Ce virtuose a marqué le paysage international de la seconde moitié du XXe siècle. En tant que violoncelliste, il a interprété un nombre considérable d'œuvres : plus de cent premières. Il a voulu constituer pour son instrument un répertoire qu'il jugeait insuffisant.
Il s'est fait connaître en tant que défenseur de la liberté d'expression et des valeurs démocratiques. Il est connu pour avoir joué la sarabande de la 2e suite en ré mineur pour violoncelle de Bach (ou, selon les versions, une sonate de Bach avec son violoncelle) à la chute du mur de Berlin en .
Musicien
Débuts
Mstislav Rostropovitch naît à Bakou en Azerbaïdjan[1], de mère russe de confession juive et de père issu de la noblesse polono-biélorusse[2]. Dès l'âge de 4 ans, il apprend le piano auprès de sa mère, pianiste confirmée, puis à dix ans, également le violoncelle auprès de son père Léopold, qui avait étudié auprès de Pablo Casals, et lui-même fils de violoncelliste.
À seize ans, il entre au Conservatoire de Moscou ; il étudie le piano et le violoncelle, mais aussi la direction et la composition ; il a pour professeurs Simon Kozoloupoff, Vissarion Chebaline, Chostakovitch et Prokofiev. Durant cette période, il compose, mais décide de se consacrer au violoncelle, lors d'une rencontre avec Chostakovitch, durant les répétitions de sa Huitième symphonie, convaincu qu'il n'avait pas le talent de compositeur qu'il espérait[3].
Premiers concerts
Il donne son premier concert de violoncelle en 1942 ; il obtient le Premier prix aux concours internationaux de Prague et Budapest en 1947, 1949 et 1950. En 1950, à l'âge de 23 ans, il se voit remettre des mains de Joseph Staline la plus haute distinction civile en Union soviétique, le prix Staline. Il est déjà très connu dans son pays, a une intense activité de soliste, enseigne au Conservatoire de Leningrad (actuellement Saint-Pétersbourg), puis à celui de Moscou. En 1955, il épouse une soprano du Bolchoï, Galina Vichnevskaïa. Sa carrière internationale, c'est-à-dire du côté Ouest, débute réellement en 1963 au Conservatoire de Liège (sous la direction de Kirill Kondrachine) et en 1964 lors d'un concert en Allemagne fédérale. En , l'Orchestre national de Belgique l'avait accompagné dans le concerto de Dvorák. Il effectue plusieurs tournées à l'Ouest, il rencontre des compositeurs, tels que Benjamin Britten, qui se mettent à composer pour lui, au détriment du violoncelliste français Maurice Gendron. En 1967, passionné d'opéra, il dirige Eugène Onéguine au Bolchoï.
Exil
Il promeut l'art sans frontière, la liberté d'expression et les valeurs démocratiques, il est mal vu par le régime de Léonid Brejnev. Son amitié avec Alexandre Soljenitsyne et son soutien aux opposants au régime en place entraînent sa disgrâce au début des années 1970 ; il est exclu de nombreux groupes musicaux. Rostropovitch, sa femme et leurs enfants obtiennent l'autorisation de quitter l'Union soviétique pour s'installer aux États-Unis en 1974. En 1978, il est officiellement déchu de sa citoyenneté soviétique par Léonid Brejnev pour « actes portant systématiquement préjudice au prestige de l'Union soviétique ». Il devient alors apatride. La famille déménage à Paris.
Sa prestation, filmée par des télévisions internationales[4], le , aux premières heures de la chute du mur de Berlin[5], assis sur une chaise devant un pan de mur, lui vaut une renommée mondiale. Il a joué un extrait d'une des Suites pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach.
Grand officier de la Légion d'honneur française, chevalier de l'ordre de l'Empire britannique, membre de l'Académie des Arts et des Sciences des États-Unis, de l'Académie royale de Suède, de l'Académie royale de Grande-Bretagne, il est docteur Honoris Causa de quarante universités (Yale, Princeton, Harvard, Oxford, Cambridge, etc.). En , il devient Ambassadeur de bonne volonté pour l'UNESCO[8] et soutient des projets éducatifs et culturels, ainsi que l'Appel international de l'UNESCO pour l'enseignement artistique dans les écoles. Avec sa femme, Galina Vichnevskaïa, Mstislav Rostropovitch crée la fondation Vishnevskaïa-Rostropovitch dont le but est de stimuler des activités et des projets sociaux, comme un programme de vaccination en Azerbaïdjan. Il crée également la Fondation Rostropovitch pour la musique et l'enfance[9]. Il est membre d'honneur du Club de Budapest[10].
Plaque sur le bâtiment où Mstislav Rostropovich a vécu à Bakou.
L'image de Prokofiev est celle d'un compositeur officiel. C'est oublier que l'écriture de Zdravitsa, ode aux 60 ans de Staline, et d'autres œuvres « officielles », furent d'abord motivées par la prise en otage de Lina, sa première femme, et de leurs deux fils, en Sibérie[réf. nécessaire].
La deuxième purge stalinienne le condamne publiquement et le conduit à la misère. Rostropovitch força Tikhon Khrennikov, secrétaire général de l'Union des compositeurs, à lui faire donner 5 000 roubles. Prokofiev lui écrira la symphonie concertante op. 125 (sur la base du concerto op. 58). Rostropovitch « collabora » de près à l'écriture.
Prokofiev meurt le , cinquante minutes avant Staline. Il laisse une ébauche pour violoncelle et piano de l'opus 132 : un Concertino pour violoncelle. Rostropovitch prit sur lui d'en achever l'écriture. Après la création, en , il demanda à Dmitri Kabalevski de l'orchestrer. La version finale fut jouée le .
Prokofiev aurait dit à Rostropovitch : « Je peux vous dire une vacherie, c'est fou comme vous me ressemblez »[12].
Rostropovitch et Chostakovitch
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Rostropovitch avait été évacué avec sa famille à Orenbourg dans l'Oural. Il n'avait pas le droit, en 1943, de retourner à Moscou. Chebaline, le directeur du conservatoire, un ami de son père, a pu souvent l'y faire venir avec sa famille. Chebaline l'inscrivit au conservatoire de Moscou, en violoncelle et en composition, à l'âge de seize ans, alors que le règlement exigeait l'âge minimum de dix-huit ans. Chostakovitch, au sommet de sa gloire (il venait de composer sa Septième symphonie pendant le siège de Léningrad), enseignait l'orchestration. Rostropovitch lui joue un concerto pour piano qu'il avait composé. Sa prestation plaît à Chostakovitch, qui le prend dans sa classe. Leur relation va se muer en une véritable amitié ; ils jouent ensemble, à quatre mains, les symphonies de Mahler. Chostakovitch a accompagné les premières récompenses du jeune violoncelliste.
En , Rostropovitch participe au premier grand concours d'après-guerre organisé en Union soviétique. Chostakovitch préside le jury. À l'âge de dix-huit ans, devant de très nombreux compétiteurs, il remporte le premier prix de violoncelle (ex aequo avec le pianiste Sviatoslav Richter). À l'issue du concours, Chostakovitch lui dit : « Slava, vous êtes fatigué. Je pars en vacances avec ma famille dans une maison de compositeur et je vous invite à venir vous reposer avec moi ». Durant deux semaines, Rostropovitch partage la vie de la famille (Dmitri, Nina, et leurs deux enfants) à Ivanovo, non loin de Moscou. Chostakovitch lui offre son premier smoking : il le gardera jusqu'à son expulsion en 1974[12].
Chostakovitch a dédicacé à Rostropovitch ses deux concertos pour violoncelle. Il ne montrait jamais à personne ses œuvres avant leur achèvement, mais il lui laissa lire le Deuxième Concerto en cours d'écriture ; il ne supportait pas qu'on intervînt dans son travail, mais il intégra les quelques indications que le violoncelliste lui fit, au sujet des cadences.
Rostropovitch fut aussi le confident du compositeur ; un jour de 1960, comme il rentrait d'une série de concerts, Chostakovitch voulut lui faire écouter un enregistrement des répétitions du Huitième Quatuor par le Quatuor Beethoven, en lui confiant : « Enfin, j'ai écrit une œuvre que je voudrais qu'on joue à mon enterrement ».
L'admiration de Rostropovitch pour son ancien professeur ne s'est jamais démentie. Il a acheté et fait rénover à Saint-Pétersbourg l'appartement dans lequel Chostakovitch a vécu de 1914 à 1934. Il y a réuni une grande quantité de documents et de souvenirs ayant appartenu au compositeur, c'est devenu un musée qui lui est consacré au numéro 9 de la rue Marat.
Rostropovitch et les dissidents (Soljenitsyne, Sakharov…)
Dès 1969, le couple Rostropovitch-Vichnevskaïa soutient le romancier Alexandre Soljénitsyne, en lui permettant de vivre dans leur datcha hors de Moscou, mais aussi en écrivant en 1970 une lettre ouverte à Léonid Brejnev pour la Pravda. Cette lettre ne sera pas publiée. Elle protestait contre des restrictions soviétiques sur la liberté culturelle et dénonce, avec lui, l'existence des camps d'emprisonnement de l'archipel du Goulag.
Au début des années 1970, ils prennent la défense d'Andreï Sakharov.
Bien avant leur exil, le couple est en butte aux autorités soviétiques et séjourne chez Louis Aragon lorsqu'il passait à Paris afin d'échapper aux surveillances du KGB. Fin 1970, peu après la mort d'Elsa Triolet, « Slava » vint au Moulin de Villeneuve jouer, un soir devant sa tombe, la sarabande de la suite n° 5 de Bach. À la suite de cette soirée, Aragon composa le poème, Chant pour Slava.
Ces actions entraînera l'annulation de leurs concerts et de tous leurs projets d'enregistrement, ainsi que de leurs voyages à l'étranger. En 1974, des visas de sortie leur sont accordés, qui leur permettent de vivre en exil. Quatre ans plus tard, ils sont déchus de leur citoyenneté soviétique.
L'auditorium de Beauvais est renommé en son honneur après le concert du maestro dans la ville en [13].
Discographie
Mstislav Rostropovitch a réalisé de très nombreux enregistrements d'œuvres, que ce soit en soliste, en musique de chambre ou autre, interprétant de très nombreux compositeurs. Sur le marché français, son nom figure sur plus de 70 disques compacts audio.
Instruments
« La musique moderne exige des sons différents - souvent plus sévères afin que le son du violoncelle puisse s'élever au-dessus de l'orchestre. Mon Stradivarius est d'une beauté incroyable, mais en tant qu'artiste je ne suis pas toujours à la recherche d'une belle sonorité, et j'utilise des instruments modernes le cas échéant. »
↑L'anecdote veut que le violoncelliste et le luthier qui l'expertisaient apprirent que le testament de Gerald Warburg précisait que l'héritier ne pouvait le vendre, sinon à Mstislav Rostropovitch...