Rudyard Kipling, Extrait de La Chasse de Kaa dans Le Livre de la jungle, illustré par de Becque 1924
— Eh bien, en tout cas, prends garde à ne me point tuer mon petit d’homme. Ce n’est pas un tronc d’arbre bon à aiguiser tes griffes émoussées. Mais quels sont ces Maîtres Mots ? Il me convient plutôt d’accorder aide que d’en demander, (Bagheera étira une de ses pattes pour en admirer les griffes, dont l’acier bleu s’aiguisait au bout comme un ciseau à froid). Toutefois, j’aimerais savoir.
— Je vais appeler Mowgli pour qu’il te les dise, s’il est disposé. Viens, Petit Frère !
— Ma tête sonne comme un arbre à frelons, dit une petite voix maussade au-dessus de leurs têtes.
Mowgli, charmé de se faire valoir. La Jungle a beaucoup de langues, et moi je les connais toutes.
— Tu sais quelque chose, mais pas beaucoup. Vois, Bagheera, ils ne remercient jamais leur maître. Jamais le moindre louveteau vint-il remercier le vieux Baloo de ses leçons ? Dis le mot pour les Peuples Chasseurs, alors — grand savant.
— Nous sommes du même sang, vous et moi, dit Mowgli en donnant aux mots l’accent ours dont se sert tout le peuple chasseur.
— Bien. Maintenant, pour les oiseaux.
Mowgli répéta, en ajoutant le cri du Vautour à la fin de la phrase.
— Maintenant, pour le Peuple Serpent, dit Bagheera.
La réponse fut un sifflement tout à fait indescriptible, après quoi Mowgli se donna du pied dans le derrière, battit des mains pour s’applaudir lui-même, et sauta sur le dos de Bagheera, où il s’assit de côté, pour jouer du tambour avec ses talons sur le pelage luisant, et faire à Baloo les plus affreuses grimaces qu’il pût imaginer.