la consolation qu'elle nous offre et soutient que le malheur de l'homme est dû au fait qu'il s'est éloigné de la nature. Il avance aussi que le désordre que nous croyons voir dans la nature est dû au manque de précision de notre regard et invite Voltaire à rédiger un « code moral [...] qui fonderait la liberté des consciences et bannirait l'intolérance[188]. » Voltaire en accuse réception en septembre 1756 mais n'y répondra véritablement que trois ans plus tard, dans Candide[189]. Jean-Jacques témoigne encore d'une grande admiration pour le philosophe, mais les divergences iront en s'aggravant et se transformeront en une polémique publique après sa Lettre à d’Alembert contre le théâtre à Genève[190].
Lettres morales (1758)
Parfois appelées Lettres à Sophie, ces lettres sont écrites à la suite de son idylle avec Mme d'Houdetot, pour qui il avait éprouvé la grande passion de sa vie, ainsi qu'il s'en explique dans Les Confessions[sp 31]. Par ces lettres, Rousseau cherche à sublimer cet amour et à élaborer un code moral qui invite à renoncer « à lier l'amour aux sens pour le mener à la perfection[191]. »
Rousseau s'est très tôt intéressé au théâtre. Il commence sa production littéraire avec Narcisse ou l'Amant de lui-même, une comédie imaginée en 1729, écrite entre 1732 et 1740 et représentée à la Comédie-Française le 18 décembre 1752[192]. En 1743, il compose une autre comédie, Les Prisonniers de guerre, et une sorte de ballet chanté intitulé Les Muses galantes, sans grand succès[n 27]. En 1747, il compose Arlequin amoureux malgré lui et L’Engagement téméraire. Le succès arrive avec Le Devin du village (1752), qui connaît un triomphe, ainsi qu'il le rappelle : « [il] acheva de me mettre à la mode, et bientôt il n’y eut pas d’homme plus recherché que moi dans Paris[sp 32]. » Outre ces pièces, il a aussi composé trois tragédies : Iphis rédigée entre 1737 et 1740, La Découverte du Nouveau Monde (vers 1740) et La Mort de Lucrèce (1754), restée inachevée.
Le tome VII de l'Encyclopédie, sorti en octobre 1757, contient un article sur Genève peut-être inspiré en partie par Voltaire mais rédigé par d'Alembert et qui déplore que cette cité si moderne ne possède pas de théâtre[sp 33]. Surtout, d'Alembert reproche aux pasteurs calvinistes de rejeter le mystère, pourtant essentiel au sentiment religieux, et de tomber ainsi dans le socinianisme. Cet article irrite vivement le gouvernement de Genève et oppose la haute société protestante de la ville, qui est favorable au théâtre, aux simples citoyens qui n'ont pas les moyens de se payer ce luxe. Rousseau décide d'y répondre avec sa Lettre à M. d'Alembert (1758).
Prenant le parti du peuple, Rousseau présente le théâtre comme un fait social participant à la corruption des mœurs[193], s'opposant ainsi à la thèse soutenue par Cicéron, Corneille, Racine, Voltaire et Diderot selon laquelle un objet esthétique à la fois procure du plaisir et participe de la civilisation en promouvant la vertu et en enseignant la haine du vice[194]. Il adopte plutôt la thèse de Platon au chapitre X de La République selon laquelle l'art flatte la partie irrationnelle de l'âme et vise d'abord à plaire au public, annihilant tout travail éducatif[195] et esquivant toute finalité sociale[196]. En outre, considérant que la culture n'est pas uniforme et varie selon les peuples, il estime que ce qui peut convenir à Paris, où le théâtre s'est développé dans le cadre de la monarchie et de la cour, pourrait être néfaste à Genève[197], en invoquant des arguments économiques et moraux[198] : Genève est un État trop petit pour assumer l'entretien d'un théâtre; de plus, les dépenses des citoyens pour aller au théâtre sont « une espèce de taxe qui, bien que volontaire, n’en est pas moins onéreuse au peuple : en ce qu’elle lui fournit une continuelle occasion de dépense à laquelle il ne résiste pas[sp 34]. » Rousseau s'oppose aussi à Diderot qui, dans le Paradoxe sur le comédien, développe l'idée que la force d'un grand comédien réside dans sa capacité à jouer un rôle tout en restant lui-même et détaché de son personnage. Or, pour Rousseau, c'est là le sommet du mensonge et de la duplicité[199]. En fait, pour lui, dans une République, ce n'est pas le théâtre qu'il faut valoriser mais la fête[200] :
« Quoi ! Ne faut-il donc aucun spectacle dans une République ? Au contraire, il en faut beaucoup ! C'est dans les Républiques qu'ils sont nés… Mais quels seront enfin les objets de ces spectacles ? Qu'y montrera-t-on ? Rien, si l'on veut… Plantez au milieu d'une place un piquet couronné de fleurs, rassemblez-y le peuple, et vous aurez une fête[sp 35]. »
Cette lettre eut un grand succès de librairie. Tandis que d'Alembert y répond de façon courtoise, Voltaire fulmine, Grimm traite Rousseau de sophiste et, à Genève, les avis sont partagés, reflétant le clivage social et politique[201]. En dépit de cette condamnation du théâtre, il composera encore une pièce d'art lyrique en un acte, Pygmalion, écrite vraisemblablement en 1762, dans laquelle il reprend le thème qui lui est cher de l'indistinction sexuelle (voir plus bas La question féminine).
Représentation allégorique de l'auteur en train de composer son roman sous la forme d'un peintre, assis, aidé de l'Invention et d'un Amour qui allument sur sa tête le feu du génie pour l'aider à représenter la dame lumineuse qu'est la Nature, dont il présente une forme agrandie sur sa toile[n 28].
Au printemps 1756, après avoir terminé son travail sur le Projet de Paix Perpétuelle, Rousseau prend conscience que, pour réussir, une réforme politique doit commencer par une modification des préjugés et des mentalités. Pour ce faire, alors même qu'il avait auparavant dénoncé les « livres efféminés », il envisage maintenant d'écrire un roman afin d'atteindre un plus large public et particulièrement le public féminin[202],[203]. Ainsi qu'il s'en explique dans la seconde préface de son grand roman : « S’il y a quelque réforme à tenter dans les mœurs publiques, c’est par les mœurs domestiques qu’elle doit commencer ; et cela dépend absolument des pères et mères[sp 36]. » Par ailleurs, il estime qu'à la différence du théâtre, auquel il s'est opposé dans la Lettre à D'Alembert, l'œuvre romanesque est susceptible de rendre la vertu aimable à tous car elle met en scène des personnes ordinaires[204].
« Il appliqua sur sa main un baiser », illustration de Jean-Michel Moreau pour l'édition des Œuvres de Rousseau (Londres et Bruxelles, 1774-1783).
Après s'être essayé au genre romanesque avec Les Amours de Claire et de Marcellin (1756) et Le Petit Savoyard ou la vie de Claude Noyer, il s'attelle à un roman épistolaire qui deviendra Julie ou la Nouvelle Héloïse, l'un des plus grands succès de librairie du siècle. Dans Les Confessions, il soutient qu'il a écrit ce roman pour satisfaire dans la fiction un irrépressible désir d'aimer qu'il n'a pas pu satisfaire dans la réalité[205],[n 29]. D'une certaine façon, ce roman a une valeur consolatrice.
Rousseau voit dans son roman un moyen de dénoncer les inégalités sociales en s'adressant aux émotions des lecteurs et lectrices. Le thème central est de montrer comment l'amour se heurte à des préjugés périmés de condition sociale et de richesse, au mépris des sentiments, de la justice et de la véritable morale[n 30]. La critique de la noblesse passe aussi par la dénonciation du duel, de l'armée de métier et des conversations superficielles des salons. Rousseau aborde également l'éducation des enfants, les rapports des maîtres avec leurs valets, la nécessité de la bienfaisance, le suicide, l'économie domestique et politique, la gastronomie, l'art des jardins[206]... Au livre IV, avant Diderot, il critique le colonialisme et fait un bilan du monde dans lequel il souligne les oppositions de classe[207].
La trame du roman se présente comme suit : Saint-Preux, un jeune précepteur roturier, tombe amoureux de son élève Julie d'Étange et suscite chez elle un amour réciproque. Toutefois, les contraintes financières et sociales s'opposent à ce mariage car Saint-Preux est pauvre. Aussi Julie devra-t-elle se résigner à épouser Monsieur de Wolmar, un homme riche et athée, de trente ans son aîné. Dans ce roman, Rousseau introduit une distinction entre mariage et amour. Il estime en effet que bien que M. et Mme de Wolmar ne soient pas amoureux, ils doivent rester unis. Il écrit à ce propos : « Chaque fois que deux époux s'unissent par un nœud solennel, il intervient un nœud tacite de tout le genre humain de respecter ce lien sacré, d'honorer en eux l'union conjugale[sp 37] »[208]. Alors que chez Léon Tolstoï, grand admirateur de Rousseau, Anna Karénine meurt en s'abandonnant à sa passion et en quittant son mari, les époux Wolmar restent ensemble. Ils fondent la communauté de Clarens où règnent douceur et modération. Malgré tout, à la fin, Julie tombe malade et meurt en avouant ne pas avoir oublié Saint-Preux, qui mourra lui aussi. Le roman aura un succès considérable tant au XVIIIe siècle qu'au XIXe siècle[209].
Autre édition du Contrat Social (1762). La figure assise avec un sceptre dans la main gauche est une allégorie de l'Autorité ou de la Puissance[210]. De l'autre main, elle brandit un bonnet, symbole de la cérémonie d'affranchissement des esclaves chez les Romains. À ses pieds un chat, ennemi de la contrainte, évoque aussi la liberté[211].« Force n'est pas droit », gravure sur cuivre pour l'édition Didot-Bozarian du Contrat (1801).
Du Contrat social ou Principes du droit politique est publié en 1762. Au départ, Rousseau voulait écrire un livre intitulé Institutions politiques. Puis, il abandonne ce projet parce qu'il l'estime déjà traité par Montesquieu. Il entreprend alors d'écrire un livre théorique qui soit à même de fonder le droit politique[164]. Comparant le livre de Montesquieu et le sien, il écrit dans Émile, « l'illustre Montesquieu … se contenta de traiter du droit positif des gouvernements établis ; et rien au monde n'est plus différent que ces deux études[sp 38] »[212]. Le Contrat social vise en effet à fonder à la fois le droit politique et l'État. Selon Mairet, ce qui donne à cet ouvrage son statut unique c'est qu'à la manière de Platon, il « établit d'emblée la liaison de la vérité et de la liberté »[213]. La liberté est d'emblée posée comme une donnée essentielle et inaliénable :
« Renoncer à sa liberté c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs. Il n’y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l’homme[sp 39]. »
La notion de Contrat social ne doit pas s'entendre comme désignant un contrat formel entre individus mais comme l'expression de l'idée selon laquelle, « le pouvoir légitime pour gouverner n'est pas directement fondé sur un titre divin ou sur un droit naturel à gouverner, mais doit être ratifié (« autorisé ») par le consentement des gouvernés »[214].
Dans Du contrat social, Rousseau cherche à répondre à ce qu'il considère la question fondamentale de la politique : comment concilier la liberté des citoyens avec l'autorité de l'État — une autorité fondée sur la notion de souveraineté qu'il reprend à Bodin[215].
Prenant position contre Grotius et Hobbes pour qui la liberté peut s'aliéner parce que la vie est première, Rousseau soutient dans Du contrat social que la liberté est inaliénable car vie et liberté sont synonymes[216]. De même, alors que chez Hobbes, le peuple est constitué grâce à la terreur qu'exerce sur lui le pouvoir, chez Rousseau, le peuple se constitue grâce à un pacte social qui fonde son unité politique[217] : « la seule liaison légitime du droit et du fait consiste à partir du droit, fondé sur la liberté de chaque individu, et à chercher à faire passer le droit dans les faits[218]. » Il accuse ainsi Grotius et Hobbes d'utiliser une méthode « favorable aux Tyrans » qui est « d'établir toujours le droit par le fait[sp 40] »
À la différence de la position de Locke, Spinoza ou Hobbes, pour Rousseau, une fois le pacte passé, l'être humain perd tout droit naturel[219]. Il s'oppose sur ce point à l'école du droit naturel de Pufendorf, Grotius, Burlamaqui, Jean Barbeyrac, qui conçoivent « le droit politique, en tant que droit des sociétés civiles ». Ce que cherche Rousseau, ce n'est pas le droit des sociétés civiles, mais le droit de l'État[220].
Pour Gérard Mairet, la nouveauté radicale du Contrat social vient de ce qu'il affirme à la fois que le peuple est souverain et que la république est une démocratie[221]. Dans cet ouvrage, Rousseau veut absolument éviter que les êtres humains soient soumis à l'arbitraire des chefs, c'est pourquoi, comme il l'indique dans une lettre du adressée à Mirabeau, son but est de « trouver une forme de gouvernement qui mette la loi au-dessus des hommes »[222]. Il veut allier idéalisme politique et réalisme anthropologique. Il écrit à ce propos :
« Je veux chercher si, dans l'ordre civil, il peut y avoir quelque règle d'administration légitime et sûre, en prenant les hommes tels qu'ils sont et les lois telles qu'elles peuvent être. Je tâcherai d'allier toujours, dans cette recherche, ce que le droit permet avec ce que l'intérêt prescrit, afin que la justice et l'utilité ne se trouvent point divisées[sp 41],[223]. »
Le Contrat social comporte quatre livres. Les deux premiers sont consacrés à la théorie de la souveraineté et les deux derniers à la théorie du gouvernement[224].
Rousseau dénonce en note le fait que les inégalités sont ancrées dans le tissu même de la loi :
« Sous les mauvais gouvernemens cette égalité n’est qu’apparente et illusoire ; elle ne sert qu’à maintenir le pauvre dans sa misere & le riche dans son usurpation. Dans le fait les loix sont toujours utiles à ceux qui possedent & nuisibles à ceux qui n’ont rien : D’où il suit que l’état social n’est avantageux aux hommes qu’autant qu’ils ont tous quelque chose & qu’aucun d’eux n’a rien de trop[sp 42]. »
Comme le souligne Michel Launay, « l'imposture de la légalité bourgeoise et formelle y est dénoncée en même temps qu'est fondée sa légitimité contre un mal encore plus grand, celui du despotisme[225]. » Cet ouvrage plein d'ambiguïtés, ainsi que l'aurait reconnu Rousseau lui-même[n 31], a donné lieu à nombre d'interprétations contradictoires[226].
« Voilà la règle de la nature. Pourquoi la contrariez-vous ? ». Illustration pour l'Émile de Jean-Michel Moreau (1777).
Cet ouvrage commencé en 1758 et publié en 1762, en même temps que le Contrat social, est un des plus importants traités d'éducation — mais il a aussi été considéré comme un roman[n 32] — et marque une rupture radicale avec la conception traditionnelle de l'éducation. Rousseau s'inscrit ici dans la lignée de La République de Platon et des Aventures de Télémaque de Fénelon, qui mêlent politique et éducation[n 33]. Ce n'est pas son premier texte sur la question car, en 1740, il avait adressé au frère de Condillac et de l'Abbé de Mably un Mémoire présenté à M. de Mably sur l'éducation de M. son fils dans lequel il marquait son opposition aux châtiments corporels et affirmait que le vrai but de l'éducation d'un jeune homme est de le rendre heureux.
L'Émile va beaucoup plus loin et est rédigé en liaison organique avec ses écrits politiques, visant comme eux à changer l'homme et à entraîner dans la sphère privée des changements de mentalité qui mèneront à une société plus juste et moins inégalitaire[227]. Ce projet est clairement annoncé au début de l'ouvrage : « Les bonnes institutions sociales sont celles qui savent le mieux dénaturer l’homme[sp 43]. »
« La nature étalait à nos yeux toute sa magnificence ». Émile et le vicaire savoyard, Jean-Michel Moreau (1777).
L'Émile repose sur la conception fondamentale de Rousseau selon laquelle l'Homme est né bon mais que la société l'a corrompu. Ainsi pose-t-il comme « maxime incontestable que les premiers mouvements de la nature sont toujours droits : il n'y a point de perversité originelle dans le cœur humain. Il ne s'y trouve pas un seul vice dont on ne puisse dire comment et par où il y est entré »[sp 44],[228]. Il ne faut pas commencer par instruire car on risquerait alors de pervertir la nature humaine : « La première éducation doit donc être purement négative. Elle consiste, non point à enseigner la vertu ni la vérité, mais à garantir le cœur du vice et l’esprit de l’erreur »[sp 45]. Il faut laisser l'enfant être un enfant, en attendant qu'il grandisse et devienne adulte de manière naturelle[229]. En ce sens, Rousseau est le précurseur d'une pédagogie non directive et son concept d'« éducation négative » s'oppose à la transmission des savoirs que recommandait notamment Louise d'Épinay dans ses Lettres à mon fils, avec qui il avait manifestement débattu de la question[230].
L'éducation est divisée en cinq phases correspondant aux cinq livres de l'Émile[n 34].
Dans le livre I, qui traite des nouveau-nés, Rousseau insiste pour qu'on laisse le bébé à sa mère[n 35] et que celle-ci l'allaite elle-même au lieu de le confier à une nourrice comme c'était alors pratique courante[n 36]. Il est aussi très critique de la pratique ancienne[231] de l'emmaillotement qui, en rendant impossibles les mouvements du bébé, permettait à la mère ou à la nourrice de vaquer à d'autres occupations[sp 46].
Le livre II porte sur l'éducation des enfants de 2 à 10/12 ans. Un des grands principes est que « l'enfant ne doit rien obtenir parce qu’il le demande, mais parce qu’il en a besoin, ni rien faire par obéissance, mais seulement par nécessité. » Rousseau reproche ainsi à John Locke, dans ses Pensées sur l'éducation (1693), de vouloir trop tôt considérer l'enfant comme un être raisonnable[232] :
« Raisonner avec les enfans étoit la grande maxime de Locke ; c’est la plus en vogue aujourd’hui : son succès ne me paroit pourtant pas fort propre à la mettre en crédit ; & pour moi je ne vois rien de plus sot que ces enfans avec qui l’on a tant raisonné. De toutes les facultés de l’homme, la raison, qui n’est, pour ainsi dire, qu’un composé de toutes les autres, est celle qui se développe le plus difficilement & le plus tard[sp 47]. »
Au terme d'une longue démonstration, Rousseau déconseille notamment de faire rien apprendre par cœur, pas même des fables parce qu'elles sont à la fois trop difficiles à comprendre et qu'elles donnent des modèles de comportement détestables[sp 48]. Il faut plutôt lui faire observer et admirer de bons exemples de comportement[233]. Du même coup les livres sont à éliminer : « En ôtant ainsi tous les devoirs des enfants, j’ôte les instruments de leur plus grande misère, savoir les livres. La lecture est le fléau de l’enfance, & presque la seule occupation qu’on lui sait donner. À peine à douze ans Émile saura-t-il ce que c’est qu’un livre[sp 49]. »
Dans le livre III consacré aux 12 à 15/16 ans, « l'âge de force », l'accent est mis sur la curiosité et l'utile : « ce qui permet d'agir sur les choses, soit l'industrie, les arts mécaniques, les arts naturels, car c'est là ce qui permet de survivre[234]. »
L'éducation à la vie en société occupe aussi une bonne place car le gouverneur d'Émile met de l'avant l'égalité naturelle entre les personnes et ne veut pas distinguer « les états, les rangs, les fortunes » pour la bonne raison « qu’un Grand n’est pas plus grand qu’un homme du peuple ». Il prévoit même les bouleversements à venir : « Vous vous fiez à l’ordre actuel de la société, sans songer que cet ordre est sujet à des révolutions inévitables[sp 50]. »
Le livre IV traite de la puberté dominée par des conflits entre raison et passions. C'est seulement à cette étape que l'éducation doit donner une formation morale et permettre à l'adolescent d'intégrer le monde social. L'objectif final est de faire de lui « un homme naturel vivant dans la société » et non « un homme naturel vivant dans l'état de nature » ni un simple citoyen[235]. Ce livre aborde aussi des questions de métaphysique et de religion dans une importante section connue sous le titre La Profession de foi du vicaire savoyard et qui a été publiée à part[sp 51].
Enfin, le livre V traite du jeune adulte au moment où il s'initie à la politique et prend une compagne[236]. Il constitue, selon Launay, « une introduction à la lecture des œuvres politiques de Rousseau, plutôt qu'un résumé de ces derniers » confirmant une « liaison organique entre les réflexions morales ou psychologiques de Rousseau et ses réflexions politiques[227]. »
Illustrations choisies par Rousseau pour la première édition (1762)
Le Centaure Chiron entraînant Achille à la course. Émile, Livre II.
Hermès gravant des formules scientifiques sur les colonnes d'un temple. Émile, Livre III.
Orphée enseignant à l'humanité à prier. Émile, Livre IV.
Circé séduisant Ulysse, après avoir transformé ses compagnons en cochons. Émile, Livre V.
L'ouvrage a été condamné par le Parlement de Paris dans un jugement de 188 pages rendu le 9 juin 1762[237] invoquant des motifs religieux. La diffusion en est néanmoins très importante et l'ouvrage exercera une forte influence sur les mœurs, faisant de Rousseau le vainqueur d'un combat idéologique avec la cour et la coterie aristocratique[238]. Trente ans plus tard, Louis-Sébastien Mercier estime que c'est un ouvrage « nécessaire à l'homme et qu'il faudra consulter dans tous les siècles et dans tous les gouvernements[239]. » Selon le jeune Chateaubriand, ce livre « a opéré une révolution complète dans l'Europe moderne » en soulignant « le poids des conventions qui pèse sur l'individu[240]. » Rapidement traduit, son influence s'est vite étendue au-delà des frontières de la France[n 37].
Selon Jean Fabre, « les pédagogues modernes doivent à Rousseau le plus neuf et le plus solide de leurs inventions : dialectique des âges, théorie des seuils et paliers de l'enfance, éducation fonctionnelle, développement progressif mais global, méthodes actives, culture de l'effort, etc.[241] »
La musique fut une vocation contrariée de Rousseau. Initié à la pratique musicale par madame de Warens, il en vécut médiocrement durant son séjour à Paris, essentiellement en tant que copiste — activité dont il témoigne en ces termes : « Homme de lettres, j'ai dit de mon état tout le mal que j'en pense ; je n'ai fait que de la musique française, et n'aime que l'italienne ; j'ai montré toutes les misères de la société quand j'étais heureux par elle : mauvais copiste, j'expose ici ce que font les bons. Ô vérité ! mon intérêt ne fut jamais rien devant toi ; qu'il ne souille en rien le culte que je t'ai voué »[sp 53].
En 1749, Diderot invite Rousseau à participer au grand projet de l'Encyclopédie en lui confiant les articles sur la musique, tâche qu'il accepte avec enthousiasme[243]. Au fil des années, Rousseau rédigera seul ou en collaboration un total de 371 articles selon Wikisource[244] voire 400, selon le décompte de Michael O'Dea[245].
Rousseau est l'auteur d'un opéra-ballet, Les Muses galantes[246] — présenté chez le fermier généralLa Pouplinière en 1743[247], puis à l'Opéra en 1747, sans succès — et d'un mélodrame intitulé Pygmalion. Selon François-Joseph Fétis, « Rousseau est l'inventeur de ce genre d'ouvrage, où l'orchestre dialogue avec les paroles du personnage qui est en scène, et exprime les sentiments dont il est ému[248]. » Le catalogue des œuvres du philosophe compositeur comprend encore des fragments d'un ballet sur le thème de Daphnis et Chloé[248]. Il est aussi l'auteur d'un Dictionnaire de musique (1768) dont il se dit particulièrement fier[249].
Les historiens de la musique retiennent Le Devin du village (1752), comme un « intermède pastoral, dont les airs ne doivent leur naïveté qu'aux connaissances musicales élémentaires de leur auteur[246]. » Selon Paul Pittion, « l'Ouverture n'est qu'une suite d'airs de danse, mais certaines pages comme l'air de Colin, Je vais revoir ma charmante maîtresse, et les couplets L'art à l'amour est favorable ne sont pas sans charme »[246]. Ce petit opéra remporte même un réel succès : « il a été chanté par toute la France, depuis Jéliotte et MlleFel jusqu'au roi Louis XV, qui ne pouvait se lasser de répéter J'ai perdu mon serviteur, avec la voix la plus fausse de son royaume[250]. » Le roi était disposé à accorder une pension à Rousseau, mais celui-ci refusa de se rendre à l'audience royale. C'est à cette occasion qu'éclata la première dispute avec Diderot, qui le pressait d'accepter l'offre royale[251].
La postérité ne s'est pas montrée favorable envers Rousseau compositeur[252]. Dans ses Mémoires, Hector Berlioz plaint ce « pauvre Rousseau, qui attachait autant d'importance à sa partition du Devin du village, qu'aux chefs-d'œuvre d'éloquence qui ont immortalisé son nom, lui qui croyait fermement avoir écrasé Rameau tout entier, voire le Trio des Parques, avec les petites chansons, les petits flonflons, les petits rondeaux, les petits solos, les petites bergeries, les petites drôleries de toute espèce dont se compose son petit intermède[253]. »
Dans l'histoire de la musique française, en effet, Rousseau est principalement retenu comme critique et adversaire de Rameau[254], qui le considère, de son côté, comme un « pauvre fou, qui n'est pas si méchant qu'on le croit »[sp 54]. L'opéra, qui se présente alors comme une « expression glorieuse du « spectacle divertissement » tel que le conçoit le régime aristocratique versaillais » selon Jean Malignon[255], devient la cible de diverses querelles, dont la « querelle des Bouffons » où les encyclopédistes poursuivent des buts différents : « à travers le rideau prétexte de l'Opéra, Diderot vise l'esprit même de Versailles, Grimm vise l'esprit français tout entier, et Rousseau vise un homme[256]. »
Dans sa Lettre sur la musique française, publiée en 1753, c'est bien l'auteur d'Hippolyte et Aricie qu'il attaque pour ses théories sur l'harmonie : « C'est donc un principe certain et fondé dans la nature, que toute musique où l'harmonie est scrupuleusement remplie, tout accompagnement où tous les accords sont complets, doit faire beaucoup de bruit, mais avoir très-peu d'expression : ce qui est précisément le caractère de la musique française »[sp 55].
Rousseau conclut cette Lettre de manière particulièrement tranchante, qui provoqua un tel scandale que les acteurs et les musiciens de l'Opéra brûlèrent son auteur en effigie dans la cour de l'Académie royale de musique[248],[n 38]:
« Je crois avoir fait voir qu'il n'y a ni mesure ni mélodie dans la musique française, parce que la langue n'en est pas susceptible ; que le chant français n'est qu'un aboiement continuel, insupportable à toute oreille non prévenue ; que l'harmonie en est brute, sans expression, et sentant uniquement son remplissage d'écolier ; que les airs français ne sont point des airs ; que le récitatif français n'est point du récitatif. D'où je conclus que les Français n'ont point de musique et n'en peuvent avoir, ou que, si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux[sp 56]. »
Air sur trois notes, publié posthumément dans les Consolations des misères de ma vie (1781). Selon Jenny Batlay, « personne avant Rousseau n'avait osé écrire un air avec une telle économie de moyens. C'est un tour de force d'avoir réussi à créer un air si expressif — malgré une monotonie voulue mais jamais excessive — avec une telle économie de moyens. »[257]Planche du Dictionnaire de musique (1768).
Pour les musicologues modernes, les attaques de Grimm et de Rousseau contre l'art de Rameau « confinent à la niaiserie »[258]. Berlioz en vient à considérer comme un trait de « perfidie facétieuse » les éloges de Gluck adressés à la musique de Rousseau en présence de Marie-Antoinette[250]. Au début du XXe siècle, Claude Debussy raille encore « la naïve esthétique de Jean-Jacques Rousseau »[259] et ses « raisons — pas très valables — d'en vouloir à Rameau »[260]. Un de ses amis, le critique Louis Laloy écrit : « Pour le citoyen de Genève, toute musique qu'il ne saurait écrire lui-même est « gothique » »[261]. En 1977, Antoine Goléa considère que les ouvrages de certains compositeurs français, « les Philidor, les Monsigny, les Grétry, justifieraient, à la rigueur, le placet de Rousseau, sublime à force d'être ridicule[262] », tout en critiquant l'attitude rétrograde du philosophe : « Rousseau pensait à Rameau, pensait au langage harmonique et au contrepoint qu'il traite de « reste de barbarie ». Au temps de Berlioz, il eût été pour Adam — au temps de Debussy, pour Saint-Saëns et Ambroise Thomas[262] ».
Considérant l'évolution esthétique de la tragédie lyrique vers l'opéra, Jean Malignon relève néanmoins le rôle de Rousseau critique : « Laissons là pour une fois sa Lettre sur la musique française, citée abondamment — et, hélas, exclusivement — par les historiens de Rameau, pour ouvrir plutôt sa Lettre à d'Alembert sur les spectacles. Quel mordant ! Un chef-d'œuvre ! D'un seul revers de sa plume d'oie, il balaie toutes « ces pleureuses de loge, si fières de leurs larmes ». Jolie trouvaille, au demeurant ! Par malchance, il s'agit au total d'un ouvrage de méchante humeur », mais qui apporte « la clef d'un malentendu pénible, inexplicable, qui pendant tout le XIXe siècle a séparé Rameau du public français[263] ».
En effet, « l'âme dont parle ici le Genevois Rousseau représente quelque chose d'assez rare encore à l'époque. Il n'est pas jusqu'à la façon de prononcer le mot qui ne rende un son neuf[263] ». François-Joseph Fétis offre également un portrait nuancé : « Sans être savant dans la théorie et dans l'histoire de la musique, sans avoir possédé une connaissance pratique de l'harmonie et du contrepoint, sans avoir même été assez habile lecteur pour déchiffrer une simple leçon de solfège, Jean-Jacques Rousseau exerça une grande influence sur la musique de son temps en France […] Dans l'esthétique de la musique, il eut d'ailleurs des vues justes, élevées, et ce qu'il en a écrit n'a pas été sans fruit pour la réforme du goût des français dans cet art[264]. »
Rousseau est par ailleurs considéré comme un des fondateurs de l'ethnomusicologie quand, dans son Dictionnaire de musique, il transcrit « deux chansons des sauvages de l’Amérique » pour mettre le lecteur « à portée de juger des divers Accens musicaux des Peuples »[265].
Le conseiller des peuples
En 1763, alors qu'il est plus ou moins reclus, il accède à la demande d'un citoyen corse proche du pouvoir et rédige un Projet de constitution pour la Corse afin d'aider le pays, qui avait proclamé son indépendance en 1755, à se donner des institutions. Inachevé, ce texte montre que Rousseau s'est documenté et qu'il « tient compte des réalités concrètes de l'île, de sa tradition rurale et de sa pauvreté[266]. » Il encourage le développement de l'agriculture car celle-ci, en plus de rendre le pays indépendant, « forme des hommes patients et robustes tels qu'il les faut pour devenir bons soldats[sp 57]. » Il prévoit une objection : « Le commerce produit la richesse mais l'agriculture assure la liberté. On dira qu'il vaudrait mieux avoir l'une et l'autre à la fois mais elles sont incompatibles comme il sera montré ci-après[sp 58]. » Il faut cultiver dans la population le sentiment national : « Tout peuple a ou doit avoir un caractère national et s'il en manquait il faudrait commencer par le lui donner[sp 59]. » Surtout, il affirme un principe fondamental : « Il faut que tout le monde vive et que personne ne s'enrichisse[sp 60]. »
Il se livre à un travail similaire à propos de la Pologne, où la Russie avait installé un pouvoir fantoche. En 1771, ayant été présenté par le pouvoir français à des nationalistes polonais, il commence à rédiger sur leur demande ses Considérations sur le gouvernement de Pologne. Pour survivre, la Pologne « devait refuser farouchement l'assimilation, maintenir et renforcer sa différence[267] » : « Un enfant en ouvrant les yeux doit voir la patrie & jusqu’à la mort ne doit plus voir qu’elle[sp 61]. »
Textes de botanique
Jean-Jacques Rousseau herborisant à Ermenonville par Georg Friedrich Meyer (1778).
L’œuvre de Jean-Jacques Rousseau sur la botanique comprend de nombreux textes : Les Lettres (élémentaires) sur la botanique à Madame Delessert[sp 62] (1771 à 1774), un dictionnaire inachevé sur les termes de botanique (1770 mais probablement 1777) avec 184 termes[sp 63],[n 39], plusieurs manuscrits sur la botanique, de nombreux herbiers[268] et une riche correspondance avec des savants de plusieurs pays européens[269].
Fidèle au célèbre naturaliste suédois Carl von Linné, Rousseau n’en développe pas moins une philosophie naturaliste qui lui est propre. « Je ne connais point d’étude au monde qui s’associe mieux à mes goûts naturels que celle des plantes, et la vie que je mène depuis dix ans à la campagne n’est guère qu’une herborisation continuelle[sp 64] »[270].
C’est lors de son exil en Suisse en 1762 à Môtiers dans le canton de Neuchâtel, que Jean-Jacques Rousseau se passionne pour la botanique. Il le fait en compagnie du médecin de Neuchâtel Jean-Antoine d’Ivernois, du notable Pierre-Alexandre DuPeyrou, du docteur Frédéric-Samuel Neuhaus et surtout du naturaliste Abraham Gagnebin, un excellent botaniste. Il constitue son premier herbier et il acquiert des ouvrages de botanique pour parfaire ses connaissances autour de l’ouvrage de référence au XVIIIe siècle Systema naturae de Charles von Linné. Dans sa lettre à François-Henri d’Ivernois en 1765, il confie « Je raffole de la botanique : cela ne fait qu’empirer tous les jours. Je n’ai plus que du foin dans la tête, je vais devenir plante moi-même un de ces matins »[271].
Chassé de la Suisse, Rousseau s’installe en Angleterre en 1766 dans le petit village de Wootton Hall. Il rencontre la duchesse de Portland, férue de botanique et il poursuit sa collecte des plantes. Il lui enverra par la suite des herbiers portatifs et entretiendra une longue correspondance avec elle[272].
Dans chaque lieu où il s’installe, il n’a de cesse de récolter, d’identifier et de trier, réalisant des herbiers ; notamment à la Grande-Chartreuse (1768), à Maubec (1769), au Mont-Pilat (1769)[274] et à Paris (1770 à 1778). Quelques semaines avant sa mort en 1778, il réalise ses dernières planches d’herbier à Ermenonville en compagnie du fils du marquis René-Louis de Girardin[275],[276].
Les descriptions de Rousseau sont scientifiques, il met un soin maniaque à décrire les fleurs, les pétales, les pistils, mais elles traduisent également son amour de la nature. Il fait preuve d’une étonnante inventivité lorsqu’il rédige des lexiques de termes botaniques en usage à son époque ou lorsqu’il met au point un ingénieux système de « sténographie » pour les transcrire dans le but de s'adonner plus commodément à l'herborisation[277].
Les Lettres (élémentaires) sur la botanique sont une série de huit lettres à la fois simples et méthodiques qu'il adresse entre 1771 et 1774 à Madeleine-Catherine Delessert, afin qu'elle puisse initier sa fille Madelon, âgée de cinq ans, à la connaissance et à l'amour des fleurs. Pour lui, il s'agit autant d'apprendre à bien voir ce que l'enfant regarde, que de lui enseigner des termes de nomenclature. Ces lettres connaissent au début du XIXe siècle un succès européen, car jusqu'à Rousseau, les livres de botanique étaient écrits par des savants pour des savants[273].
La « cabane du philosophe », fabrique du Désert (partie nord-ouest du parc d'Ermenonville), où Jean-Jacques Rousseau passait de longues heures lors de son séjour en 1778. Gravure de Motte, vers 1810.
La rédaction des Confessions s'échelonne de 1763 ou 1764 à 1770. Même s'il y est évoqué des fautes passées, tel l'épisode du ruban volé[sp 65], les Confessions sont moins des confessions au sens augustinien, qu'une sorte d'autoportrait à la Montaigne. L'objet du livre « est de faire connaître exactement mon intérieur dans toutes les situations de ma vie. C'est l'histoire de mon âme que j'ai promise[sp 66] »[278]. Ce livre, qui a connu plusieurs brouillons, marque une date importante selon Jean Fabre :
« Pour la première fois dans l'histoire de la littérature, un homme avec ce livre est allé droit à l'essentiel : dire non ce qu'il a fait ou pensé, mais ce qu'il a été. [Par ce livre] Rousseau invite tout homme à tisser comme lui-même la trame de sa vie[279]. »
Les Confessions montrent en outre, selon le même auteur, « cette étonnante propriété de la mémoire : que le souvenir est plus réel que la sensation » et aussi que l'écriture peut servir de refuge, apportant « le moyen de traduire et de fixer le bonheur[280]. »
Entre 1772 à 1776, il travaille à écrire Rousseau juge de Jean-Jacques, aussi intitulé Dialogues, où il retrace l'évolution de sa pensée. L'ouvrage paraît partiellement en 1780 et suscite un certain malaise car Rousseau y dénonce un complot qui serait mené contre lui par Grimm, Voltaire, d'Alembert et David Hume[281]. Dans cet écrit, Rousseau dialogue avec Jean-Jacques qui représente le Rousseau tel que le voient ses ennemis et un troisième personnage appelé « le Français » qui représente l'opinion publique, c'est-à-dire quelqu'un qui n'a pas rencontré Rousseau, ni lu ses livres. C'est ce personnage qu'il veut convaincre[282].
Les Rêveries du promeneur solitaire sont écrites entre 1776 et 1778, jusqu'à la mort de Rousseau. Si dans ce livre, la vie est « constituée en objet philosophique »[283], des contradictions sont visibles entre son projet politique qui vise à intégrer le citoyen dans la vie politique et l'inclination profonde de Rousseau. Il écrit « […] Je n'ai jamais été vraiment propre à la société civile où tout est gêne, obligation, devoir, et […] mon naturel indépendant me rendit toujours incapable des assujettissements nécessaires à qui veut vivre avec les hommes[sp 67] »[284].
Le statut de ces textes pose un problème. Pour Alexis Philonenko, la philosophie de Rousseau « face à l'obstacle a reflué vers une théorie de l'existence individuelle ». Au contraire, pour Géraldine Lepan, ces œuvres « peuvent être lues comme le complément nécessaire du « triste et grand système » issu de l'Illumination de Vincennes »[285]. L'objectif serait toujours le même : « dévoiler le moi sous les déformations sociales »[286].
Dans ces derniers ouvrages, Rousseau décrit les persécutions qu'il dit avoir subies pendant plusieurs décennies. Il se méfiait de tout le monde et vivait dans la terreur, soupçonnant même ses amis les plus fidèles et voyant dans les coquilles d'une épreuve de son roman la preuve que l'éditeur faisait partie de la conspiration[287]. S'étant aliéné ses anciens amis, notamment Diderot, il craint que ceux-ci ne cherchent à lui nuire[288]. Pour la plupart des commentateurs, il s'agit là d'une forme de paranoïa. D’autres, à l'instar de Musset-Pathay ou de G. H. Morin, ont défendu l'hypothèse d’un complot généralisé, fomenté par le pouvoir en place[289]. À la suite des travaux de Habermas sur la constitution de l'opinion publique comme force politique au XVIIIe siècle, on tend maintenant à voir dans Rousseau juge de Jean-Jacques une clé de lecture que l'auteur a donnée de son œuvre et dont l'Émile est la synthèse finale[290].
Selon George Armstrong Kelly, Rousseau aborde le puzzle de l'histoire de la façon la plus antithétique qui soit : l'aspect moral. Pour Rousseau, l'histoire est à la fois un recueil d'exemples et une succession d'états des facultés humaines qui évoluent en fonction des défis du temps[291]. L'histoire, pour le citoyen de Genève, n'est jamais un point de départ, mais au contraire le moyen d'étendre une tension qui lui est propre à l'humanité vue comme un tout. Le philosophe n'utilise pas les données pour s'interroger sur leur sens, il les utilise pour appuyer ses propres convictions[292]. Dans l'Émile, Rousseau défend l'idée que nos impressions sur le passé doivent être utilisées à des fins éducatives, et non pour cultiver un savoir théorique. Sur ce point, il se démarque de Jean le Rond d'Alembert qui avait une vue plus objective de l'histoire qu'il voyait comme devant donner à la postérité un spectacle dépassionné des vices et des vertus[292]. Au contraire, Rousseau écrit dans son Histoire de Lacédémone :
« Je me soucie fort peu qu'on me reproche d'avoir manqué de cette froideur grave recommandée aux historiens […] comme si la principale utilité de l'histoire n'était pas de faire aimer avec ardeur tous ses gens de bien et détester les méchants[293]. »
Pour Jean Starobinski, d'une certaine façon, l'histoire conjecturale chez Rousseau vise à proposer une histoire alternative à celle du christianisme. Cet auteur note que, dans le Discours sur l'inégalité (1755), « Rousseau recompose une « genèse » philosophique où ne manque ni le jardin d'Éden ni la faute, ni la confusion des langues. Version laïcisée, « démythifiée » de l'histoire des origines, mais qui, en supplantant l'Écriture, la répète dans un autre langage »[183]. De sorte que l'état de nature peut être vu comme une reconstruction imaginaire qui se substitue au mythebiblique du jardin d'Éden dans le Livre de la Genèse. Au début du Ve siècle, l'expulsion des hommes du paradis terrestre — pour avoir mangé du fruit défendu de l'arbre de la connaissance du bien et du mal — avait inspiré au théologienchrétienAugustin d'Hippone la doctrine du péché originel. Même s'il rejetait celle-ci, Rousseau y réfère explicitement dans la note 9 du Discours sur l'inégalité[sp 68].
Pour Victor Goldschmidt, Rousseau radicalise la méthode conjecturale utilisée par ses contemporains en considérant comme un fait certain que l'état de nature ait existé. Son principal problème est d'expliquer le passage de cet état naturel à la société civile par des causes purement naturelles à partir de conjectures physiques (santé et égalité biologique), métaphysiques (la perfectibilité et une liberté purement virtuelle) et morales (l'amour de soi, la pitié et l'amour)[176].
De l'état de nature à la société civile ou politique
Thomas Hobbes un penseur auquel Rousseau s'oppose en s'en inspirant. « Le célèbre Anglais Thomas Hobbes, professeur académique de Son Altesse le prince de Galles », gravure anonyme pour l'édition de 1647 du De Cive.
Comme Thomas Hobbes et John Locke et d'autres penseurs de l'époque, mais à l'inverse de Platon, Aristote, Augustin d'Hippone, Nicolas Machiavel et d'autres, le point de départ de la philosophie de Rousseau est l'état de nature[294]. Mais Rousseau ne considère pas les hommes qui de son temps vivaient en tribus en Amérique comme étant à l'état de nature : pour lui, ils sont à un stade plus avancé. Pour penser l'être humain à l'état naturel, il faut remonter plus loin et imaginer quelque chose qui n'a peut-être jamais existé et qui est absolument hors d'atteinte[295]. Rousseau écrit qu'il va considérer l'être humain « tel qu'il a dû sortir des mains de la Nature », ce faisant écrit-il « je vois un animal moins fort que les uns, moins agile que les autres, mais à tout prendre, organisé le plus avantageusement de tous[sp 69]. »
Selon Victor Goldschmidt, il y a d'abord un passage de l'état naturel à la société naturelle qu'il nomme aussi « jeunesse du monde » sans « impulsion étrangère » uniquement parce que « le mouvement imprimé à l'état de nature se poursuit de son propre élan ». Par contre le passage de la société naturelle à la société civile s'explique par plusieurs impulsions étrangères[176]. Tout d'abord, le développement des techniques agricoles et métallurgiques entraîne l'appropriation et la division des tâches. Par ailleurs, des phénomènes naturels extraordinaires tels que les éruptions volcaniques viennent changer l'environnement physique des hommes. Tous ces bouleversements entraînent une exacerbation des passions humaines. Alors, pour éviter le pire, l'homme doit prendre une décision non naturelle et passer un contrat social[176]. Pour Jean Starobinski, le passage de l'état de nature à la société civile d'avant le contrat social s'effectue en quatre phases :
l'homme oisif vivant dans un habitat dispersé qui peu à peu s'associe en horde[296] ;
la première révolution : l'humanité entre dans l'ordre patriarcal et les familles peuvent se regrouper. Pour Rousseau, cette période est celle de l'âge d'or[296] ;
l'ordre patriarcal cède la place à un monde marqué par la division des tâches qui fait perdre à l'homme son unité. Les plus violents ou les plus habiles deviennent les riches et les autres les pauvres[297] ;
la guerre de tous contre tous[298] entendue par Rousseau dans un sens à la Hobbes[299].
À l'issue de ce processus, l'établissement d'un contrat social permet de sortir de l'état de guerre et de réaliser une société civile marquée par l'inégalité. Jean Starobinski écrit à ce propos : « stipulé dans l'inégalité, le contrat aura pour effet de consolider les avantages du riche, et de donner à l'inégalité valeur d'institution »[298]. Dans Du contrat social, Rousseau cherche à sortir de ce premier contrat social inégalitaire à travers le concept de volonté générale qui permettra, selon l'expression de Christopher Bertram, « à chaque personne de bénéficier de la force commune tout en restant aussi libre qu'ils l'étaient dans l'état de nature »[299]. Bref, pour Rousseau, l'État est le moyen de sortir du mal que constitue la société. Pour Victor Goldschmidt, il ne faut pas trop insister sur l'opposition entre le contrat du Discours et celui du Contrat Social car chez les deux l'inégalité est présente[176].
Selon l'analyse de Victor Goldschmidt, Rousseau a dès lors « découvert la contrainte sociale, le rapport […] social […], la vie et le développement autonomes de ces structures […], c'est-à-dire leur indépendance à l'égard des individus et, corrélativement, la totale dépendance de ces mêmes individus à l'égard de ces structures auxquelles ils sont forcés de se soumettre contrairement à leur intention personnelle et en contradiction avec l'idéologie officielle[300]. »
Amour-propre et pitié ou la fin de l'homme naturellement bon
L'Introduction à la connaissance de l'esprit humain de Vauvenargues (1746) dont s'est inspiré Rousseau pour la distinction entre « amour propre » et « amour de nous-mêmes »[301].
Rousseau répète à plusieurs reprises que l'idée selon laquelle l'homme est naturellementbon et que la société le corrompt, domine sa pensée. La question qui vient alors à l'esprit est la suivante : comment le mal peut-il apparaître dans une société composée d'hommes bons ?[302] L'adjectif « bon » ne signifie pas qu'à l'origine les hommes soient naturellement vertueux et bienfaisants mais, selon John Scott, qu'en l'homme « existerait à l'origine un équilibre entre les besoins et passions et la capacité à les satisfaire », et ce serait cet équilibre qui ferait l'homme « bon pour lui-même et non dépendant des autres », car précisément c'est la « dépendance vis-à-vis des autres qui fait les hommes mauvais »[303].
Rousseau avance que pour permettre la préservation de l'espèce, les créatures sont dotées de deux instincts, l'amour de soi et la pitié. L'amour de soi leur permet de satisfaire leurs besoins biologiques, tandis que la pitié les conduit à prendre soin des autres. Notons que, si la pitié est, dans le Discours sur l'inégalité, un instinct indépendant, dans l'Émile et dans l'Essai sur l'origine des langues, elle n'est considérée que comme un prolongement de l'amour de soi vu comme l'origine de toutes les passions[304].
La chute, ou le mal, s'introduit chez l'homme avec l'apparition de l'amour-propre, apparition d'ailleurs liée à la compétition sexuelle pour attirer un(e) partenaire. Rousseau écrit dans la note 15 du Discours sur l'origine des inégalités :
« L'amour de soi-même est un sentiment naturel qui porte tout animal à veiller à sa propre conservation et qui, dirigé dans l'homme par la raison et modifié par la pitié, produit l'humanité et la vertu. L'Amour-propre n'est qu'un sentiment relatif, factice, né dans la société, qui porte chaque individu à faire plus de cas de soi que de tout autre, qui inspire aux hommes tous les maux qu'ils se font mutuellement et qui est la véritable source de l'honneur[305]. »
En résumé, l'amour-propre pousse les êtres humains à se comparer, à chercher à être supérieurs aux autres, ce qui engendre des conflits. Toutefois, si on regarde la façon dont Rousseau traite la question en partant de l'Émile, on peut observer que l'amour-propre est à la fois l'instrument de la chute de l'homme et de la rédemption[304]. En effet, dans ce livre, l'amour-propre est la forme que prend l'amour de soi dans un environnement social. Si, chez Rousseau, l'amour-propre est toujours vu comme dangereux, il est possible de contenir ce mal grâce à l'éducation et grâce à une bonne organisation sociale, comme on les trouve exposées respectivement dans l'Émile et le Contrat social[306].
Même si l'amour-propre prend sa source dans la compétition sexuelle, il ne révèle son plein potentiel de dangerosité que lorsqu'il est combiné à l'interdépendance économique qui se développe lorsque les individus vivent en société. En effet, dans ce cas, les êtres humains vont à la fois chercher les biens matériels et la reconnaissance, ce qui les conduit à entretenir des relations sociales marquées par la subordination de certains et par le désir d'atteindre ses fins quels que soient les moyens employés. De sorte que sont menacées à la fois la liberté des êtres humains et leur estime de soi[306].
Passions, raison et perfectibilité
Représentation idéalisée de l'état de nature des « sauvages de la mer du Pacifique » par Jean-Gabriel Charvet. Rousseau précise dans le Discours sur l'origine de l'inégalité qu'il s'agit d'un état qui « n'existe plus, qui n'a peut-être jamais existé, qui probablement n'existera jamais » et ajoute plus loin que « le premier homme, ayant reçu immédiatement de Dieu des lumières et des préceptes, n’était point lui-même dans cet état[sp 70] ».
À la différence d'Aristote, mais comme pour Thomas Hobbes et John Locke, la raison est chez Rousseau subordonnée aux passions et notamment à l'amour-propre[307]. Par ailleurs, les passions et la raison évoluent en fonction de leur dynamique propre. Au départ, à l'état de nature, l'être humain n'a que peu de passions et de raison. Rousseau note à propos des hommes à l'état de nature — qu'il appelle les sauvages — qu'ils « ne sont point méchants précisément parce qu’ils ne savent ce que c’est que d’être bons ; car ce n’est ni le développement des lumières, ni le frein de la Loi, mais le calme des passions et l’ignorance du vice qui les empêche de mal faire »[308]. La dynamique des passions et de la raison qui conduit à leur évolution est explicitée dans le passage suivant :
« Quoi qu’en disent les Moralistes, l’entendement humain doit beaucoup aux Passions, qui, d’un commun aveu, lui doivent beaucoup aussi : C'est par leur activité, que notre raison se perfectionne ; Nous ne cherchons à connaître que parce que nous désirons jouïr, et il n'est pas possible de concevoir pourquoi celui qui n'aurait ni désirs ni craintes se donnerait la peine de raisonner. Les Passions, à leur tour, tirent leur origine de nos besoins, et leurs progrès de nos connaissances; car on ne peut désirer ou craindre les choses, que sur les idées qu'on peut en avoir, ou par la simple impulsion de la Nature; et l'homme sauvage, privé de toute sorte de lumière, n'éprouve que les Passions de cette dernière espèce[308]. »
Pour Rousseau, le trait dominant de l'homme, ce n'est pas la raison mais la perfectibilité[309]. Sur la différence entre l'être humain et l'animal, il écrit « Il y a une autre qualité très spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation, c'est la faculté de se perfectionner ; faculté qui, à l'aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l'espèce, que dans l'individu, au lieu qu'un animal est, au bout de quelques mois, ce qu'il sera toute sa vie »[310]. S'il est un des premiers, voire le premier, à utiliser le mot perfectibilité, ce mot n'a pas pour lui qu'un aspect positif mais a le plus souvent un aspect négatif, car la perfectibilité est seulement la capacité de changer, ce qui conduit le plus souvent à la corruption[311].
Vertu et conscience
Selon Georges Armstrong Kelly, « Rousseau se réfère à la « sagesse » comme le siège de la vertu, la conscience qui ne crée pas de lumière, mais plutôt qui active le sens de l'homme des proportions cosmiques »[312]. Pour Rousseau, la vérité morale est l'élément unificateur de toute réalité. Les connaissances ne sont que de fausses lumières, de simples projections de l'amour-propre, si elles ne sont pas enracinées, comme chez lui, dans une certitude intérieure[313]. Dans le cas contraire, la raison peut être corrompue par les passions et se transformer en raisonnements faux qui flattent l'amour-propre. Si la raison peut permettre d'accéder à la vérité, seule la conscience, qui impose l'amour de la justice et de la moralité de façon quasi esthétique, peut la faire aimer. Le problème, pour lui, est que la conscience fondée sur une appréciation rationnelle d'un ordre tracé par un Dieu bienveillant est chose rare dans un monde dominé par l'amour-propre[314].
Jean Fabre souligne la précision des concepts utilisés : « Il suffit de se reporter aux admirables définitions que propose Rousseau des mots et des notions clés : souveraineté, prince, gouvernement, etc. et de les opposer au confusionnisme habituel aux juristes de son époque, de vérifier la précision et la pertinence de sa terminologie politique [...] pour se persuader qu'un pareil livre fait écho à une expérience[315]. »
Termes
Définitions et/ou signification des termes pour Rousseau
Amour de la patrie
« Sentiment doux et vif qui joint la force de l'amour-propre à toute la beauté de la vertu[sp 71]. » Efficace pour aider les gens à se conformer à la volonté générale.
Corps politique
« corps organisé, vivant, & semblable à celui de l’homme. Le pouvoir souverain représente la tête ; les lois & les coûtumes sont le cerveau [...] dont les juges & magistrats sont les organes ; le commerce, l’industrie, & l’agriculture, sont la bouche & l’estomac [...] ; les finances publiques sont le sang qu’une sage économie, en faisant les fonctions du cœur, renvoye distribuer par tout le corps la nourriture & la vie ; les citoyens sont le corps & les membres qui font mouvoir, vivre, & travailler la machine. »« Le corps politique est donc aussi un être moral qui a une volonté[sp 72]. » Son établissement se réalise grâce à un vrai contrat par lequel les deux parties s'obligent à l'observation des lois.
Corruption du peuple et des chefs
« Comme tous les intérêts particuliers se réunissent contre l’intérêt général qui n’est plus celui de personne, les vices publics ont plus de force pour énerver les lois, que les lois n’en ont pour réprimer les vices; & la corruption du peuple & des chefs s’étend enfin jusqu’au gouvernement[sp 73]. »
Gouvernement
« quoique le gouvernement ne soit pas le maître de la loi, c’est beaucoup d’en être le garant & d’avoir mille moyens de la faire aimer[sp 74]. »
Législateur
« le premier devoir du législateur est de conformer les lois à la volonté générale[sp 74]. »
Loi
a sa source dans la volonté générale « qui tend toujours à la conservation & au bien-être du tout & de chaque partie, & qui est [...] pour tous les membres de l’état par rapport à eux & à lui, la règle du juste & de l’injuste[sp 72]. » Synonyme de raison publique. S'oppose à la raison privée qui vise des intérêts particuliers.
Souveraineté
autorité suprême, dont procède le droit législatif[sp 72]. Avec Rousseau, la souveraineté, c'est-à-dire la « puissance absolue et perpétuelle » passe du monarque au peuple[316].
Vertu
« tout homme est vertueux quand sa volonté particulière est conforme en tout à la volonté générale[sp 73]. » Ses principes sont gravés dans tous les cœurs.
Volonté générale
« tend toûjours à la conservation & au bien-être du tout & de chaque partie[sp 72]. » C'est la voix du peuple lorsqu'il ne se laisse pas séduire par les intérêts particuliers[sp 75].
Volonté générale
Volonté et généralité
Numa Pompilius, le fondateur de nombre d'institutions religieuses et politiques romaines, consultant les dieux. Gravure de Bernhard Rode.
La volonté générale est le concept clé de la philosophie politique de Rousseau. Mais cette expression est faite de deux termes — volonté et généralité — dont il convient de préciser le sens, si l'on veut bien comprendre la pensée du citoyen de Genève[317].
La volonté, chez Rousseau, comme chez tous les « volontaristes » venant après le livre Du libre arbitre d'Augustin d'Hippone, doit être libre pour avoir une valeur morale. La liberté s'entend d'abord comme la non soumission à l'autorité d'autres hommes comme c'est le cas du pouvoir paternel ou du pouvoir du plus fort[318]. Toutefois, Rousseau doute que la volonté seule puisse conduire les hommes à la morale. Selon lui, les hommes ont besoin soit de grands législateurs comme Moïse, Numa Pompilius (Rome) ou Lycurgue (Sparte), soit d'éducateurs pour que la volonté s'oriente vers le bien tout en restant libre[319].
La notion de « volonté générale » existait déjà chez Arnauld, Pascal, Malebranche, Fénelon, Bayle ou Leibniz mais elle désignait la volonté générale de Dieu, alors que pour Rousseau, il s'agit de la volonté générale des citoyens. Bref, le philosophe laïcise et démocratise l'expression[320] tout en s'opposant à Diderot qui, dans l'article « Droit naturel » de l'Encyclopédie[321], développe l'idée qu'il existe à la fois une volonté générale du genre humain et une morale universelle, ce qui conduit à penser le général en termes universels. Rousseau, dont les modèles sont Rome, Sparte ou encore Genève, insiste, au contraire, sur l'importance des particularismes nationaux : habitudes, tendances, mœurs[322].
Interprétations de la notion de volonté générale
Pour Christopher Bertram, la volonté générale chez Rousseau est une notion ambiguë qui peut être interprétée de deux façons : dans une conception démocratique, elle est ce que les citoyens ont décidé ; dans une conception plus tournée vers la transcendance, elle est l'incarnation de l'intérêt général des citoyens en faisant abstraction des intérêts particuliers[299]. La première interprétation s'appuie principalement sur le chapitre trois du livre deux de Du contrat social, où Rousseau insiste sur les procédures de délibération pour découvrir l'intérêt général[299].
Il est possible d'unifier ces deux vues en supposant que, pour Rousseau, dans de bonnes conditions et avec de bonnes procédures, les citoyens feront en sorte que la volonté générale issue de la délibération corresponde à la volonté générale transcendante[299]. Mais, pour le citoyen de Genève, cette identité n'est pas assurée : « Il s'ensuit de ce qui précède que la volonté générale est toujours droite et tend toujours à l'utilité publique : mais il ne s'ensuit pas que les délibérations du peuple aient toujours la même rectitude. On veut toujours son bien, mais on ne le voit pas toujours[sp 76]. »
La volonté générale ne doit pas être confondue avec la volonté de la majorité ni avec la volonté de tous, ainsi que le rappelle Jacques Julliard qui cite un extrait du Contrat social très explicite à ce sujet[323] :
« Il y a souvent bien de la différence entre la volonté de tous & la volonté générale ; celle-ci ne regarde qu’à l’intérêt commun, l’autre regarde à l’intérêt privé, & n’est qu’une somme de volontés particulières ; mais ôtez de ces mêmes volontés les plus & les moins qui s’entredétruisent, reste pour somme des différences la volonté générale[sp 77]. »
Rousseau veut éviter que la recherche de la volonté générale résultant de la délibération des citoyens soit pervertie par les effets de la rhétorique — comme dans la démocratie athénienne dont il dit que c'était en réalité « une aristocratie très tyrannique, gouvernée par des « savants » et des « orateurs »[324] — ou par la coalition d'intérêts particuliers, ce qui le conduit à interdire les associations et les partis.
Rousseau, dans le Discours sur l'inégalité, soutient que la loi naturelle peut être comprise de deux façons très différentes. Pour les jurisconsultes romains, la loi naturelle est « l'expression de rapports généraux établis par la nature entre tous les êtres animés, pour leur commune conservation »[325]. Pour les jusnaturalistes modernes, la loi est « une règle prescrite à un être moral, c’est-à-dire intelligent, libre, et considéré dans ses rapports avec d’autres êtres »[325], elle est naturelle au sens où elle poursuit les fins naturelles de l'homme[326] sur lesquelles, selon Rousseau, les philosophes de son temps ne s'accordent guère[327]. Il en ressort que s'il existait une loi naturelle, elle devrait répondre aux deux définitions précédentes, ce qu'il estime impossible. Car si les hommes en l'état de nature agissaient spontanément en vue de l'utilité commune, ce n'est plus le cas de l'homme moderne. De sorte que, selon Gourevitch, quand Rousseau emploie le terme « loi naturelle », il ne fait pas référence à ses propres vues mais à celle des jusnaturalistes modernes[328]. Quand il expose ses vues, Rousseau préfère parler de « droit naturel », pour au moins deux raisons : la loi est généralement entendue comme l'expression d'un commandement d'un supérieur à un inférieur, pas le droit ; par ailleurs, le droit peut être appliqué de façon différente en fonction des circonstances[328].
Le problème pour Rousseau est que si l'amour de soi et la pitié poussent les êtres humains à suivre le droit naturel, du fait du développement de l'interdépendance économique entre les hommes, l'amour de soi devient amour-propre et la loi de la nature humaine cesse d'assurer le respect du droit naturel. Ce constat conduit Rousseau à énoncer sa « thèse centrale [selon laquelle] une fois que les hommes sont devenus irréversiblement dépendants les uns des autres, la conformité spontanée — « naturelle » — au droit naturel ne peut être restaurée à une échelle mondiale »[329].
Droit politique et justice
Rousseau différencie le droit naturel du droit politique. Ce dernier se réfère aux principes ou lois de ce qu'il appelle souvent les « États bien-constitués ». Le droit politique vise, dans le cadre d'un État ou d'un corps politique, à établir de façon positive une société qui permette aux hommes de vivre bien. Il ne s'agit pas de retourner à l'état de nature mais de pouvoir mener une vie bonne. Pour cela, le droit politique aidé par la raison instrumentale, doit permettre le retour à une certaine forme de justice. Cela conduit Rousseau à distinguer trois types de justice : la « justice divine », la « justice universelle » et la « justice humaine ». La première vient de Dieu ; la seconde se réfère à Diderot qui, dans l'article « Droit naturel » de l'Encyclopédie[321], voit le droit et la justice comme un pur acte de raison ; la troisième est celle de Rousseau. Chez lui, l'idée de justice se réfère à un corps politique et ne s'étend pas au monde entier[330]. Rousseau note à cet égard :
« Ce qui est bien et conforme à l’ordre est tel par la nature des choses et indépendamment des conventions humaines. Toute justice vient de Dieu, lui seul en est la source ; mais si nous savions la recevoir de si haut, nous n’aurions besoin ni de gouvernement ni de lois. Sans doute il est une justice universelle émanée de la raison seule ; mais cette justice, pour être admise entre nous, doit être réciproque. À considérer humainement les choses, faute de sanction naturelle les lois de la justice sont vaines parmi les hommes ; elles ne font que le bien du méchant et le mal du juste, quand celui-ci les observe avec tout le monde sans que personne les observe avec lui. Il faut donc des conventions et des lois pour unir les droits aux devoirs et ramener la justice à son objet[sp 78]. »
Corps politique et citoyenneté
Société politique
Buste d'Aristote qui, contrairement à Rousseau, considère que l'homme est un animal politique.
Selon Rousseau, la société politique n'est pas naturelle et pour lui, l'homme n'est pas un animal politique comme chez Aristote. Le corps politique qui naît de la convention et du consentement des membres permet la mise en commun des forces et des ressources des membres de la société. Pour désigner ce corps politique, Rousseau emploie plusieurs termes : société bien constituée, « peuple »[331], République, « État quand il est passif, Souverain quand il est actif, puissance en le comparant à ses semblables »[sp 79]. La fin ou le but d'un corps politique, c'est de proposer un moyen de transformer le contrat social inégal de la société civile en « une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant[sp 80]. »
Homme naturel / homme civil / homme moral
Dans La Nouvelle Héloïse, Rousseau écrit : « Mon objet est de connaître l'homme, et ma méthode de l'étudier dans ses diverses relations[sp 81] ». Cette préoccupation traverse toute son œuvre, car l'homme est plus un projet qu'une réalité : « L'homme de la nature n'est pas vraiment humanisé, l'homme civil, lui, est déshumanisé. Si l'homme doit exister, c'est comme à-venir[332]. » Bref, il ne considérait pas l'homme naturel comme un idéal auquel il faudrait retourner[332], ainsi que Voltaire l'en avait accusé[n 40], mais « borné au seul instinct physique, il est nul, il est bête[sp 82]. »
Rousseau établit aussi une distinction fondamentale entre l'homme moral et le citoyen (aussi appelé « homme civil ») : le second cherche la réussite du groupe social tandis que le premier veut se réaliser en tant que personne dans toute son humanité encore à construire[333]. Selon le résumé qu'en donne Todorov, trois voies s'offrent à l'homme en société, chacune impliquant le sacrifice d'une partie de soi : le citoyen, l'homme solitaire et l'homme moral (ou universel). La première voie est surtout développée dans le Discours sur les sciences et les arts et Considérations sur le gouvernement de Pologne, la deuxième dans Lettres à Malesherbes et Les Rêveries du promeneur solitaire, la troisième dans Émile. Apparemment contradictoires, ces trois voies reflètent en fait les aléas de la condition humaine. Rousseau ne se fait pas l'avocat de la première voie mais se contente d'en présenter les conséquences. Il est aussi très conscient du fait que dans la France moderne le rapport des citoyens à l'État n'est pas comparable à celui qui existait à Sparte ou à Rome car les hommes se considèrent maintenant comme des personnes dotées de libre-arbitre, ce qui rend la première voie peu acceptable dans une démocratie. Dès lors, c'est par l'éducation que, tout en partageant des valeurs universelles, le citoyen moral se reconnaîtra comme membre d'une patrie avec ses institutions, ses traditions, ses cérémonies et ses festivals, toutes choses auxquelles il est attaché[334].
Pour unir les citoyens, il est utile qu'ils aient les mêmes habitudes, les mêmes croyances et pratiques. Le patriotisme est aussi un moyen de souder les citoyens et de faciliter leur acceptation de la volonté générale. Rousseau écrit à ce propos : « L'amour de la patrie est la plus efficace ; car comme je l'ai déjà dit, tout homme est vertueux quand sa volonté particulière est conforme en tout à la volonté générale, et nous voulons volontiers ce que veulent les gens que nous aimons[sp 83]. »
Égalité, justice, utilité et corps politique
Chez Rousseau, la notion de justice est liée à la réciprocité. Le problème est que pour qu'il y ait réciprocité, il faut qu'il y ait égalité. Or depuis la fin de l'état de nature, la liberté et l'égalité naturelles se sont évanouies. Il faut donc les reconstituer de façon conventionnelle. Dans son projet de reconstitution de l'égalité et de la liberté, Rousseau voit l'égalité juridique comme le moyen d'assurer la liberté politique, qui ne peut exister qu'entre égaux au sens moral ainsi qu'il l'écrit dans Du Contrat social :
« au lieu de détruire l’égalité naturelle, le pacte fondamental substitue au contraire une égalité morale & légitime à ce que la nature avoit pu mettre d’inégalité physique entre les hommes, & que, pouvant être inégaux en force ou en génie, ils deviennent tous égaux par convention & de droit[sp 84]. » Pour lui, les droits politiques sont basés sur les hommes tels qu'ils sont avec leur amour-propre, leurs intérêts, leurs vues du bien commun, ce qui le conduit à une démarche relativement pragmatique. Il écrit dans Du contrat social :
« Je tâcherai d'allier toujours, dans cette recherche, ce que le droit permet avec ce que l'intérêt prescrit, afin que la justice et l'utilité ne se trouvent point divisées[sp 85]. »
Même si Rousseau a une vision de la souveraineté du peuple différente de celle de Hobbes, tout comme chez ce dernier, les citoyens en s'associant perdent tous leurs droits naturels, en particulier celui du contrôle du pouvoir souverain[335].
Gouvernement
Gouvernement et souveraineté
Le frontispice du Léviathan de Hobbes représentant le Souverain comme un corps massif composé de nombreux individus, armé d'une épée et d'une crosse.
Le souverain, le peuple chez Rousseau, promulgue les lois qui sont l'expression de la volonté générale. Le gouvernement, par contraste, est un corps plus limité de personnes qui administrent l'État dans le cadre des lois. Il est autorisé à promulguer des décrets d'application des lois dans les cas où cela est nécessaire[336].
Rousseau insiste sur la nécessaire séparation du gouvernement (l'exécutif) et du législatif : le second émet des lois générales tandis que le premier les exécute et les adapte aux cas particuliers. Rousseau craint qu'en mêlant exécutif et législatif, il ne soit porté atteinte à la généralité de la loi. Par ailleurs, il insiste sur la tentation du gouvernement d'usurper le pouvoir souverain (législatif). Pour Gourevitch, cette crainte pose la question de savoir « jusqu'à quel point, les « hommes comme ils sont » et les « lois comme elles peuvent être » sont réconciliables même dans la meilleure des sociétés ordonnées ? » et donne à la pensée de Rousseau quelque chose d'insoluble voire de tragique[337].
Trois formes de gouvernement
Rousseau élimine d'emblée la possibilité d'un gouvernement parfaitement démocratique : « il n’a jamais existé de véritable Démocratie, & il n’en existera jamais. Il est contre l’ordre naturel que le grand nombre gouverne & que le petit soit gouverné[sp 86]. » Ainsi que le démontre Simone Goyard-Fabre, Rousseau ne voit pas dans la démocratie un régime politique qui convienne à nos sociétés mais seulement « le principe régulateur d'un mode de gouvernement » qui peut ensuite se concrétiser sous diverses formes[338]. Si la démocratie directe, telle qu'elle s'exerçait à Athènes, est impossible dans nos sociétés plus nombreuses, la démocratie représentative ne vaut guère à ses yeux : « Le peuple Anglois pense être libre ; il se trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du Parlement ; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien[sp 87]. » Il faut donc abandonner l'idée de représentation :
« La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu'elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point : elle est la même, ou elle est autre ; il n'y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement[sp 88]. »
Il enchaîne : « toute loi que le peuple en personne n'a pas ratifiée est nulle ; ce n'est point une loi ». Pour Christopher Bertram, il n'est cependant pas certain que Rousseau rejette absolument toute forme de représentation comme il le laisse entendre[336].
L'aristocratie peut être de trois formes : naturelle, élective et héréditaire[339]. Rousseau accepte volontiers l'idée d'un pays gouverné par une aristocratie : « c'est l'ordre le meilleur et le plus naturel que les plus sages gouvernent la multitude[sp 89]. »,[340] Le modèle héréditaire lui semble cependant à proscrire ; quant à l'aristocratie naturelle, il ne la tient possible que dans les petits États. Le meilleur mode de gouvernement est donc, selon lui, l'aristocratie élective, qu'il appelle aussi gouvernement tempéré[341]. Cette aristocratie exige cependant des vertus de la part des gouvernants :
« Mais si l'aristocratie exige quelques vertus de moins que le gouvernement populaire, elle en exige aussi d'autres qui lui sont propres : comme la modération dans les riches et le contentement dans les pauvres ; car il semble qu'une égalité rigoureuse y serait déplacée ; elle ne fut pas même observée à Sparte[sp 90]. »
L'essentiel pour lui réside dans l'éducation des citoyens : « C’est l’éducation qui doit donner aux âmes la forme nationale & diriger tellement leurs opinions & leurs goûts, qu’elles soient patriotes par inclination, par passion, par nécessité. Un enfant en ouvrant les yeux doit voir la patrie & jusqu’à la mort ne doit plus voir qu’elle[sp 91]. » Comme le note Goyard-Fabre : « Le sens civique et le patriotisme que forme une éducation valeureuse constituent un cran d'arrêt à la périlleuse aspiration démocratique qui empoisonne les âmes chez les peuples modernes[342]. »
Rousseau n'est vraiment pas un adepte de la monarchie car celle-ci favorise l'émergence des courtisans au détriment des gens compétents[sp 92]. Sur le plan financier, si la démocratie directe est soucieuse de ne pas imposer trop d'impôts au peuple, ce n'est pas le cas de la monarchie, qui, selon lui, ne convient qu'aux nations opulentes[sp 93].
« Ô grand Être! », gravure de Daniel Chodowiecki pour Julie ou la nouvelle Héloïse (1782).
Conviction religieuse
La foi chrétienne de Rousseau est une sorte de déisme hérité de Bernard Lamy et de Nicolas Malebranche[n 41] : il y a un dieu parce que la nature et l'univers sont ordonnés. Il n'est pas matérialiste, mais il n'est ni un protestant orthodoxe, ni un catholique romain. Pourtant, il se dit « croyant », y compris dans sa lettre du à Paul Moultou, lequel semble désireux de renoncer à sa foi, et qu'il exhorte à ne pas « suivre la mode »[n 42].
Rousseau ne croit pas à la Révélation ni à l'Enfer, ce qui a profondément choqué ses contemporains[343]. Il ne croit pas non plus au péché originel, car cette notion incrimine la nature humaine et va à l'encontre de sa conviction la plus profonde sur la bonté de l'état de nature. Il parle avec ironie de ce péché « pour lequel nous sommes punis très justement des fautes que nous n’avons pas commises » (Mémoire à M. de Mably)[344]. Dans la Profession de foi du vicaire savoyard, il considère Jésus comme un homme, certes le plus parfait qui soit, et rejette le récit des miracles et de la résurrection[345].
Il innove en fondant la foi en Dieu non pas sur des arguments philosophiques traditionnels mais plutôt sur le sentiment et l'émotion en face du mystère de la nature, le sens inné du bien et du mal et l'aspiration à une transcendance — une façon de concevoir la foi maintenant largement acceptée par les protestants selon Bertrand Russell[158]. Selon ce philosophe, le texte le plus explicite de la position de Jean-Jacques se trouve dans la Profession de foi du Vicaire savoyard insérée en guise d'interlude dans le quatrième livre d'Émile ou De l'éducation[346] :
« En suivant toujours ma méthode, je ne tire point ces regles des principes d’une haute philosophie, mais je les trouve au fond de mon cœur écrites par la Nature en caractères ineffaçables. Je n’ai qu’à me consulter sur ce que je veux faire : tout ce que je sens être bien est bien, tout ce que je sens être mal est mal : le meilleur de tous les Casuistes est la conscience, & ce n’est que quand on marchande avec elle, qu’on a recours aux subtilités du raisonnement[sp 94]. »
Bien conscient du scandale que cet exposé peut causer, Rousseau ne l'endosse pas explicitement, contrairement à son principe habituel de transparence, par lequel il se distingue des autres philosophes qui publient souvent de façon anonyme, alors qu'il articule la vérité d'un texte à la vérité de son auteur[347]. Ici, il attribue ce texte à « un pauvre Vicaire Savoyard, qu’une aventure de jeunesse avoit mis mal avec son Évêque ». Dans Les Confessions, il explique que son vicaire est « la synthèse de deux personnages, un curé et un abbé rencontrés au cours de son adolescence ». Il ne fait donc que relater les propos en question sans qu'on puisse le déclarer coupable d'en professer le contenu[348].
Religion civile
Fête de l'Être suprême, une tentative de religion civile durant la Révolution, 1794. Musée Carnavalet, Paris.
Il traite de la « religion civile » dans Du Contrat social (IV, 8). Pour lui, les premiers corps politiques ont été formés à la fois par de grands personnages qui ont imposé des lois et par des dieux qui les ont, en quelque sorte, validées en leur donnant leur onction[349]. De sorte que le contrat social acquiert une dimension transcendante qui incite les gens à le suivre par crainte d'une sanction divine. Toutefois, le christianisme a introduit un « un perpétuel conflit de juridiction entre le pouvoir théologique et le pouvoir civil car il s'est soucié des hommes, pas des citoyens[350]. » Si le christianisme a répandu l'idée de droit naturel, il a aussi, en devenant une force, divisé la souveraineté des États. Aussi Rousseau considère-t-il que les États chrétiens ne pratiquent pas une saine politique[350].
Pour rétablir l'unité perdue à cause du christianisme, « réunir les deux têtes de l'aigle, et … tout ramener à l'unité politique, sans laquelle jamais ni État ni gouvernement ne sera bien constitué[sp 95] », il propose la création d'une religion civile par laquelle un citoyen doit faire preuve de « sentimens de sociabilité » au moyen d'une « profession de foi purement civile » à laquelle il sera ensuite tenu de se conformer sous peine de mort ou de bannissement. Cette religion civile repose sur un petit nombre de dogmes positifs : « l'existence d'une divinité puissante, intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du contrat social et des lois : voilà les dogmes positifs. Quant aux dogmes négatifs, je les borne à un seul : c’est l’intolérance[sp 96],[351]. »
Son chapitre sur la religion civile a été critiqué, pour des raisons différentes, par les lecteurs modernes : les uns se demandant comment un champion de la démocratie et de la liberté peut conclure son traité en obligeant les citoyens à professer ces dogmes sous peine de mort, alors que d'autres mettent l'accent sur sa prohibition de l'intolérance[352].
Droit international
Selon Rousseau, ce qu'il nomme le droit des nations et que nous appellerions, de nos jours, droit international, est une chimère. En effet, il considère qu'il est difficile de « punir » un État souverain. Ses propres projets pour une fédération des États européens et pour un droit de la guerre valable sont demeurés fragmentaires. Notons que Rousseau ne voit pas la guerre comme une opposition d'individus les uns contre les autres, mais comme une lutte entre entités morales où l'État X combat l'État Y. Le but de la guerre n'est pas la mort d'une population mais de briser la volonté générale de l'État ennemi[350].
Questionnements contemporains
Cohérence de l'œuvre
Jusqu'au début du XXe siècle, Rousseau a été perçu de façon dichotomique : d'un côté il est vu comme un « magicien de la langue » et de l'autre comme un homme plein de contradictions et dont le cas relève presque de la pathologie, ses détracteurs « le tenant coupable de tous les désastres politiques et moraux qu'ils voyaient survenir dans le monde moderne[353] ». Ce n'est qu'à partir du XXe siècle que les œuvres politiques de Rousseau ont été complètement éditées et qu'il est devenu possible de le lire de façon systématique. Si Gustave Lanson est un des premiers à insister sur l'unité de la pensée de Rousseau, c'est en se basant sur l'analyse faite par Ernst Cassirer dans son livre Le problème Jean-Jacques Rousseau (1932). La thèse de l'unité de sa pensée va dès lors devenir dominante non sans rencontrer des résistances, notamment chez Victor Basch, pour qui Rousseau est d'abord poète et romancier[354]. Dans son livre Anthropologie et politique. Les principes du système de Rousseau, Victor Goldschmidt insiste sur la cohérence de la pensée philosophique de Rousseau, car ce dernier veut qu'une même méthode soit utilisée pour analyser diverses disciplines, démarche qui tient essentiellement à « l'observation et au raisonnement »[355]. Robert Derathé et Alexis Philonenko arrivent eux aussi à la conclusion que « les multiples écrits du Genevois forment autant de pièces d'un ensemble ordonné[356]. »
Au début du XXIe siècle, John Scott estime que les contradictions dans l'œuvre de Rousseau peuvent n'être qu'apparentes[357]. Pour lui, l'œuvre de Rousseau est un exposé de la bonté naturelle de l'homme[358] : cela ne signifie pas qu'à l'origine les hommes sont naturellement vertueux et bienfaisants mais qu'en l'homme « existerait à l'origine un équilibre entre besoins et passions et la capacité de les satisfaire ». C'est cet équilibre qui ferait l'homme « bon pour lui-même et non dépendant des autres », car c'est précisément la « dépendance vis-à-vis des autres qui fait les hommes mauvais »[311].
La question féminine
La distinction des sexes est une question majeure dans l'œuvre de Rousseau, qu'il aborde dans ses textes philosophiques aussi bien que dans ses romans[359], faisant état, selon Laurence Mall, de « vues sur les femmes étonnamment rétrogrades pour son époque[n 43] et même fort déplaisantes pour une sensibilité moderne, mais qui ont eu une influence considérable[360] ». Pourtant, dans Le lévite d'Ephraïm, Rousseau affirme que le bonheur entre hommes et femmes ne sera possible que dans le cas d'une égalité entre eux[361] : « Sexe toujours esclave ou tyran, que l’homme opprime ou qu’il adore, & qu’il ne peut pourtant rendre heureux ni l’être, qu’en le laissant égal à lui[sp 97] ». Bref, la question est complexe.
Dès l'adresse « À la République de Genève » qui sert de préambule au Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, il expose sa conception du rôle des femmes :
« Pourrais-je oublier cette précieuse moitié de la république qui fait le bonheur de l’autre, et dont la douceur et la sagesse y maintiennent la paix et les bonnes mœurs ? Aimables et vertueuses citoyennes, le sort de votre sexe sera toujours de gouverner le nôtre. Heureux quand votre chaste pouvoir, exercé seulement dans l’union conjugale, ne se fait sentir que pour la gloire de l'état et le bonheur public ! [sp 98] »
Ses vues les plus controversées sont exposées dans Émile ou De l'éducation. Il y prône une séparation radicale des sexes et confine les femmes à la maison, définissant leur rôle et leurs fonctions de façon étroitement patriarcale : « Plaire aux hommes, leur être utiles, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce, voilà les devoirs des femmes dans tous les temps, et ce qu'on doit leur apprendre depuis l’enfance[sp 99] ». Il appuie ces préceptes sur des différences qu'il estime fondamentales entre les deux sexes et qui seraient particulièrement évidentes dans l'enfance :
« Les garçons cherchent le mouvement et le bruit ; des tambours, des sabots, de petits carrosses. Les filles aiment mieux ce qui donne dans la vue et sert à l’ornement ; des miroirs, des bijoux, des chiffons, surtout des poupées : la poupée est l’amusement spécial de ce sexe ; voilà très évidemment son goût déterminé sur sa destination. Le physique de l’art de plaire est dans la parure : c’est tout ce que des enfants peuvent cultiver de cet art[sp 100]. »
En outre, petits garçons et petites filles n'ont pas la même conscience de leur sexualité : « la petite fille a conscience, dès son origine, de son existence sexuée, tandis que le petit garçon vit encore dans un monde où l'identité sexuelle n'a aucune place[362]. » Pour ce dernier, la révélation n'arrive qu'avec la crise d'adolescence[363]. Dénonçant le métier de comédienne dans sa Lettre sur les spectacles, Rousseau va jusqu'à écrire :
« J’ajoute qu’il n’y point de bonnes mœurs pour les femmes hors d’une vie retirée & domestique ; [...] que la dignité de leur sexe est dans sa modestie, que la honte & la pudeur sont en elles inséparables de l’honnêteté, que rechercher les regards des hommes c’est déjà s’en laisser corrompre, & que toute femme qui se montre se déshonore[sp 101]. »
Cette conception essentialiste de la femme sera vigoureusement prise à partie par le féminisme. Dès 1792, dans son livre Défense des droits de la femme, Mary Wollstonecraft, pionnière du féminisme en Angleterre, s'attaque nommément à Rousseau et dénonce « une imposture intellectuelle consistant à considérer comme nature ce qui est culture[364] » — une idée que synthétisera plus tard Simone de Beauvoir à l'ouverture du second tome du Deuxième sexe : « On ne naît pas femme : on le devient. »
Plusieurs critiques réfutent toutefois l'accusation de misogynie de la part de Rousseau et voient dans ses positions un « idéal sociologique du couple », susceptible « d'assurer une bonne cohésion sociale »[365],[366]. Surtout, une analyse fine des comportements des personnages romanesques, notamment dans Julie ou la Nouvelle Héloïse, montre que les différences de nature entre hommes et femmes sont loin d'être radicales et permanentes car le roman fait apparaître une ambiguïté et une plasticité certaine dans les comportements et la psychologie des protagonistes, qui serait caractéristique d'une « poétique d'indistinction sexuelle ». Selon Rousseau, des règles strictes de séparation sont nécessaires afin de « pallier le mouvement spontané d'homogénéisation des sexes » et de permettre le développement du sentiment amoureux car ce dernier ne peut s'épanouir sans distance ni obstacle : « L'obstacle apparent, qui semble éloigner cet objet, est au fond ce qui le rapproche[sp 102]. » Il en découle, selon l'analyse de Laure Challandes, que « ces différences apparentes, continuellement manifestées par des signes ostentatoires, cachent peut-être une indifférenciation intrinsèque[359]. » Cette « oscillation entre deux conceptions apparemment antagonistes[367] » apparaît aussi dans une étude des ratures du manuscrit. Ainsi, dans la phrase d'une lettre de Claire à Julie « Ce qui nous sépare des hommes, c'est la nature elle-même qui nous prescrit des occupations différentes [sp 103] », le mot « nature » a d'abord été corrigé en « société » avant d'être restauré par l'auteur[367].
John O'Neal insiste lui aussi sur l'indifférenciation psychologique des personnages masculins et féminins à l'œuvre dans ce roman et croit voir en Saint-Preux un personnage transgenre : « Julie prend le rôle masculin dominant pendant que Wolmar et Saint-Preux deviennent ses sujets passifs. En effaçant la différence des genres entre les personnages principaux du roman, Rousseau réalise leur étroite union et la communication transparente entre leurs âmes, au préjudice de leurs corps[368]. »
Cette fascination pour le dépassement du genre était déjà présente dans Narcisse ou l'Amant de lui-même, une pièce que Rousseau avait commencé à écrire à l'âge de 18 ans[sp 104], lors de son séjour chez Madame de Warens[192]. Tout en se basant sur Les Métamorphoses d'Ovide, il modifie profondément le mythe de Narcisse dans sa comédie : Valère (Narcisse) y tombe amoureux non pas de lui-même mais de l’image féminine de sa personne, éprouvant ainsi, comme l'écrit Laure Challandes, « le bonheur d’être à la fois l’être aimant masculin et l’objet d’amour féminin[369]. » Ce thème de l'indistinction sexuelle est encore plus central dans La Reine fantasque[sp 105] dont l'action repose sur « d'une part, des préférences marquées pour l'un ou l'autre des sexes, et, d'autre part, une absence de signes permettant de les distinguer[370]. » Rousseau revient encore sur ce thème dans Pygmalion (1762), où il « franchit une nouvelle étape dans l'expression des possibilités d'indistinction sexuelle[371] ».
Le Genevois suscite de plus en plus de relectures féministes qui mettent en question son sexisme. Au terme de son analyse, Rosanne Terese Kennedy conclut à une ambivalence fondamentale de la part du philosophe, laquelle se manifeste aussi dans son adoption d'un vêtement arménien, un choix par lequel il se féminise volontairement selon l'auteure de Rousseau in drag[372].
Rousseau et le totalitarisme du XXe siècle
Bertrand Russell, un critique de Rousseau, peint par Roger Fry en 1923.
Dès le XIXe siècle, Rousseau fait l'objet de critiques, telle celle de Proudhon pour lequel « la Révolution, la République et le peuple n'eurent jamais de plus grand ennemi que Jean-Jacques »[373],[374].
Bertrand Russell décrit Rousseau, dans son Histoire de la philosophie occidentale (1952), comme « l'inventeur de la philosophie politique de dictatures pseudo-démocratiques[n 44] », et conclut qu'« Hitler en est le résultat »[375]. Pour le philosophe anglais : « alors que la liberté est le but affiché de la pensée de Rousseau, c'est en fait à l'égalité qu'il attache le plus d'importance et qu'il veut assurer même aux dépens de la liberté[376]. » En outre, la notion de volonté générale en plus de « rendre possible l'identification mystique d'un leader avec son peuple[377] » a aussi pour effet d'interdire les associations ainsi que le stipule le Contrat (qui s'appuie sur une longue citation de Machiavel) : « Il importe donc pour avoir bien l’énoncé de la volonté générale qu’il n’y ait pas de société partielle dans l’Etat & que chaque Citoyen n’opine que d’après lui[sp 106]. » Il en résulte, comme le note Russell, que « l'État interdirait les églises (à l'exception d'une église officielle), les partis politiques, les syndicats, et toute autre organisation de défense d'intérêts économiques. Cela donne de toute évidence un État totalitaire où le citoyen individuel est sans aucun pouvoir[378]. »
De même, selon Isaiah Berlin : « Rousseau ne signifie pas par liberté la « liberté négative » de l'individu de ne pas être contraint dans un domaine quelconque, mais la possession, par tous les membres de plein droit d'une société, d'une part de la puissance publique autorisée à intervenir dans n'importe quel aspect de la vie de chaque citoyen[n 45]. »
Bien que Rousseau ait critiqué à maintes reprises les tyrannies et régimes autoritaires de son temps, défendant la liberté de conscience et d'expression comme bases de la démocratie, au moins quatre auteurs (Russell, Marejko, Crocker et Talmon) lui ont reproché d'avoir influencé l'émergence du totalitarisme. Précisons d'abord que pour Jan Marejko, cela ne signifie pas que l'on trouve dans les écrits de Rousseau une intention délibérée d'élaborer un système totalitaire[379]. Pour l'universitaire américain Lester G. Crocker, deux éléments de la pensée de Rousseau auraient favorisé le totalitarisme contemporain, à savoir : la tendance autarcique de la pensée de Rousseau ainsi que son insistance sur l'idée d'unité nationale (critiquée en son temps par l'abbé Bergier qui évoquait un « patriotisme fanatique »)[380]. Dans The Rise of Totalitarian Democracy (1952), l'historien israélien Jacob Talmon voit également dans la théorie de la volonté générale l'origine de ce qu'il appelle la « démocratie totalitaire »[381].
Leo Strauss rejette cette interprétation d'un Rousseau père du totalitarisme car il estime, comme le montre Céline Spector, « que le contrat rousseauiste ne peut exiger le sacrifice de l'individu, car la nature ne dicte rien d'autre que l'intérêt personnel »[382]. Selon Strauss, « Rousseau croyait que des révolutions pourraient restaurer la modération de l'Antiquité sur des principes nouveaux, conscients. Sa pensée est une union bizarre du progressisme radical et révolutionnaire de la modernité et de la discrétion et de la réserve de l'Antiquité »[383]. De même, pour Jean Fabre « La théorie rousseauiste de la souveraineté populaire et de la volonté générale ruine toute prétention à la dictature, et celle du prolétariat autant qu'une autre[315]. »
Bruno Bernardi souligne, lui aussi, que dans le Contrat social, « la souveraineté des citoyens est le seul fondement de l'obéissance des sujets. De l'obéissance des sujets dépend la consistance de la souveraineté. Ce n'est qu'au prix d'une désarticulation de cette double contrainte, aux yeux de Rousseau indissociable, et d'une confusion entre le sujet et le citoyen qu'on a pu voir ici le germe d'une conception totalitaire de l'État […] »[n 46].
Rousseau est cependant encore vu comme le père du totalitarisme chez Bernard-Henri Lévy, alors même que le mouvement alternatif et écologiste des années 1970 le revendique de son côté[384].
Pour sa part, Jacques Julliard, grande figure de la gauche durant les années 1980, rappelle que Rousseau voulait à tout prix éviter que des intérêts particuliers faussent la volonté générale et c'est pour cette raison qu'il s'opposait aux associations et à un parti unique[385] ainsi que le confirme ce passage du Contrat social : « Enfin quand une de ces associations est si grande qu’elle l’emporte sur toutes les autres, vous n’avez plus pour résultat une somme de petites différences, mais une différence unique ; alors il n’y a plus de volonté générale, & l’avis qui l’emporte n’est qu’un avis particulier[sp 107]. » Pour l'historien français, si le totalitarisme est « aux antipodes de la pensée de Rousseau[386] », il faut cependant reconnaître que son héritage a été mal interprété : « J. L. Talmon, qui a tort de faire de Rousseau l'ancêtre de la démocratie totalitaire, a raison quand il s'agit de ses successeurs sous la Révolution et au-delà[387]. »
Interprétation de sa pensée par Léo Strauss
Rousseau est avec Machiavel, Hobbes et Tocqueville, un des auteurs favoris de Leo Strauss[388]. Pour ce philosophe, le citoyen de Genève marque le début de la deuxième vague de la modernité. La première vague débutant avec Machiavel et Hobbes, tandis que la troisième débute avec Friedrich Nietzsche. Si la première vague a fait de la morale et de la politique un problème technique, Rousseau au contraire, a voulu redonner une place non technique à celle-ci sans toutefois revenir aux classiques[389]. Strauss interprète la notion de volonté générale comme une extension de la volonté particulière, comme une préfiguration de l'impératif catégorique de Kant[390]. La volonté générale, selon lui, serait « une contrainte nécessaire » à la vie bonne en société[391]. Cet auteur insiste sur le Rousseau du Discours sur les sciences et les arts qu'il analyse comme voulant s'émanciper d'une conception de la science vue par les Lumières comme un substitut à la religion, comme devant conduire les hommes au bonheur[392]. Selon Strauss, pour Rousseau,
« La science est mauvaise, non dans l'absolu, mais seulement pour le peuple ou pour la société ; elle est bonne, et même nécessaire, pour le petit nombre parmi lequel Rousseau se compte[393]. »
Selon Léo Strauss, alors que les lois issues de la volonté générales sont tributaires du législateur et comportent toujours une part de mystère, la philosophie cherche à mettre ce mystère en lumière et donc à lui faire perdre son efficacité propre : « en d'autres termes, note-t-il, la société doit faire tout ce qui est possible pour faire oublier aux citoyens les faits mêmes que la philosophie politique met au centre de leur attention, comme constituant les fondements de la société. La société joue son existence sur un aveuglement spécifique contre lequel la philosophie se révolte nécessairement[394]. »
Jürgen Habermas considère Rousseau comme un des premiers à avoir pensé au rôle de l'opinion publique, car il « rattache la volonté générale à une opinion publique qui coïncide avec l'opinion irréfléchie et spontanée, avec l'opinion telle qu'elle est publiée »[395],[396]. Il remarque à cet égard que Rousseau se prononce contre les longs débats qu'il voit comme un affaiblissement du lien social[397]. Chez Rousseau, l'opinion publique exerce un certain pouvoir de direction. Habermas rappelle que Rousseau écrit dans Du contrat social« l'opinion publique est l'espèce de loi dont le censeur est le ministre[sp 108] », mais que chez lui, cette opinion publique est en quelque sorte « canalisée » par le législateur qui traduit la volonté générale en loi[397]. Sur ces points, le philosophe allemand se démarque de Rousseau en insistant sur l'aspect délibératif de sorte que, chez lui, « la volonté générale est … formée discursivement, dans l'espace de la discussion publique »[398]. Un autre point de désaccord peut être relevé entre Habermas et Rousseau : alors que le citoyen de Genève insiste sur la notion de patrie et suppose une communauté relativement homogène qui partage le respect des mêmes vertus et la même conception du bien de la communauté, Habermas estime que ces conditions ne peuvent pas être remplies dans le cadre d'une société non-homogène et propose pour le monde du XXIe siècle « un modèle d'intégration politique, insistant sur les conditions procédurales de formation de l'opinion et de la volonté »[399].
Influence
Portrait de Rousseau par Angélique Briceau (1791).
Rousseau est un penseur puissant qui envisage d'emblée les conséquences ultimes de chacune de ses propositions[400]. Il est considéré comme un des derniers génies universels de l'époque moderne[356] :
« Rousseau fut le réformateur des temps modernes : il n'échappe à personne qu'il a fondé sur de nouvelles bases la politique et la pédagogie, qu'il a renouvelé le roman et la musique, qu'il a changé pour longtemps la vie intérieure et les manières d'aimer [...] Avec lui la liberté devient le fondement de l'association humaine au lieu d'en être la menace, et l'amour, le fondement de la famille au lieu d'en être le péril[401]. »
Estampe de Jean-Baptiste Chapuy (vers 1789) intitulée Assemblée Nationale, écueil des aristocrates : le génie de Rousseau en éclaire l'entrée.« Jean-Jacques Rousseau en sage tenant Du contrat social », carte à jouer contemporaine de la Révolution française d'Hughes Chassoneris.Estampe de Louis-Simon Boizot, La Philosophie découvrant la vérité, avec en haut à droite, un buste de Rousseau.
Dès le début de la Révolution, ainsi que le note l'historien Raymond Trousson, Rousseau est vu comme l'ancêtre mythique des révolutionnaires et « une vague de rousseaulâtrie déferle [...] Dès le mois d'août 1789, l'Académie met son éloge au concours [...] la rue Plâtrière sera désormais rue Jean-Jacques Rousseau[402]. » Le Contrat social est constamment invoqué et le prestige dont cet ouvrage jouit est attesté dès 1790 comme le montre Jacques Julliard : au cours de la Fête de la Fédération, le 14 juillet, les citoyens des divers départements se lièrent entre eux par un serment solennel, mimant ainsi le mythique « Contrat » et transformant « en contrainte politique ce qui n'avait été conçu par lui [Rousseau] que comme un mythe au sens sorélien, c'est-à-dire une représentation collective génératrice d'action[403]. » Selon Louis-Sébastien Mercier, qui écrit en 1791, l'Assemblée nationale s'est inspirée de la notion de vertu publique mise de l'avant par Rousseau pour rédiger sa Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789[404]. Le même auteur précise que le Contrat social« était autrefois le moins lu de tous les ouvrages de Rousseau. Aujourd'hui, tous les citoyens le méditent et l'apprennent par cœur[405]. » En fait, comme le note Tanguy L'Aminot, « tous les groupes vont se réclamer de lui : les aristocrates, les contre révolutionnaires, les Bourgeois, les Girondins, les Montagnards, les Jacobins ou les Enragés même[384]. » Rousseau est vu comme un précurseur et une caution morale de la Révolution, qui lui donne une légitimité[406].
Dans son Rapport du 18 floréal 1794 sur Les rapports des idées religieuses et morales avec les principes républicains[407], Robespierre présente Rousseau comme le précurseur de la Révolution et « le précepteur du genre humain[408] » Dans leur réforme de l'éducation, les révolutionnaires vont mettre en pratique les recommandations d'Émile : « condamnation des nourrices, du maillotage, des châtiments physiques et, inversement, promotion de l'éducation négative qui proportionne l'acquisition des connaissances au progrès physique et moral de l'enfant[409]. »
Ce qui marque aussi les révolutionnaires au tout début, c'est l'idée développée par Rousseau que l'homme s'est éloigné de la nature, ce qui l'a conduit à l'esclavage et à ses suites. C'est également l'idée prégnante que les peuples ont parfois droit, comme Sparte et Rome, à une seconde naissance. Ce scénario rousseauiste a profondément marqué les Montagnards, notamment Robespierre et Saint-Just[410]. Insistant sur la nature cachée du peuple français, préservée de la dépravation de l'Ancien Régime, les disciples montagnards de Rousseau ont voulu procéder à un recommencement avec de nouveaux héros, une nouvelle cité et l'espoir de retrouver le temps où l'homme était bon[411].
L'opposition aux idées de Rousseau est représentée dès 1790 par Edmund Burke[n 47]. Joseph de Maistre va beaucoup plus loin et vise à discréditer Rousseau en le présentant comme « un être faible et hargneux qui n'a pu de sa vie pardonner à Dieu de ne pas l'avoir fait naître duc et pair » et dit du Contrat social qu'il « a consacré la moitié de son livre à réfuter l'autre[412]. »,[n 48]. De même, Louis de Bonald rejette en bloc l'idéal révolutionnaire[n 49].
Au XXe siècle, le royalisteCharles Maurras voit en Rousseau l'inspirateur de la Révolution, et la source intellectuelle de tous les maux de la France[n 50]:
« Je hais dans Rousseau le mal qu'il a fait à la France et au genre humain, le désordre qu'il a apporté en tout et, spécialement, dans l'esprit, le goût, les idées, les mœurs et la politique de mon pays. Il est facile de concevoir qu'il ait dû apporter le même désordre sur le plan religieux[413]. »
Pour Jean Starobinski : « S'il est vrai que la pensée de Rousseau est révolutionnaire, il faut aussitôt ajouter qu'elle l'est au nom d'une nature humaine éternelle, et non pas au nom d'un progrès historique. (Il faut « interpréter » l’œuvre de Rousseau pour voir en elle un facteur décisif dans le progrès politique du XVIIIe siècle) »[414]. En effet, bien des textes de Rousseau témoignent de son « conservatisme politique », tel son Jugement sur la Polysynodie (1756) :
« Qu'on juge du danger d'émouvoir une fois les masses énormes qui composent la monarchie française ! Qui pourra retenir l'ébranlement donné, ou prévoir tous les effets qu'il peut produire ?… Que le gouvernement actuel soit encore celui d'autrefois, ou que durant tant de siècles il ait changé de nature insensiblement, il est également imprudent d'y toucher. Si c'est le même, il le faut respecter ; s'il a dégénéré, c'est par la force du temps et des choses, et la sagesse humaine n'y peut plus rien[415]. »
À cet égard, « la pensée de Rousseau se rapproche sur ce point de celle de Montesquieu. Même prudence, même alternative entre la conservation de l'institution primitive et sa dégénérescence, même hésitation à passer à l'action au nom d'un progrès[415]… » Plus loin, commentant le Contrat social (1762), Starobinski ajoute :
« Rousseau est certainement sincère lorsqu'il se défend d'avoir voulu troubler l'ordre établi et renverser les institutions de la France monarchique. Dans les Lettres de la Montagne (Ire partie, lettre VI) il assure que le Contrat social, loin de proposer l'image d'une cité qui devrait supplanter la société existante, se borne à décrire ce que fut la république de Genève avant les troubles qui l'ont corrompue. Dans les Confessions, le Contrat est présenté comme une œuvre de réflexion abstraite, pour laquelle Rousseau n'a pas voulu « chercher d'application ». Il n'a fait qu'user pleinement du « droit de penser », que les hommes possèdent universellement[416]. »
Pour l'historien britannique Jonathan Israel, « les conséquences malheureuses de la Révolution découlent d'une application mal conçue de la théorie de la volonté générale[417]. »
Critique de Arendt sur l'influence de Rousseau sur la Révolution française
La critique de Hannah Arendt porte sur deux points. Selon elle, Rousseau, d'une part, identifie souveraineté et pouvoir et, d'autre part, donne à la pitié un rôle politique. Elle insiste fortement sur le second point. Pour elle, c'est la primauté donnée à la question sociale qui a empêché la Révolution d'instituer la liberté. Or cette mise en avant de la pitié vient de Rousseau, le premier à avoir donné de l'importance à cette émotion. Elle écrit à ce propos : « Il s'intéressait plus à son émotion qu'à la souffrance d'autrui, il s'enchantait aux émotions et humeurs à mesure qu'elles se révélaient à lui dans les délices exquises de l'intimité que Rousseau fut le premier à découvrir »[418]. Le problème pour Arendt vient du fait que la pitié n'est pas un sentiment politique constructif, notamment quand, comme les hommes de la Révolution, on la prend pour une vertu et qu'on ne croit pas au précepte de Montesquieu qui veut que même la vertu doit comporter des limites[419]. Pour Arendt, en politique, ce n'est pas la pitié, mais la solidarité qui participe de la raison qui permet d'améliorer les choses.
Rousseau et la tradition républicaine en France
Claude Nicolet, dans son ouvrage L'idée républicaine en France (1982), un livre qui a contribué au retour en force du républicanisme dans les années 1980, soutient que c'est Rousseau qui a fourni le socle théorique à la notion de république telle qu'elle est entendue en France. Selon cet auteur, l'idée républicaine en France s'est construite autour des concepts de souveraineté et de la théorie de la loi développés par le citoyen de Genève[420]. Nicolet écrit :
« La grande affaire des républicains, c'est bien entendu Rousseau. L'homme et l'œuvre ont été, par lui-même, si intimement liés, ils sont d'ailleurs si contradictoires en apparence, et si cohérents en réalité, qu'on ne pourra pas s'étonner que Rousseau ait été, un siècle durant - et peut-être plus - à la fois la référence inévitable et le signe de division le plus éclatant des républicains français, comme de quelques autres[421],[420]. »
De façon plus générale Rousseau est considéré avec Kant et le positivisme comme l'une des trois « sources » de la doctrine républicaine en France[422]. Il a permis aux républicains de disposer d'une légitimité historique face aux monarchistes et aux catholiques[420]. Toutefois cet héritage pose le problème de l'interprétation du Contrat social qui oppose un Rousseau en faveur d'un gouvernement aristocratique à un Rousseau plus républicain revendiqué par Robespierre. Pour Nicolet, Rousseau ne serait pas un auteur démocratique au sens contemporain comme l'ont cru Mme de Staël et Benjamin Constant, car il conserve au mot république son sens ancien d'État légitime gouverné par des lois, qui doit beaucoup à la politeia aristotélicienne. Selon cette interprétation, « le legs de Rousseau serait triple : au-delà du prince de la souveraineté populaire et la définition de la loi comme expression de la volonté générale, l'œuvre du philosophe aurait inspiré une théorie de la vertu comme visée d'intérêt général, jugée consubstantielle au républicanisme »[423].
Rousseau est absent du renouveau de la pensée républicaine initié par Quentin Skinner et John Pocock à partir des années 1960-1970. Ce renouveau, qui récuse le dualisme introduit par Isaiah Berlin entre liberté positive et négative, s'inscrit plus dans le sillage de Cicéron que d'Aristote et dans la tradition républicaine de Machiavel. Pour eux la liberté individuelle réside d'abord dans la participation à des institutions politiques[424].
Dans une étude sur le concept de souveraineté, Jacques Maritain voit dans « le mythe de la Volonté générale » exposé dans Du contrat social« un moyen de transférer au peuple le pouvoir séparé et transcendant du roi absolu »[425]. Or, selon le philosophe, ce transfert est hautement problématique :
« Ainsi Rousseau, qui n'était pas un démocrate[n 51], a introduit dans les démocraties modernes naissantes une notion de la Souveraineté qui était destructrice de la démocratie, et tendait vers l'État totalitaire. […] Le Législateur, ce surhomme décrit dans le Contrat social, nous offre un avant-spectacle de nos dictateurs totalitaires modernes dont « la grande âme est le vrai miracle qui doit prouver » leur « mission », et qui doivent « altérer la constitution de l'homme pour la renforcer » (II, iv). Rousseau ne pense-t-il pas, au surplus, que l'État a droit de vie et de mort sur le citoyen[426] ? »
Et Maritain de conclure : « L'État de Rousseau n'est que le Léviathan de Hobbes couronné par la Volonté générale, en lieu et place de la couronne de ceux que le vocabulaire jacobin nommait les rois et les tyrans »[426].
De son côté, Alain de Benoist oppose la position de Rousseau à celle des philosophes des Lumières qui voulaient limiter les prérogatives du pouvoir et contestaient même la notion de souveraineté[n 52].
Dès 1788, Madame de Staël publie ses Lettres sur l'œuvre et le caractère de J.-J. Rousseau[427] où elle critique Rousseau, tandis que Benjamin Constant fait de lui un des responsables de la Terreur pour ne pas avoir posé de limite à la souveraineté populaire[428]. Hegel en partant d'une prémisse différente — ne pas avoir mis la volonté générale au service de l'État vu comme possédant quelque chose de divin, mais au service de la société civile — arrive également à la conclusion que Rousseau serait responsable de la Terreur[429].
Constant reproche aussi à Rousseau d'en être resté à la liberté des anciens tournée vers la politique et de n'avoir pas envisagé la liberté des modernes plus orientée vers la sphère individuelle et économique[429]. À la fin du XIXe, début du XXe siècle, des libéraux comme Émile Faguet ou Léon Duguit reprocheront à Rousseau d'avoir sacrifié l'individu à l'État[430]. Déjà pointe l'accusation de Rousseau père de la tyrannie : Duguit écrit, dans Souveraineté et liberté (1921), que Rousseau est « l'initiateur de toutes les doctrines de dictature et de tyrannie, depuis les doctrines jacobines de 1793 jusqu'aux doctrines bolcheviques de 1920 »[431]. Cette critique sera reprise au moment de la guerre froide, où Rousseau sera vu par Jacob Leib Talmon comme un des pères du totalitarisme. Friedrich Hayek associe Rousseau au constructivisme. Dans le tome 2 de Droit, législation et liberté (chapitre 11, page 178), il écrit :
« La nostalgie d'une société à la Rousseau guidée non par des lois morales apprises et justiciables seulement par la saisie intellectuelle des principes sur lesquels cet ordre est fondé, mais par les émotions « naturelles » irréfléchies, enracinées dans les millénaires de vie en petites hordes - cette nostalgie mène directement à réclamer une société socialiste où l'autorité fait régner la « justice sociale » visible d'une manière qui convient à ces émotions naturelles[432]. »
Selon Christopher Bertram, la philosophie politique libérale de John Rawls, notamment celle de son ouvrage majeur la Théorie de la justice, présente certaines affinités avec la pensée de Rousseau. En particulier, la façon dont Rawls introduit la notion de position originelle pour mettre l'intérêt personnel au service des principes de justice n'est pas sans rappeler l'argument de Rousseau selon lequel les citoyens devraient être tirés au sort pour sélectionner les lois de façon impartiale[433].
Pour l'intellectuel indien Pankaj Mishra, Rousseau serait le seul philosophe des Lumières à avoir anticipé les écueils et la colère auxquels peut mener une « marchandisation effrénée de la société humaine » et la croissance des inégalités[434]. Il exalte en contrepoint la pensée du citoyen de Genève pour « sa critique prémonitoire d’un système politique et économique fondé sur la comparaison envieuse, l’intérêt personnel et la multiplication de besoins artificiels[435]. »
Rousseau a profondément influencé Kant qui avait un portrait de lui pour seul ornement de son bureau. On raconte que la seule exception que ce dernier fit à sa promenade quotidienne rituelle fut le jour où il était trop absorbé par la lecture de l'Émile qu'il venait de recevoir[436].
Reconnaissant à Rousseau de l'avoir « remis dans le droit chemin », Kant voit en lui l'équivalent dans le domaine de la morale de ce qu'est Newton en physique. Il s'oppose toutefois à lui dans sa conception du progrès. Pour Rousseau, la logique aveugle des passions conduira fatalement au triomphe définitif du despotisme le plus hideux[sp 109], alors que Kant voit l'avenir comme « un progrès vers plus de liberté, et plus d'autonomie morale et politique »[437].
Pour Bertram, la notion rousseauiste de volonté générale imprègne la notion d'impératif catégorique notamment dans la troisième formulation que l'on trouve dans Fondements de la métaphysique des mœurs[433]. Toutefois, la pensée de Rousseau s'oppose à l'idée kantienne d'une législation universelle. En effet, dans des travaux préparatoires au Contrat social Rousseau a rejeté l'idée d'une volonté générale de l'humanité. Pour lui, la volonté générale n'apparait que dans le cadre de l'État[433]. L'influence de Rousseau sur Kant est aussi perceptible dans sa psychologie morale, notamment dans son livre La Religion dans les limites de la simple raison[438].
La relation entre Hegel et Rousseau est complexe. Si dans la philosophie du droit, Hegel félicite Rousseau de voir la volonté comme la base de l'État, il se fait une fausse idée de la notion de volonté générale qu'il voit comme recouvrant les volontés contingentes des individus. Enfin, Hegel reprend la notion d'amour propre de Rousseau ainsi que l'idée qu'attendre des autres respect et reconnaissance exacte peut amener à se soumettre à eux[433].
Schopenhauer, quant-à-lui, disait : « Ma théorie a pour elle l'autorité du plus grand des moralistes modernes : car tel est assurément le rang qui revient à J.-J. Rousseau, à celui qui a connu si à fond le cœur humain, à celui qui puisa sa sagesse, non dans des livres, mais dans la vie ; qui produisit sa doctrine non pour la chaire, mais pour l'humanité ; à cet ennemi des préjugés, à ce nourrisson de la nature, qui tient de sa mère le don de moraliser sans ennuyer, parce qu'il possède la vérité, et qu'il émeut les cœurs[439]. »
Concernant Karl Marx, si les idées d'aliénation et d'exploitation peuvent être vues comme présentant certains liens avec la pensée de Rousseau sur ces sujets, les références à Rousseau dans l'œuvre de Marx sont trop rares, et de trop peu d'importance pour qu'on puisse en tirer des conclusions certaines[433].
La pensée politique de Rousseau influence les révolutionnaires de 1830 et de 1848, Blanqui et les Communards de 1871, ainsi que les anarchistes de la fin du XIXe siècle[440]. Son esprit est immortalisé dans la chanson que Victor Hugo a mise dans la bouche de Gavroche au moment de l'insurrection républicaine de 1832[n 53] :
Joie est mon caractère C’est la faute à Voltaire Misère est mon trousseau C’est la faute à Rousseau[sp 110].
L'économiste libéral Frédéric Bastiat voit en Saint-Simon, Charles Fourier et leurs disciples les « fils de Rousseau »[441]. De même, alors que Proudhon exècre Rousseau[n 54], Louis Blanc se réclame de lui, tout en défendant le principe de la représentation contre la démocratie directe[442]. Pour Jean Jaurès, Rousseau est même le précurseur du socialisme. C'est aussi l'avis de Célestin Bouglé pour qui la théorie des lois de Rousseau « ouvre directement la voie au socialisme »[441].
La place que Rousseau accorde aux antagonismes sociaux issus de la division des tâches et de la propriété privée fait de lui un penseur anti-aristocratique et anticapitaliste[443], dont l'œuvre défend l'idée que « les structures économiques et politiques devraient enrayer le processus naturel d'accumulation des richesses et de concentration du pouvoir[444]. » À ce titre, il peut être considéré comme un précurseur du marxisme[445]. Pourtant, Marx ne cite que très peu Rousseau. Quand il se réfère à la partie du chapitre 7 du livre II du Contrat social, c'est de façon négative pour noter que c'est « un excellent tableau de l'abstraction bourgeoise »[441]. En fait, Karl Marx reproche à Rousseau de ne pas assez tenir compte des rapports sociaux[441]. D'une façon générale la lecture marxiste, notamment dans les années 1960, privilégie la lecture du Contrat social par rapport au Discours sur l'inégalité et est très critique envers la notion de volonté générale. Selon ces auteurs, la volonté générale s'oppose à la lecture marxiste en termes de luttes des classes et de conflits politiques[446].
En Italie, Rousseau a été étudié par Galvano Della Volpe, disciple de Gramsci. Dans un premier temps, en 1945, cet auteur soutient que Rousseau s'oppose au marxisme en tant que continuateur d'une tradition « qui part de Platon et, à travers le christianisme, rejoint le jusnaturalisme laïc »[447]. En 1954, au contraire, il estime qu'il existe à partir de Locke et de Rousseau deux théories de la démocratie « une ligne Locke-Kant-Humboldt-Constant qui produit la théorie de la démocratie libérale ; une ligne Rousseau-Marx-Engels-Lénine qui trouve son incarnation historique dans la démocratie soviétique (prolétarienne et non représentative) »[448]. Dans ces conditions, Rousseau aurait pu, selon lui, contribuer à enrichir le marxisme[448].
Le marxisme au début du XXIe siècle tel qu'il se développe autour de Toni Negri est très critique envers Rousseau qu'il voit comme un des penseurs de la souveraineté — concept qu'il juge réactionnaire — et comme le promoteur d'une vision juridique qui encourage une orientation organisationnelle, voire bureaucratique du pouvoir et de la société[449]. De même, au terme de son étude, Jacques Julliard, grande figure de la gauche française et éditorialiste influent, tout en avouant son admiration pour Jean-Jacques qu'il place dans son cœur auprès de Jésus, conclut que le penseur Rousseau est « tout à fait incompétent […] pour nos problèmes politiques, ici et maintenant[450]. »
Réappropriation par l'extrême-droite
Si la gauche française se sent maintenant mal à l'aise devant la figure de Rousseau en raison, selon les mots de Jacques Julliard, de « son conservatisme et du caractère nettement nationaliste, pour ne pas dire xénophobe, de sa vision politique[451] », l'extrême-droite, en revanche, le revendique et se l'approprie pour les mêmes raisons, prenant acte du fait que la gauche a « muté pour l'universel et abandonné le patriotisme farouche de Rousseau pendant l'affaire Dreyfus[452] ». Dans son livre Destin français (2018), Éric Zemmour présente Rousseau comme « le seul écrivain français qui soit souvent désigné sous son seul prénom » et l'oppose à Voltaire : Jean-Jacques est le champion de l'égalité, tandis que son rival est celui de la liberté :
« Les deux figures de la Révolution vont se disjoindre, s'opposer. La querelle sociale, qui devient prééminente au XIXe siècle avec l'émergence du capitalisme industriel les éloigne : la bourgeoisie est voltairienne, les gens du peuple sont rousseauistes. L'individu d'un côté, la volonté générale de l'autre. La liberté et l'égalité deviennent désormais antinomiques[453]. »
En outre, Zemmour rappelle que Voltaire annonçait une « République européenne » qui uniformise les mentalités, tandis que Rousseau en déplorait déjà les premiers symptômes : « Il n’y a plus aujourd’hui de François, d’Allemand, d’Espagnols, d’Anglois même, quoi qu’on en dise ; il n’y a que des Européens. Tous ont les mêmes goûts, les mêmes passions, les mêmes mœurs, parce qu’aucun n’a reçu de formes nationales par une institution particulière[sp 111]. » Le chef du parti Reconquête développe ainsi son thème familier selon lequel « l'attachement à la patrie est inconciliable avec le cosmopolitisme rationaliste; on ne peut pas aimer sa patrie et le monde, les siens et les étrangers; l'amour universel est un leurre[454] ». Il n'éprouve guère de difficulté à trouver des citations à l'appui dans l'œuvre foisonnante de Rousseau[455], notamment son opposition au « message évangélique qui corrode et dissout la nation au nom de la fraternité universelle[454] » et son exaltation du patriotisme comme valeur suprême : « Le patriotisme & l’humanité sont, par exemple, deux vertus incompatibles dans leur énergie, & surtout chez un Peuple entier. Le Législateur qui les voudra toutes deux, n’obtiendra ni l’une ni l’autre[sp 112]. » Selon Blaise Bachofen, « si Rousseau accorde la plus grande importance à ce qu’il nomme patriotisme, en revanche l’idée de nationalisme, au sens d’une préférence nationale érigée en principe et mise en système, lui est étrangère[456]. »
Cette récupération récente par l'extrême-droite rompt avec sa position traditionnelle. Au début du XXe siècle, le royalisteCharles Maurras voyait en Rousseau l'inspirateur de la Révolution et la source intellectuelle de tous les maux de la France : « Je hais dans Rousseau le mal qu'il a fait à la France et au genre humain, le désordre qu'il a apporté en tout et, spécialement, dans l'esprit, le goût, les idées, les mœurs et la politique de mon pays. Il est facile de concevoir qu'il ait dû apporter le même désordre sur le plan religieux[413]. »,[n 55]. Quant au régime de Vichy, il a été partagé dans son appréciation de Rousseau. Marcel Déat a salué un « Jean-Jacques Rousseau totalitaire », socialiste et national[457]. Chez les adeptes plutôt maurrassiens, le citoyen de Genève a parfois été dépeint comme la figure même du « Juif errant » voire, chez Maurras lui-même, comme un « anarchiste individualiste » et un « faux prophète »[458]. Dans un livre sur Montesquieu publié en 1943, M. Duconseil, un tenant de la « Révolution nationale » de Pétain et collaborateur de L'Action française, écrit : « Jean-Jacques Rousseau est la grande figure sémite qui domine notre époque. […] Voilà le père des dogmes démocratiques modernes »[458]. Dominique Sordet rapproche Rousseau et Léon Blum, et qualifie les idées du philosophe de « destructives […] de tout ordre social hiérarchique, et par conséquent aryen »[458].
Influence sur la langue et la littérature
L'élégance de l'écriture de Rousseau a conduit à une transformation significative de la prose française en aidant l'écrivain à se libérer des normes rigides héritées du Grand Siècle, ainsi que le remarquait déjà Louis-Sébastien Mercier en 1791 :
« L'éloquence de J. J. Rousseau contraste avec celle des écrivains de son siècle; elle ne marche point avec une froide majesté, ou armée de pointes et d'épigrammes ; elle fait jaillir la pensée et le sentiment, parce qu'elle est le résultat du génie, du sentiment et de l'esprit fondus ensemble ; elle est souple, et nous enchante par tous les tons qui, dans son style, se mêlent sans discordance. La grâce et la clarté sont répandues par-tout, et l'inépuisable variété des tours répond à cette multitude d'idées, qui se pressaient sous la plume de l'écrivain[459]. »
L'impact profond et durable de son œuvre est dû à une prose à la fois claire et harmonieuse, alliant force et douceur, dans laquelle fusionnent les images, le son et le sens, résultant d'une profonde réflexion sur la nature essentiellement musicale du langage qu'il expose dans son Essai sur l'origine des langues. Vers 1755, il devient plus soucieux de faciliter la tâche du lecteur en fragmentant son texte en petits chapitres et en recherchant la clarté et la concision[460]. Ce souci du lecteur est encore explicité dans sa Lettre à d'Alembert[461] :« Il a donc falu changer de style : pour me faire mieux entendre à tout le monde, j’ai dit moins de choses en plus de mots ; & voulant être clair & simple, je me suis trouve lâche & diffus[sp 113]. »
De nombreux écrivains hors de France ont été influencés par Rousseau. C'est le cas en Russie pour Pouchkine et Tolstoï qui a écrit : « À quinze ans je portais autour de mon cou un médaillon avec un portrait de Rousseau en lieu et place de l'habituelle croix[n 56]. » En Angleterre, Rousseau a influencé Wordsworth, Coleridge, Lord Byron, Shelley, et John Keats ; aux États-Unis, Hawthorne et Thoreau ; en Allemagne, Goethe, Schiller et Herder. Ce dernier considérait Rousseau comme son « guide » tandis que Goethe remarquait en 1787 que l'« Émile ou De l'éducation avait eu une influence notable sur les esprits cultivés du monde »[462].
Rousseau et le courant « urbaphobe »
Rousseau est considéré comme l'un des fondateurs du courant antiurbain ou « urbaphobe » qui combat la grande ville[463]. Dans l’Émile, Rousseau décrit son idéal, la ferme isolée vivant en autarcie sous un régime patriarcal : « ce pain bis, que vous trouvez si bon, vient du blé recueilli par ce paysan ; son vin noir et grossier, mais désaltérant et sain, est du cru de sa vigne ; le linge vient de son chanvre, filé l'hiver par sa femme, par ses filles, par sa servante ; nulles autres mains que celles de sa famille n'ont fait les apprêts de sa table ; le moulin le plus proche et le marché voisin sont les bornes de l'univers pour lui »[sp 114].
Lévi-Strauss souligne d’abord chez Rousseau le projet anthropologique cherchant à distinguer l’apport de la nature et de la culture dans le fonctionnement des sociétés humaines. Lévi-Strauss insiste également sur l’injonction à voyager pour mieux comprendre l'être, formulée par Rousseau et reprise de façon générale par l'ethnologie. Lévi-Strauss cite Rousseau :
« Quand on veut étudier les hommes, il faut regarder près de soi; mais pour étudier l'homme, il faut apprendre à porter sa vue au loin; il faut d'abord observer les différences pour découvrir les propriétés[sp 115]. »
Lévi-Strauss remarque également que Rousseau déplorait le peu d’intérêt de ses contemporains pour étudier les cultures et les mœurs, qui préféraient selon lui voyager pour étudier les pierres et les plantes, plutôt que pour étudier les peuples[464].
Pour Lévi-Strauss, l’introspection qui caractérise la pensée de Rousseau est également une de ses influences sur la pensée anthropologique. Puisque l’observateur est son propre instrument d’observation dans l’expérience ethnographique, il doit particulièrement faire preuve d’introspection pour écarter ses biais. Il contraste ainsi la pensée de Rousseau et celle de Descartes, où le second « croit passer directement de l'intériorité d'un homme à l'extériorité du monde, sans voir qu'entre ces deux extrêmes se placent des sociétés, des civilisations, c'est-à-dire des mondes d'hommes[464]. »
Selon l'historien Léon Poliakov Rousseau invitait ses contemporains à faire des voyages dans les pays lointains, afin d'y « étudier, non toujours des pierres et des plantes, mais une fois les hommes et les mœurs[465]. »
Hommages et présence dans la culture
Hommage de la France : le transfert au Panthéon
La question de l'hommage de la nation française à Rousseau est posée peu de temps après la décision de l'Assemblée du de transformer l'église Sainte-Geneviève en sépulture des grands hommes, à la suite de l'entrée de Voltaire dans ce qui était devenu le Panthéon, le . En , le journaliste et écrivain Pierre-Louis Ginguené rédige une pétition qu'il fait circuler parmi les gens de lettres. Appuyée par trois-cents signatures, elle est remise par deux députations, l'une de Parisiens, l'autre d'habitants de Montmorency. Les Parisiens exigent une statue, mais aussi le transfert au Panthéon, tandis que les habitants de Montmorency se contenteraient d'un cénotaphe dans le mémorial républicain[466].
Le projet sommeille quelques années. Thérèse veuve Rousseau se présente à la Convention nationale, le , pour réclamer fermement la translation promise. Les événements de la Terreur repoussent encore l'application de la décision. Finalement, la cérémonie est fixée au [467].
L'entrée au Panthéon se fait au son de l'orgue, dans un « recueillement religieux »[468]. Cambacérès, président de la Convention, prononce l'éloge du grand homme :
« Moraliste profond, apôtre de la liberté et de l'égalité, il a été le précurseur qui a appelé la nation dans les routes de la gloire et du bonheur. […] C'est à Rousseau que nous devons cette régénération salutaire qui a opéré de si heureux changements dans nos mœurs, dans nos coutumes, dans nos lois, dans nos esprits, dans nos habitudes… Ce jour, cette apothéose, ce concours de tout un peuple, cette pompe triomphale, tout annonce que la Convention veut acquitter à la fois envers le philosophe de la nature, et la dette des Français, et la reconnaissance de l'humanité[469]. »
La cérémonie se termine par un Hymne à Jean-Jacques Rousseau de Marie-Joseph Chénier sur une musique de Gossec. Le soir, le peuple danse. Une gravure de Geissler représente la Résurrection de Jean-Jacques Rousseau où, coiffé de son bonnet d'Arménien, il sortait du tombeau comme un nouveau Christ[470]. Un opéra-comique en un acte de Dalayrac, sur un livret d'Andrieux, intitulé L'Enfance de Jean-Jacques Rousseau[471], est créé le [472] et représenté jusqu'en 1796.
L'Île Rousseau à Genève est nommée en hommage au philosophe des Lumières originaire de cette ville. L'île portait le nom d'Île aux Barques avant de prendre son nouveau nom en 1834. L'année suivante, en 1835, une statue de Rousseau est réalisée sur l'île par le sculpteur James Pradier[sp 116]. Auparavant, des hommages plus discrets sous forme de buste ont orné le parc des Bastions, comme celui réalisé par Jean Jaquet en 1793, puis celui en marbre créé par James Pradier, inauguré le 30 avril 1821, et qui se trouve aujourd'hui au Musée d'art et d'histoire de Genève[473].
En 1969, un bâtiment d'enseignement post-obligatoire a été ouvert dans le quartier du Bouchet à Genève, portant le nom de Collège Rousseau, en hommage à l'auteur d'Émile ou De l'éducation.
Genève a célébré le tricentenaire de la naissance de Rousseau sous le titre « 2012 Rousseau pour tous »[474]. La célébration a duré un an et a été marquée par des « expositions, spectacles, opéra, concerts, banquets républicains, films, promenades, publications et colloques »[475]. C'est également en cette année qu'a été créée la Maison de Rousseau et de la Littérature à Genève, un lieu de rencontres et de débats[476].
Statue de Jean-Jacques Rousseau à Genève par James Pradier.
Résurrection de Jean-Jacques Rousseau, estampe de Christian Gottlieb Geissler.
Musées et espaces rousseauistes
En France
Musée Jean-Jacques Rousseau à Montmorency
Donjon, le cabinet de travail de Jean-Jacques Rousseau.
Le musée Jean-Jacques Rousseau est situé à Montmorency dans le département du Val-d'Oise. En avril 1756, Jean-Jacques Rousseau fuit Paris, « ville de bruit, de fumée et de boue »[477] et il s’installe à Montmorency, au lieu-dit L’Ermitage[478]. En décembre 1757, il emménage dans l’actuel musée Jean-Jacques Rousseau au petit Mont-Louis avec Térèse Levasseur[479].
Le musée Jean-Jacques Rousseau se compose du petit Mont-Louis, de la maison du philosophe, de la Maison des Commères, du «Donjon» et d’un jardin comprenant le cabinet de verdure. On trouve au musée des documents liés à la vie et à l’œuvre Rousseau, les collections sont riches d’environ 12 000 pièces[480]. Installée dans une bâtisse du XVIIe siècle la bibliothèque d’études rousseauistes contient environ 30 000 documents[481].
C’est dans le vallon des Charmettes, situé aux abords de Chambéry dans un site naturel préservé que Rousseau connut avec Madame de Warens son premier amour et sa bienfaitrice entre 1736 à 1742. Dans la maison ayant appartenu à Madame de Warens, un musée d’ambiance a été créé. Les chambres de Madame de Warens et Jean-Jacques ont été reconstituées.
Peu après la mort de Rousseau, la maison des Charmettes est devenue un lieu de pèlerinage. Période de formation et de bonheur, les Charmettes ont permis à Rousseau de devenir lui-même et sont à l’origine de son « magasin d’idées »[sp 118].
Musée Jacquemart-André à Fontaine-Chaalis
La galerie à l'étage du château-musée de l'abbaye de Chaalis.
Le Musée Jacquemart-André à l'abbaye de Challis présente 6 000 œuvres d'art, du mobilier, des peintures, des sculptures et des objets décoratifs. Il est situé dans le château construit par Jean Aubert au XVIIIe siècle, à côté des vestiges d'une ancienne abbaye cistercienne du XIIe siècle, au cœur d'un magnifique parc[482].
La galerie Rousseau abrite l'importante collection du marquis René-Louis de Girardin qui accueillit Rousseau en 1778 pour les six dernières semaines de sa vie. L’ensemble est composé de quelque 400 objets d’art, plus de 500 manuscrits (dont l’unique partition autographe connue des Muses galantes), des herbiers, des objets personnels ayant appartenu à Jean-Jacques Rousseau (son encrier, sa canne et son fauteuil), 600 livres de la bibliothèque Rousseau et les bustes de Voltaire et Rousseau par Jean-Antoine Houdon[483].
En Suisse
Le parcours Rousseau à Genève
Le Parcours Rousseau est situé dans la maison natale de l’écrivain au no 40, Grand-Rue dans la Vieille-ville de Genève au cœur de la « Maison Rousseau et Littérature »[484]. Il présente sept niches thématiques (Bonheur, Genève, Sentiment, Liberté, Enfance, Nature et Visages multiples) qui sont conçues comme une promenade confrontant l’œuvre et les idées de Rousseau aux inquiétudes de notre temps[485].
Bibliothèques publiques et universitaires de Genève
La Bibliothèque de Genève abrite dans la salle Rousseau les manuscrits les plus rares du philosophe, notamment l’une des premières ébauches de Du Contrat social, dite le Manuscrit de Genève, qui présente des différences avec la version finale. Également la première rédaction du Dictionnaire de musique et le manuscrit autographe de la première partie des Confessions (rédigée entre 1764 et 1770) et des Rêveries du promeneur solitaire. Le centre d’iconographie possède également l’une des collections les plus importantes d’iconographique[486].
En 2011, la collection de la Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel est entrée, aux côtés de celle de la Bibliothèque de Genève, au registre international Mémoire du monde de l’Unesco[489]. La ville de Neuchâtel abrite aussi, depuis 1956, l'Association des amis de Jean-Jacques Rousseau[490], association qui est à l'origine du parcours pédestre commenté à travers la Suisse romande dit via Rousseau, reliant les principaux lieux visités par le philosophe[491].
La chambre occupée par Rousseau lors de son séjour sur l'île Saint-Pierre à Berne en 1765 est accessible et visitable, et le prieuré où il a séjourné est devenu un restaurant[492]. De l'autre côté du lac de Bienne, un hôtel a été nommé en son honneur[493].
Musée de Môtiers
Le musée Rousseau à Môtiers.
Rousseau a vécu à Môtiers du au . Le musée Rousseau de Môtiers est installé dans la maison occupée par Jean-Jacques Rousseau et Marie-Thérèse Levasseur pendant leurs années d'exil de 1762 à 1765 à Môtiers dans le canton de Neuchâtel. De la bâtisse du XVe siècle, il ne reste que la chambre et la cuisine de Rousseau. Transformée en musée, il présente des aspects peu connus de la vie et de l’œuvre du philosophe, en particulier sur son exil neuchâtelois[494].
Fontaine Jean-Jacques Rousseau à Annecy, à l'endroit où l'écrivain rencontre Madame de Warens pour la première fois.
En France, en 2016, plus de 650 rues portent le nom de rue Jean-Jacques Rousseau, ce qui en fait la 38e personnalité la plus honorée de cette manière[496].
D'autres éléments honorent sa mémoire, comme :
Fontaine Jean-Jacques Rousseau à Annecy, qui marque le lieu où Rousseau rencontre Madame de Warens pour la première fois. Ce monument, érigé en 1928, fait suite au souhait exprimé dans Les Confessions par le philosophe que soit construit un petit monument en ce lieu[497].
Henri Kling, corniste et compositeur français installé à Genève, a composé une cantate intitulée Jean-Jacques Rousseau, pour solistes, chœur mixte et orchestre. Il a également écrit à son sujet[498].
1972 : conférence d’Henri Guillemin sur les grandes lignes de la pensée politique de Rousseau[504] (30 minutes) et sur la pensée religieuse de Jean Jacques Rousseau[505] (31 minutes). Réalisation par Claude Goretta. Diffusion sur la Télévision Suisse Romande les 11 et 25 novembre 1972.
1981 : Le Merveilleux Voyage de François au Pays de Jean-Jacques d’Hervé Pernot. Coproduction INA. François, 12 ans, se perd dans une forêt et se retrouve au XVIIIe siècle. Il y cherche un homme dont ses parents lui ont beaucoup parlé : Jean-Jacques Rousseau[508].
1995 : Jean-Jacques Rousseau 1712-1778, de Jean-Louis Cros. Production CNDP, 14 minutes. Documentaire fiction qui évoque trois aspects de son œuvre littéraire[509].
2011 : Rousseau, les chemins de Jean-Jacques, d’Hervé Pernot. Production La Cité Films, 55 minutes. Une inspiration des Confessions pour raconter les vingt-cinq premières années de la vie du célèbre philosophe[510].
2012 : Ma nouvelle Héloïse, de Francis Reusser avec Alexandra Camposampiero. Production Le CinéAtelier, 87 minutes. Un riche mécène japonais, admirateur de l'œuvre de Rousseau, demande à un cinéaste atypique de réaliser une version filmée du célèbre roman Julie ou la Nouvelle Héloïse[511].
2012 : Jean-Jacques Rousseau, tout dire, de Katharina Von Flotow. Production Télévision suisse romande et Arte, 88 minutes. Lecture des textes de Rousseau par Roger Jendly. Vie et pensées d'un philosophe des Lumières à l'intranquillité chronique[512].
Sources
[Contrat] Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, Paris, Le livre de Poche, , 319 p.
[Écrits] Jean-Jacques Rousseau, Jean-Jacques Rousseau : Écrits politiques, Paris, Le Livre de Poche, .
[Discours] Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Paris, Gallimard Folio/essais, , 384 p.
[OC I] Jean-Jacques Rousseau, Œuvres complètes I : Les Confessions et Autres textes autobiographiques, Paris, Éditions Gallimard, coll. « La Pléiade », (1re éd. 1959), 2096 p.
[OC II] Jean-Jacques Rousseau, Œuvres complètes II : La Nouvelle Héloïse, Théâtre, Poésies, Essais Littéraires, Paris, Éditions Gallimard, coll. « La Pléiade », (1re éd. 1961), 2160 p.
[OC III] Jean-Jacques Rousseau, Œuvres complètes III : Du contrat social, Écrits politiques, Paris, Éditions Gallimard, coll. « La Pléiade », (1re éd. 1959), 2240 p.
[OC IV] Jean-Jacques Rousseau, Œuvres complètes IV : Émile, Éducation, Morale, Botanique, Paris, Éditions Gallimard, coll. « La Pléiade », (1re éd. 1969), 2192 p.
[OC V] Jean-Jacques Rousseau, Œuvres complètes V : Écrits sur la musique, la langue et le théâtre, Paris, Éditions Gallimard, coll. « La Pléiade », , 2240 p.
« Édition thématique du tricentenaire », Raymond Trousson et Frédéric S. Eigeldinger (éd.), Genève, Éditions Slatkine, et Paris, Éditions Champion, 2012, 24 vol.
« Présentation chronologique » du tricentenaire, Jacques Berchtold, Yannick Séité, et François Jacob (éd.), Paris, Classiques Garnier, 21 vol. prévus.
Notes et références
Notes
↑Pour consulter l'arbre généalogique de Rousseau, voir « Ah ! – si Rousseau m’était conté. », sur Société internationale des amis du musée - Jean Jacques Rousseau, (consulté le ).
↑Launay cite notamment en exemple cette dédicace de Rousseau : « Tels sont, magnifiques et très-honorés seigneurs, les citoyens et même les simples habitants nés dans l’état que vous gouvernez ; tels sont ces hommes instruits et sensés dont, sous le nom d’ouvriers et de peuple, on a chez les autres nations des idées si basses et si fausses. » (À la République de Genève, p. 210) (Launay 1971, p. 42 et 165)
↑Gabriel Bernard est en même temps le frère de Suzanne Bernard et l'époux de Theodora, la sœur d'Isaac Rousseau[15].
↑La maison est une propriété du marquis François de Conzié. Rousseau reverra Conzié longtemps après le décès de Mme de Warens (voir Guillemin 1856, p. 73).
↑La rupture avec Diderot surviendra en 1757 à la suite d'une phrase de ce dernier dans Le Fils naturel affirmant que : « l’homme de bien est dans la société, et qu’il n’y a que le méchant qui soit seul. » Rousseau se sent attaqué et s’offusque (Curran 2019, p. 151-157). Il en fait le récit dans Les Confessions, VII, p. 178. La brouille a également pour origine les indiscrétions qu'il attribue à Diderot sur sa liaison avec Mme d'Houdetot.
↑En 1745, Rameau, qui écoute des morceaux des Muses galantes chez un fermier général, juge que « certains sont d'un apprenti, d'autres d'un plagiaire. » (Trousson 1988, I, p. 220)
↑« Je parlai à Diderot de Condillac et de son ouvrage ; je leur fis faire connaissance. Ils étaient faits pour se convenir ; ils se convinrent. Diderot engagea le libraire Durant à prendre le manuscrit de l’abbé, et ce grand métaphysicien eut de son premier livre, et presque par grâce, cent écus, qu’il n’aurait peut-être pas trouvés sans moi. Comme nous demeurions dans des quartiers fort éloignés les uns des autres, nous nous rassemblions tous trois une fois la semaine au Palais-Royal, et nous allions dîner ensemble à l’hôtel du Panier-Fleuri. » (Rousseau, Les Confessions, VII, p. 70.)
↑Bertrand Russell se demande ce qui a bien pu attirer Rousseau chez cette femme plutôt laide et ignorante qui ne savait ni lire ni compter et ne connaissait pas les noms des mois (Russell 1945, p. 686). Voir aussi Trousson 1988, I, p. 215-217.
↑Aux livres V et VI de La République, Platon prévoit la mise en commun des femmes et des enfants : « Ces femmes de nos guerriers seront communes toutes à tous ; aucune n’habitera en particulier avec aucun d’eux ; les enfants aussi seront communs, et le père ne connaîtra pas son fils, ni le fils son père » (Livre V, p. 127). Le traducteur commente en note 14 « cette monstrueuse aberration du communisme des femmes... ». Voir aussi Audier 2004. Plus loin dans Les Confessions, Rousseau écrit encore qu'il a fait ce choix principalement pour soustraire ses enfants à l'emprise de sa belle-famille, qu'il jugeait néfaste. (Voir « Rousseau », dans Le Nouveau Dictionnaire des Auteurs, Laffont-Bompiani, ). Il refusa même l'offre que lui fit Madame d'Épinay, avant qu'elle ne se brouille avec lui, d'adopter ses enfants. (Les Confessions, VIII, p. 81). En 1761, croyant sa fin prochaine et étant en train de rédiger l'Émile, il éprouve des remords et demande l'aide de Mme de Luxembourg pour tenter de retrouver ses cinq enfants dont il avoue ne pas même savoir la date exacte de la naissance. (Trousson 1988, II, p. 132)
↑Nombre d'admirateurs de Rousseau ont mis en doute le fait que le vertueux philosophe ait ainsi abandonné ses enfants, mais les divers témoignages sont trop solides pour être récusés. Du reste, dans le Paris de cette époque, 41% des nouveau-nés, dont beaucoup avaient été ramassés dans la rue, étaient mis aux Enfants-Trouvés, où 70% des bébés m'atteignaient pas l'âge d'un an. (Trousson 1988, I, p. 225-230)
↑Mme d'Épinay, alors âgée de 21 ans, appréciait la compagnie de Rousseau jusqu'au moment de la rupture en 1757. Elle l'évoquera de façon peu favorable dans son roman épistolaire Histoire de Madame de Montbrillant. (Trousson 1988, I, p. 235-236)
↑Le sujet du concours tel qu'annoncé dans le numéro de novembre du Mercure de France est : « Quelle est la source de l'inégalité parmi les hommes, et si elle est autorisée par la loi naturelle? » (Trousson 1988, I, p. 318)
↑Voltaire se venge ainsi de Rousseau pour avoir révélé, dans la cinquième des Lettres écrites de la montagne, que le Sermon des Cinquante, violent libelle contre la religion chrétienne, était en fait de Voltaire alors que celui-ci l'attribuait à La Mettrie (Vivant 2012, p. 142 et 147). En recevant Le Sentiment des citoyens, Rousseau ne porte pas ses soupçons sur Voltaire mais sur le pasteur Jacob Vernes, car de nombreux indices dans le texte évoquent un auteur de Genève et de confession protestante.
D'Alembert, qui reconnaît la griffe de Voltaire, reproche à ce dernier des procédés indignes. (Trousson 1988, II, p. 258-260)
↑« un homme qui porte encore les marques funestes de ses débauches, et qui déguisé en saltimbanque traîne avec lui la malheureuse dont il fit mourir la mère, et dont il a exposé les enfants à la porte d'un hôpital. » (Cité dans Vivant 2012, p. 147)
↑Le sénat de Berne s'en justifie ainsi, selon le témoignage de Charles Bonnet : « On a trouvé que Rousseau était un homme inquiet et dangereux, [...] qu'on ne pouvait donner retraite à un personnage qui avait allumé le feu de la discorde à Genève, et qui inquiétait nos voisins de Neuchâtel. » (Trousson 1988, II, p. 294)
↑« On lui fait mettre un bonnet bien noir, un vêtement bien brun, on le place dans un lieu bien sombre, et là, pour le peindre assis on le fait tenir debout, courbe, appuyé dʼune de ses mains sur une table bien basse, dans une attitude où ses muscles fortement tendus altèrent les traits de son visage. De toutes ces précautions devait résulter un portrait peu flatteur quand il eût été fidèle » (Rousseau juge de Jean-Jacques).
↑D'après les registres tenus par Rousseau, il aurait copié plus de 11 000 pages de partitions en sept ans. (Trousson 1988, II, p. 409-412)
↑Comme le note Raymond Trousson, « Son rêve l'entraînait à d'étranges prescriptions : économie purement agricole, seule propre à une autarcie quasi absolue, dédain du système monétaire, au point qu'on paierait les fonctionnaires en mature et que les travaux publics s'effectueraient par corvées, suppression du luxe et des spectacles corrupteurs au profit d'un art patriotique et de fêtes collectives. » (Trousson 1988, II, p. 409-410)
↑« Français! écrivait-il, nation jadis aimable et douce, qu'êtes-vous devenus! Que vous êtes changés pour un étranger infortuné, à votre merci, sans appui, sans défenseur... Pourquoi faut-il qu'un scandale aussi public soit pour moi un mystère impénétrable? À quoi bon tant de machines, de ruses, de trahisons, de mensonges pour cacher au coupable ses crimes qu'il doit savoir mieux que personne s'il est vrai qu'il les ait commis ?... » (Trousson 1988, II, p. 429)
↑Dans ses Lettres sur les écrits et le caractère de J.-J. Rousseau (1788), Germaine de Staël soutient que Thérèse aurait poussé Jean-Jacques à se suicider parce qu'il avait découvert sa liaison avec un domestique de Girardin. Isabelle de Charrière répond à cette théorie dans Plainte et défense de Thérèse Levasseur (1789). (Vivant 2012, p. 220)
↑Dans Réflexions sur les Confessions de Jean-Jacques Rousseau (1783), Antoine Servan, ancien avocat-général au parlement de Grenoble, fait une charge contre l'ouvrage en raison des graves atteintes à vie privée d'autrui, notamment celle de Mme de Warens. Cet ouvrage a connu de nombreuses rééditions. (Vivant 2012, p. 208)
↑Diderot raconte ainsi ce moment clé : « L'Académie de Dijon proposa pour sujet de prix : Si les sciences étaient plus nuisibles qu’utiles à la société. J'étais alors au château de Vincennes. Rousseau vint m'y voir, et par occasion me consulter sur le parti qu’il prendrait dans cette question. « Il n’y a pas à balancer, lui dis-je, vous prendrez le parti que personne ne prendra. — Vous avez raison, » me répondit-il ; et il travailla en conséquence. » (Réfutation d’Helvétius, p. 285). Sur l'histoire de leur amitié, voir Nathalie Kremer, « Les frères ennemis ».
↑« J'ai reçu, monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain; je vous en remercie; vous plairez aux hommes à qui vous dites leurs vérités et vous ne les corrigerez pas. [...] On n'a jamais employé tant d'esprit à vouloir nous rendre bêtes. Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage. Cependant comme il y a plus de soixante ans que j'en ai perdu l'habitude, je sens malheureusement qu'il m'est impossible de la reprendre. Et je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plus dignes que vous et moi. » (Trousson 1988, I, p. 378). Le texte complet de la lettre est sur ce site
↑Il en expose le plan dans Les Confessions : « Je projetai dans un ballet héroïque trois sujets différents en trois actes détachés, chacun dans un différent caractère de musique ; et, prenant pour chaque sujet les amours d’un poète, j’intitulai cet opéra les Muses galantes. Mon premier acte, en genre de musique forte, était le Tasse ; le second, en genre de musique tendre, était Ovide ; et le troisième, intitulé Anacréon, devait respirer la gaieté du dithyrambe (Les Confessions, VII, p. 18.) »
↑Rousseau donnait des instructions détaillées pour les gravures de ses livres. Celle-ci est expliquée dans cette édition de la Nouvelle Héloïse réalisée à Amsterdam en 1770.
↑Julie ou la Nouvelle Héloïse, que Rousseau a écrit dans les parcs et jardins d'Ermenonville, apparaît comme l'écho du souvenir d'une femme qu'il y avait aimée : « Rousseau avait peuplé les lieux de son Héloïse d'une femme aimée » (Blanchard 1981, p. 78). Paradoxalement, en 1757, lorsqu'il rencontrera Madame d'Houdetot, il verra en elle l'incarnation de sa Julie et il en deviendra amoureux. (Trousson 1988, I, p. 426)
↑La phrase de Julie « il vaut mieux déroger à la noblesse qu’à la vertu, et la femme d’un charbonnier est plus respectable que la maîtresse d’un prince. » (5e partie) avait irrité la Cour à tel point que le censeur demanda à Rousseau de la retrancher. Celui-ci n'ayant pas obtempéré, Malesherbes camoufla la phrase dans l'exemplaire réservé à la maîtresse du Roi. (Launay 1971, p. 290)
↑« Quant à mon Contrat social, ceux qui se vantent de l'entendre tout entier sont plus habiles que moi : c'est un livre à refaire ; mais je n'en ai plus la force, ni le temps. » Cité par Dusaulx 1798, p. 102.
↑Rousseau lui-même en dit : « il m’importe fort peu d’avoir écrit un Roman. C’est un assez beau Roman que celui de la nature humaine. » (Émile, ou De l’éducation, V, p. 318). Voir là-dessus l'étude de Termolle 2019.
↑Rousseau cite particulièrement le dialogue de Platon, en le présentant comme un ouvrage d'éducation qu'on aurait tort de juger selon le titre.
↑L'ouvrage comptait originellement quatre livres mais Rousseau a refondu le livre II en deux livres, de sorte que le livre III, portant sur l'enfant de 12 à 15/16 ans, occupe dès lors une place centrale dans l'ouvrage. (Labarrière 1984, p. 61-62)
↑« [Rousseau] a rendu la mère à l'enfant et l'enfant à sa mère : croyons-en M. de Buffon ; on le louait de ce qu'il avait dit et prouvé que les mères devaient nourrir elles-mêmes leurs enfants : oui, nous l'avons dit, répondit-il ; mais M. Rousseau seul le commande et se fait obéir. » (Mercier 1791, p. 22)
↑Selon Nancy Senior, qui a consulté les archives de police, plus de 90% des bébés nés dans les grandes villes de France étaient alors mis en nourrice à la campagne. (Senior 1984, p. 93)
↑À titre d'exemple, en Amérique du Sud, Simón Bolívar sera éduqué selon les préceptes de cet ouvrage.
↑Selon Louis-Sébastien Mercier, la pensée de Rousseau a évolué sur la question : « Un jour, se trouvant à une des représentations d'Orphée, qu'il vit quarante fois, quelques amateurs, qui l'avoient distingué dans la foule, vinrent le trouver après le spectacle, et le voyant immobile et la tête baissée, lui dirent avec intérêt..... « M. Rousseau ; préjugé national à part, que pensez-vous de cet opéra ?» Rousseau ne répondit point; mais relevant enfin la tête, et montrant à ceux qui l'interrogeaient les larmes qui coulaient sur ses joues, il chanta à voix basse et d'un accent étouffé..... J'ai perdu mon Euridice, rien n'égale mon malheur !..... Cette rétractation, que la vérité obtenait de l'homme qui la disait toujours, leva l'anathème qu'une erreur, dont il convenait d'une manière si touchante, avait jeté sur la nation : sans avoir des métastase pour poëtes lyriques, nous revenons d'un préjugé qu'un grand homme nous avait donné. » (Mercier 1791, p. 5)
↑En 1755, Charles Palissot, protégé de Voltaire, avait présenté une pièce dans laquelle il ridiculisait les philosophes. En 1759, il fait jouer à la Comédie-Française sa pièce Les Philosophes dans laquelle il se moque des philosophes en vogue : Rousseau, présenté à quatre pattes et retournant à l’état primitif, Helvétius, Charles Pinot Duclos et Diderot. (Curran 2019, p. 182-186) Voir aussi la lettre de Voltaire sur le Second discours en note 11.
↑Sur la pensée religieuse de J.-J. Rousseau et son inspiration : Henri Gouhier, Les méditations métaphysiques de Jean-Jacques Rousseau, Vrin, .
↑La Lettre à Franquières et la lettre à Paul Moultou se trouvent dans le volume XIX de la Correspondance Générale (20 volumes, Armand-Colin, 1926).
↑« the inventor of the political philosophy of pseudo-democratic dictatorships as opposed to traditional absolute monarchies. » (Russell 1945, p. 684)
↑« Rousseau does not mean by liberty the negative freedom of the individual not to be interfered with within a defined area, but the possession by all, and not merely by some, of the fully qualified members of a society of a share in the public power which is entitled to interfere with every aspect of every citizen's life. » (Berlin 2002, p. 208).
↑ Bernardi relève aussi qu'« on a pu voir en [Rousseau] aussi bien un apôtre de l'irréductible liberté de l'individu qu'un fourrier du totalitarisme. Dans son outrance même, cette opposition renvoie à la caractérisation de sa démarche épistémologique : on a pu lui prêter une orientation tantôt individualiste tantôt holiste. Doit-on voir dans sa conception de la société la mise en œuvre d'un modèle artificialiste et mécaniste ou organiciste ? Sans se recouvrir, ces trois débats d'interprétation renvoient d'évidence l'un à l'autre. Si les exégètes les plus attentifs de la pensée de Rousseau se sont refusés à toute lecture unilatérale, si le Rousseau totalitaire de L.-J. Talmon […], ne leur a guère paru crédible, ils semblent généralement accepter les termes du débat. […] Une lecture attentive de ce chapitre I,V ne permet-elle pas de montrer que Rousseau cherche précisément à se dégager de l'opposition entre organicisme et artificialisme mécaniste (Bernardi 2001, p. 193 et 199?) »
↑Dans Réflexions sur la Révolution de France (1790), Burke rejette l'idéal égalitaire de Rousseau en recommandant plutôt de travailler au bonheur commun et que celui-ci vient de la prospérité et « qui constitue la seule véritable égalité des hommes, et non point cette monstrueuse fiction qui, en inspirant des idées fausses et de vaines espérances à des hommes destinés à cheminer dans l'obscurité d'une vie laborieuse ne sert qu'à aggraver et à rendre plus amère l'inégalité de fait qu'elle est impuissante à supprimer. »(Burke cité par Julliard 1985, p. 116)
↑Dans son Essai analytique sur les lois naturelles de l’ordre social (1800), Louis de Bonald écrit « Les hommes de 89 ont cru pouvoir faire table rase du passé, interrompre la vieille chanson de la servitude humaine, entonner le chant de la rénovation radicale. » (Cité par Julliard 1985, p. 86).
↑Lors des célébrations du bicentenaire de la naissance de Rousseau, en juin 1912, les Camelots du roi tentent de perturber les cérémonies tandis que L'Action française mène une vigoureuse campagne de dénigrement, désignant le philosophe comme un « Suisse vicieux », « le Métèque qui nous a fait le plus de mal », « un fou suivi d'un cortège de singes », etc. (Voir Vivant 2012, p. 307).
↑« S'il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes. »Du contrat social, III, iv.
↑« Alors que les philosophes des Lumières veulent limiter les prérogatives du pouvoir et contestent la notion même de souveraineté, Rousseau fait au contraire de celle-ci la pierre angulaire de tout son système politique. Appelant souverain le corps politique auquel a donné naissance le contrat social, il en déduit que la volonté générale étant une, la souveraineté qui en résulte ne saurait être fragmentée sous peine de perdre toute signification. Par définition, la souveraineté ne se divise pas. Rousseau rejette donc toute séparation des pouvoirs, toute tentative de diviser la souveraineté. Le contraste avec les propositions libérales est éclatant. Rousseau rejette l'alternative entre le libéralisme et le despotisme, ou plutôt il pense qu'en instaurant le citoyen, on peut assurer l'unité politique et sociale sans tomber pour autant dans le despotisme. On pourrait dire qu'en fin de compte, Rousseau veut seulement changer de monarque : il substitue le peuple au roi de droit divin, mais sans jamais abandonner l'idée de souveraineté absolue. Cela posé, il est assez indifférent à la forme du gouvernement. Il n'est pas hostile, par exemple, au gouvernement aristocratique, dont il dit même expressément qu'il est le « meilleur des gouvernements ». Mais cela doit se comprendre à l'intérieur de son système. L'essentiel, pour Rousseau, est que le peuple détienne la puissance législative et ne s'en dessaisisse jamais. Une fois cela acquis, la puissance exécutive peut aussi bien avoir une forme aristocratique. La capacité à gouverner ne se confond pas ici avec la souveraineté. (de Benoist 1995, p. 23) »
↑Par la suite, l'expression « C'est la faute à Rousseau » a été souvent reprise, notamment par Jacques Julliard pour déplorer que la gauche française soit dominée par une « vision étatiste de la société » mise de l'avant dans Du Contrat social (Darmau 1986, p. 156).
↑Proudhon écrit ainsi : « Jamais homme n'avait réuni à un tel degré l'orgueil de l'esprit, la sécheresse de l'âme, la bassesse des inclinations, la dépravation des habitudes, l'ingratitude du cœur ; jamais l'éloquence des passions, l'ostentation de la sensibilité, l'effronterie du paradoxe n'excitèrent une telle fièvre d'engouement. » (Cité par Julliard 1985, p. 135)
↑Lors des célébrations du bicentenaire de la naissance de Rousseau, les Camelots du roi tentent de perturber les cérémonies tandis que L'Action française mène une vigoureuse campagne de dénigrement, désignant le philosophe comme un « Suisse vicieux », « le Métèque qui nous a fait le plus de mal », « un fou suivi d'un cortège de singes », etc. (Voir Vivant 2012, p. 307).
↑Outre cela, on a relevé nombre de similitudes entre Jean-Jacques et Tolstoï, tant dans certains aspects de leur œuvre que dans leur sentiment croissant d'incompréhension du monde à leur égard. (Voir Georges Nivat dans Vivant 2012, p. 301-302.)
↑Le Discours était pourtant dédicacé à la république de Genève.
↑« On l’emmaillote, on le couche la tête fixée & les jambes allongées, les bras pendans à côté du corps ; il est entouré de linges & de bandages de toute espece, qui ne lui permettent pas de changer de situation. Heureux si on ne l’a pas serré au point de l’empêcher de respirer, & si on a eu la précaution de le coucher sur le côté, afin que les eaux qu’il doit rendre par la bouche puissent tomber d’elles-mêmes ; car il n’auroit pas la liberté de tourner la tête sur le côté pour en faciliter l’écoulement [...] Au moindre tracas qui survient, on le suspend à un clou comme un paquet de hardes ; & tandis que sans se presser, la nourrice vaque à ses affaires, le malheureux reste ainsi crucifié. » (Émile, ou De l’éducation, I, p. 16)
↑Émile, ou De l’éducation, III, p. 327. Rousseau ajoute en note à cette phrase : « Je tiens pour impossible, que les grandes monarchies de l’Europe aient encore long-tems à durer ; toutes ont brillé, & tout État qui brille est sur son déclin. J’ai de mon opinion des raisons plus particulieres que cette maxime ; mais il n’est pas à propos de les dire, & chacun ne les voit que trop. »
↑(en) « He has only felt during the whole course of his life, and in this respect his sensibility rises to a pitch beyond what I have seen any example of ; but it still gives him a more acute feeling of pain than of pleasure. He is like a man who was stripped not only of his clothes, but of his skin, and turned out in this situation to combat with the rude and boisterous elements. »
↑(en) « This is the kindest summary of his character that is in any degree compatible with truth. »
Ouvrages cités
N.B. Pour une liste des 640 livres et articles sur Jean-Jacques Rousseau publiés depuis 1991, consulter la bibliographie établie par Benoît Melançon (site web).
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Sylvie Arsever, « L'adolescence, un âge en crises », Le Temps, (lire en ligne)
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« Rousseau Studies », sur rousseaustudies.free.fr, site de l'équipe Rousseau du Centre d'étude de la langue et de la littérature françaises des XVIIe et XVIIIe siècles
Collection complète de l'édition DuPeyrou et Moultou en 17 volumes, parue à Genève entre 1780 et 1789. Certains passages laissent à penser que le projet contient un mélange de plusieurs éditions. Le texte vidéocodé n'a pas encore été relu, ni corrigé.
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