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Version du 8 septembre 2022 à 02:45
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- Homo Numericus - Daniel Cohen https://micro.blog/books/9782226477774
2022-09-02 : « Homo numericus. La “civilisation” qui vient » : la fin de dix mille ans d’histoire et le début d’une autre
> « Homo numericus. La “civilisation” qui vient » : la fin de dix mille ans d’histoire et le début d’une autre
Dans son dernier livre, l’économiste Daniel Cohen explique pourquoi la révolution numérique représente un tournant de l’histoire de l’humanité et non une simple nouvelle étape de la société industrielle.
Depuis l’Antiquité, philosophes et grands prêtres s’interrogent sur le propre de l’homme.
Pour Daniel Cohen, la particularité de l’humanité serait de raconter des histoires, d’y croire et de bâtir avec des mythes sur lesquels se construisent des civilisations entières. L’économiste nous emmène dans un voyage passionnant et érudit des origines de l’humanité aux cauchemars technoscientifiques de la série Black Mirror.
« Nous sommes en train de nous arracher au poids des représentations que les sociétés agraires nous ont léguées. La parenthèse de dix mille ans où elles ont gouverné les vies humaines est en train de se refermer », écrit-il. Une manière d’enterrer Homo sapiens, du moins dans sa version néolithique, et de célébrer l’avènement d’Homo numericus.
On l’oublierait presque en cette rentrée agitée mais, il y a un an à peine, nous étions stupéfaits par l’explosion des activités numériques dopées par les confinements successifs. Il est devenu soudain anodin de faire ses achats en ligne, de travailler à distance ou de consulter son médecin depuis chez soi. Ce qui se passe n’est pas une brique de plus dans la longue construction de notre société industrielle, mais l’entrée dans un nouveau monde, celui que Daniel Cohen appelle « l’industrialisation de la société postindustrielle ».
« Solitaire, nostalgique, libéral et antisystème »
A l’instar de la révolution industrielle des XIXe et XXe siècles qui a créé la société de consommation par la fabrication en série des biens physiques, la révolution numérique procède de même avec les services, qui représentent aujourd’hui les trois quarts de notre économie et de nos emplois. Désormais, tout est fait en ligne pour réduire le coût d’activités aussi essentielles que se divertir, s’éduquer, se soigner, se nourrir et même se faire la cour. Pourquoi passer des heures dans des soirées et dans des bars pour chercher l’âme sœur quand un seul clic suffit sur Tinder ? En voilà de la productivité !
Pour Daniel Cohen, les algorithmes sont l’équivalent dématérialisé des chaînes de montage de Ford qui ont écrasé le prix des voitures à partir des années 1920. Au-delà, le numérique promet aussi la libération de la parole, la connaissance à portée de tous et la fin des hiérarchies et des obstacles sociaux de toutes sortes. Lire aussi la tribune : Article réservé à nos abonnés « 2022 doit être l’année de l’ouverture des algorithmes » Mais il y a un problème. Derrière ces promesses d’Eden égalitaire et libertaire surgit la menace de la déshumanisation. « Pour générer du rendement, le numérique dématérialise les relations humaines, les prive de leur chair. » Une psyché taylorisée qui transforme l’Homo numericus en un être de plus en plus seul, impulsif et irrationnel (le rationnel est pris en charge par les algorithmes). Tenté de reconstruire du collectif à travers les réseaux sociaux, il se trouve insidieusement enfermé dans des communautés partageant les mêmes intérêts mais aussi, souvent, les mêmes obsessions et croyances. Le nouvel homme est devenu « solitaire, nostalgique, libéral et antisystème ».
Ce n’est pas uniquement la technologie qui l’a fabriqué mais des tendances historiques à plus long terme qui sont en train de s’épanouir dans la société numérique. D’abord, la désintégration des institutions collectives traditionnelles (syndicats, partis politiques, médias…), puis le choc libéral des années 1980 qui a introduit le marché et l’impératif de compétitivité à tous les étages de la société. Et enfin la destruction des firmes avec l’externalisation des tâches et même de ses propres salariés par le télétravail. Tout cela s’est combiné à la révolution culturelle des années 1960-1970 qui a contesté la verticalité du pouvoir. « Vaincu par la révolution libérale, l’esprit des sixties erre comme un fantôme dans les réseaux sociaux, leur donnant un ton antisystème alors qu’ils sont devenus le système », écrit-il.
Les savants et les bonobos
Mais Daniel Cohen est un optimiste. Face à cette déliquescence, qui croise le fatalisme des apôtres de l’apocalypse écologique, il veut croire qu’une autre voie est possible pour « penser une société désirable avec les moyens que donne celle que l’on veut quitter ». Certaines études scientifiques sur le bien-être le démontrent, l’argent supplémentaire ne ferait pas le bonheur. Une journée ensoleillée en procurerait plus qu’un doublement du revenu. Et la confiance dans autrui, bien plus encore.
Après les sociétés horizontales (sans hiérarchie) et spirituelles des chasseurs-cueilleurs, la sédentarisation du néolithique a créé des civilisations verticales et religieuses. Pour la première fois nous expérimentons une société horizontale et laïque, délivrée de toute vérité révélée. Pour ne pas laisser le lecteur trop frustré par l’absence de piste concrète, l’économiste donne l’exemple d’un modèle qu’il connaît, celui de la communauté des savants. Une espèce coopérative, comme les singes bonobos, précise-t-il, qui favorise le partage des résultats, dont la gouvernance est collégiale avec une rotation des responsabilités et qui possède une foi commune en la science et sa méthode. Une communauté humaine qui n’échappe pas aux travers des hommes, à leur cupidité et à leur mesquinerie et qui est constituée d’une élite qui a fourni des efforts considérables pour en faire partie. Un modèle imparfait donc, mais qui après tout pourrait déjà inspirer le monde politique. Ce serait en soi un changement civilisationnel.
« Homo numericus. La “civilisation” qui vient », de Daniel Cohen, Albin Michel, 240 pages, 20,90 euros. ALBIN MICHEL
Philippe Escande
meditation
« Mon temps dans l'existence est mon seul capital. »
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