Jean Guillou et Krystyna Szostek-Radkowa(pl) lors de la première parisienne de Judith, symphonie pour mezzo-soprano et orchestre, op. 21, en .Les grandes orgues de Saint-Eustache à Paris.
Virtuose de l’orgue, Jean Guillou est qualifié de « Rimbaud de l’orgue »[1] Sa carrière de concertiste le conduit à donner plus de 1 500 récitals d'orgue, mais aussi de piano dans le monde entier. Il se produit régulièrement au Japon[2], aux Etats-Unis[3], mais aussi à Mascate[4], à Tbilissi[5], en Allemagne dans toute l’Europe. Organiste titulaire de l’église Saint-Eustache, à Paris, il assure l’accompagnement musical des offices et donne nombre d’auditions dominicales et de concerts, jusqu’à la Semaine sainte de 2015 (il est alors âgé de 85 ans). Sa discographie comporte 100 volumes, publiés pour l'essentiel par Universal-Philips-Decca, Festivo, Dorian-Sono Luminus et Augure. Il enregistre avec les plus grands chefs : Te Deum de Berlioz en 1976 sous la direction de Daniel Barenboim (Sony), Troisième symphonie avec orgue de Camille Saint-Saëns en 1984 sous la direction de Edo de Waart (Decca), Symphonie concertante pour orgue et orchestre de Joseph Jongen en 1994 sous la direction d’Eduardo Mata (Dorian). Il est le premier interpréter, lors d’un même concert les deux sonates, pour piano et pour orgue, de Julius Reubke. Fervent interprète de Franz Liszt, il donne aussi plusieurs intégrales de l’œuvre d’orgue de Johann Sebastian Bach. Il inaugure le Double-piano, un piano-pédalier construit par le facteur italien Luigi Borgato, lors de deux concerts donnés en 2002 au Teatro Olimpico de Vicenza, repris en CD (Universal-Philips) et à l’Opéra Royal de Versailles.
Compositeur
Parmi les 88 œuvres inscrites à son catalogue, il faut signaler en premier lieu ses nombreuses œuvres pour orgue dont Toccata (op. 9 de 1962), La Chapelle des abîmes (op. 26 de 1973), Scènes d’enfant (op. 28 de 1974), Hypérion ou la Rhétorique du feu (op. 45 de 1988) et Regard (op. 77 de 2011), Périple (op. 87 de 2018). De nombreuses œuvres associent l’orgue à la voix : Peace, pour chœur mixte et orgue (op. 43 de 1985), Missa interrupta pour soprano, quintette de cuivre, percussions et orgue (op. 51 de 1995), Alice au pays de l’orgue, pour récitant et orgue (op. 53 de 1995) ou à d’autres instruments solistes (marimba, flûte de Pan, piano, percussions, trompette…) dans plusieurs des dix Colloques. Il écrit également de la musique de chambre pour instruments solistes : trois sonates pour piano (op. 5, 33 et 88), Impulso pour flûte (op. 74 de 2009), Co-incidence pour violon (op. 63 de 1996), et pour ensemble : Cantilia (op. 6 de 1960), Quatuor pour hautbois et trio à cordes (op. 22 de 1971), Poème pour piano à 4 mains et percussions (op. 79 de 2012) ainsi que des œuvres pour orchestre : Concerto grosso (op. 32 de 1978), trois symphonies dont la monumentale Symphonie n°1 « Judith » pour mezzo-soprano et orchestre. On lui doit 8 concertos pour orgue et orchestre, parmi lesquels le Concerto 2000 (op. 62 de 2000), et aussi, notamment, la Révolte des orgues (op. 69 de 2005) pour 8 orgues positifs, un grand orgue, des percussions et un chef. Après de multiples représentations dans des églises en Europe depuis sa création en 2007, l’œuvre est jouée dans la Philharmonie de Munich (en 2010), de Cologne (en 2010), dans la Philharmonie de Berlin, (en 2012), dans l’Auditorio Adrian Martín à Santa Cruz (Tenerife) en 2015 et à la Philharmonie de l'Elbe, à Hambourg (2018). Ses œuvres sont publiées chez Schott Music.
Improvisateur
Il se fait connaître, dès le début de sa carrière, comme un improvisateur inspiré. La plupart de ses concerts comportent une partie improvisée. Des enregistrements conservent le souvenir de son langage très personnel : Visions cosmiques, dédiées à l’équipage d’Apollo 8 (1968, Decca), Jeux d’orgue, sur des thèmes donnés par les auditeurs de la radio (1969, Decca), Biloulou-Safari pour le film de Marcel Izy-Schwart (2020, Augure), Les Charpentes de Saint-Eustache (Augure, 2023) des CD (« The art of improvisation », 1991, Dorian ; « Voyage à Naples » 2008, Philips), ainsi que des musiques pour les spectacles du Mime Marceau.
Transcripteur
Jean Guillou est reconnu pour avoir étendu les possibilités expressives de l’orgue en transcrivant de nombreuses œuvres pour piano ou orchestre de Johann Sebastian Bach (Offrande musicale BWV 1079, Variations Goldberg BWV 988, Fantaisie chromatique et fugue BWV 903, Sarabanda de la Partita pour luthBWV 997, Badinerie de la Suite pour orchestre no 2 BWV 1067, Aria de la Suite pour orchestre no 3 BWV 1068) ; Georg Friedrich Händel (Alla Hornpipe extrait de la Water Music) ; Franz Liszt (version syncrétique de la Fantaisie et Fugue sur le nom de B.A.C.H., Orpheus, Prometheus,Valse oubliée n°1, Psalm XIII, Tasso) ;Wolfgang Amadeus Mozart (Adagio et fugue en ut mineur KV 546, Adagio et Rondo en ut mineurKV 617, Regina CœliKV 276, Sancta Maria Mater DeiKV 273) ; Modeste Moussorgski (Tableaux d’une exposition) ;Serge Prokofiev (Toccata opus 11, Marche de l’opéra L’Amour des trois oranges) ;Serge Rachmaninov (Danses symphoniques op. 45) ; Robert Schumann (Quatre esquisses, Six Canon, Six Fugues sur B.A.C.H. pour piano pédalier) ;Igor Stravinsky (Trois danses de Petrouchka) ; Piotr Ilitch Tchaïkovski (Scherzo de la Symphonie no 6 Pathétique, Danse de La Fée Dragée extrait de Casse Noisette) ; Giuseppe Verdi (Stabat Mater et Te Deum extraits des Quattro Pezzi Sacri) ; Antonio Vivaldi (Concerto en ré majeur, Concerto en ré mineur)
Écrivain
En 2012, ses principaux textes sont publiés sous le titre La Musique et le Geste (Éditions Beauchesne, Paris). Il s’agit d’analyses, musicales ou littéraires, et d’études sur divers sujets de facture instrumentale et d’interprétation musicale. En 2014, ses poèmes sont rassemblés dans le recueil Le Visiteur (Christophe Chomant Editions, Rouen) suivi en 2018, chez le même éditeur, de leur traduction en italien par Marco Settimini : Il Visitatore. En 2018, il signe son dernier ouvrage, Esprit de Suite, publié en octobre 2019 par Beauchesne. Organologue, il est l’auteur du livre L’Orgue, souvenir et avenir, ouvrage réédité quatre fois (Buchet Chastel 1978, 1996 et 2010, Symétrie, 2016), traduit en allemand (Die Orgel, Erinnerung und Vision, Ch. Glatter-Götz - Schwarzach, 1984 et Die Orgel,Erinnerung und Zukunft, Dr. J. Butz Musikverlag, 2006) et en italien (Organo, memoria e futuro, Carrara, 2011).
Il est à l’origine de la conception de nombreux orgues tels que ceux de Notre-Dame des Neiges à l'Alpe d'Huez (Kleuker, 1978), de Notre-Dame des Grâces au Chant d'Oiseau à Bruxelles (Kleuker, 1981), de la Tonhalle, à Zurich (Kleuker et Steimeyer, 19848) réinstallé dans la cathédrale de Koper, en Slovénie, en 2020, du Conservatoire San Pietro a Majella, à Naples (Tamburini et Zanin, 1987-2007), de l’Auditorio Adrian Martín à Santa Cruz, sur l’île de Tenerife (Blancafort, 2005), de S. Antonio dei Portoghesi, à Rome (Mascioni, 2008) et de la cathédrale de Léon (Klais, 2013). Il est le concepteur d'un orgue, dit à « structure variable », destiné à rapprocher l’orgue de son public. Constitué de 15 buffets mobiles commandés par une console générale et plusieurs claviers annexes, il serait possible de le transporter et de le placer en quelques heures dans n'importe quel espace laïc ou religieux, intérieur ou extérieur. C'est à sa demande et avec ses conseils qu'est ajoutée à l’orgue de Saint Eustache, dès 1967, une console fixe installée dans la nef de l’église, permettant à l’organiste de jouer au milieu du public et près de l’orchestre.
Pédagogue
Il donne de nombreuses classes de maître (master classes) à travers le monde jusqu'en 2018 et il a, chaque année de 1970 à 2005, assuré les cours d’interprétation et d’improvisation à l’orgue organisés dans le cadre de l'International Meister Kursus de Zurich. Parmi ses élèves figurent Cherry Rhodes, Silvio Celeghin, Zsuzsa Elekes, Francesco Filidei, Bernhard Haas, Yanka Hekimova, Jean-Paul Imbert, Leonid Karev, Livia Mazzanti, Zuzana Ferjenčíková et Jean-Baptiste Monnot.
Demarche artistique
Comme interprète, Jean Guillou se distingue par sa volonté d’aborder l’interprétation des œuvres du répertoire sans référence à une tradition ou à la restitution de modes de jeu historiquement informés. Privilégiant de passer les œuvres, de toutes les époques, au travers du filtre de la personnalité de l’interprète, il en donne une vision éminemment personnelle, traduite par une attention particulière au phrasé et à la combinaison des timbres de l’orgue. Sa démarche organologique vise à renouveler les capacités expressives de l’orgue. Par des timbres nouveaux dont il est l’inventeur (Hautbois en chamade, Cornet de Flûtes harmoniques…), par une définition précise des tailles des tuyaux et des dispositions techniques (vent, mécanique), de même que par une attention à la spatialisation des sources sonores, il a établi une nouvelle esthétique de l’orgue, illustrée par une dizaine d’instruments aux caractéristiques nouvelles. Proche de nombreux artistes, il déclare privilégier « la suppléance des arts » et cherche à placer l’orgue dans des contextes qui l’éloignent de son environnement religieux ou historique pour l’intégrer à une démarche créatrice souvent proche de l’avant-garde. Lors de nombreux concerts, il s’associe à des peintres, danseurs, acrobates, mimes ou improvise sur des images diverses. Plusieurs artistes l’ont pris comme sujet. Du sculpteur Felix Schivo, on connaît la médaille de la Monnaie de Paris, les Charpentes de Saint-Eustaches (série de gravures qui ont inspiré des improvisations), Variations homologues sur l’eau (série de gravures basées sur des partitions autographes), un buste en bronze, une céramique (Jean Guillou à l’orgue de la chapelle des abîmes) ; du sculpteur et peintre Raymond Mason, on connaît deux portraits à la gouache. La Troisième Symphonie opus 30 est inspirée par le groupe en bronze La Foule de Raymond Mason actuellement installé aux Tuileries ; du peintre Sam Szafran on connaît Jean Guillou à l’orgue de la Besnardière (une version au pastel, une autre au fusain) et L’orgue de la grange de la Besnardière (fusain).
Distinctions
Jean Guillou a reçu le prix « International performer of the year », décerné par l’American Guild of Organists à New York en 1980 et le prix de l’Académie Liszt décerné à Budapest en 1982. En 1985, il intègre la Confrérie des chevaliers du Tastevin. Il a reçu, en 2000 la médaille de vermeil de la Ville de Paris qui lui a été décernée dans les salons de l’Hôtel-de-Ville. En octobre 2004, lui est décerné le Prix Pierre-Barbizet de l’Académie des Sciences, Lettres et Beaux-Arts de Marseille. En juillet 2010, il est nommé chevalier de la Légion d'honneur, distinction qu’il refuse. Le maire de l'Alpe d'Huez, Jean-Yves Noyrey, lui a remis la Médaille de la Ville le 1er janvier 2015, à l’occasion de l’inauguration de la rénovation de son fameux orgue en forme de main, qu’il avait conçu et inauguré en 1978, manifestation organisée par l’Association Notre-Dame des Neiges de l’Alpe d’Huez. Le 10 juillet 2015, il est nommé professeur honoris causa de la Hochschule für Musik de la Sarre. Le 10 mars 2018, au cours d’une cérémonie en la cathédrale de Southwark à Londres, il reçoit la RCO Medal, la plus haute distinction du Royal College of Organists. En hommage à Jean Guillou, la Monnaie de Paris a réalisé en 1976 une médaille à son effigie.
Guillou, Jean. Il Visitatore, version francese-italiano. Poesie. Christophe Chomant Éditeur, Rouen, 2018 (ISBN978-2-84962-410-4)
Guillou, Jean. Esprit de suite. Pour une lecture avisée et pratique des œuvres du répertoire organistique, Paris, Beauchesne, 2019 (ISBN978-2-7010-2288-8)
Brun, Frédéric. L'inspiration littéraire dans l'œuvre de Jean Guillou in Revue Études Franco-Anciennes - no 164 12/2017 - Paris (ISSN2110-1086)