Écrivain français de la seconde moitié du XXe siècle, il est notamment connu dans les années 1970 pour la mystification littéraire qui le conduit à signer plusieurs romans sous le nom d'emprunt Émile Ajar, tout en masquant son identité réelle : il est ainsi le seul auteur à avoir reçu le prix Goncourt à deux reprises, grâce à un roman écrit sous pseudonyme.
Biographie
Origines
Plaque sur la maison de Romain Gary à Vilnius où il vécut de 1917 à 1923.
Durant toute sa vie d'adulte[1], dans ses œuvres, dont la relecture montre le « jeu picaresque de ses multiples identités »[2], mais aussi dans des déclarations aux médias, ainsi que dans des déclarations officielles, Romain Gary donne des versions diverses de ses origines, faisant varier : son nom (Kacew, de Kacew, prononcé [kat͡sɛf]) ; son lieu de naissance (région de Koursk en Russie, Vilno en Lituanie) ; la nationalité de son père (russe, géorgien, tatar, mongol) ; celle de sa mère (juive, russe, française) ; informations elles-mêmes souvent déformées par les médias (« Kiev »[3], « en Russie près de la frontière polonaise »[4]). Il va jusqu'à renier son père — se présentant comme un « bâtardjuifrusse, mâtiné de Tartar »[5] — ou encore laisse entendre, et courir la légende, dans divers écrits et entretiens, qu'il est le fils du comédien russe Ivan Mosjoukine[6].
Son père, Arieh-Leïb (« lion » en hébreu et en yiddish, d'où la francisation en « Léon ») Kacew, est né en 1883 à Vilnius ; en 1912, il est associé dans l'atelier et magasin de fourrures familial (rue Niemecka / Daïtsche Gas = ruelle allemande) et fait partie de la Deuxième Guilde des marchands. Il est aussi administrateur de la synagogue de la rue Zawalna. Il fait donc partie de la moyenne bourgeoisie de Vilnius.
Sa mère, Mina Owczyńska, fille de Josel (Joseph) Owczyński, est née en 1879 à Święciany ou Švenčionys en lituanien, petite ville à 80 km de Vilnius, où elle a fait des études secondaires en yiddish et en russe dans un établissement de la communauté juive et où elle a participé à un groupe de jeunesse d'orientation socialiste, le « cercle Yehoash ». Elle est d'abord mariée à Reouven Bregstein, originaire de Kaunas comme sa propre mère, dont elle divorce à une date indéterminée. Il existe peu d'informations quant à ce premier mariage sinon qu'en est issu un fils du nom de Joseph Bregstein, né en 1902, et qui semble avoir habité avec le jeune Roman de à avant de mourir de maladie peu après[12].
Parmi les frères de la mère de Roman Kacew, le plus important pour la vie du romancier est Eliasz. Il a émigré en France et il est le père de Dinah (1906), qui épouse Paul Pavlowitch (1893-1953) et donne naissance à Paul-Alex Pavlowitch (1942-).
Enfance et adolescence
De Vilnius à la Russie (1914-1921)
Gary naît sous le nom de Roman Kacew (yiddish : רומן קצב Roman Katsev ; russe : Рома́н Ле́йбович Ка́цев, Roman Leibovich Katsev) à Vilna (actuelle Vilnius, faisant alors partie de l'Empire russe)[13],[14].
Dans ses livres et interviews, Gary offre de nombreuses versions différentes de l'origine de ses parents, leurs ancêtres, leurs occupations et son enfance. Sa mère, Mina Owczyńska (1879—1941), est une actrice juive de Švenčionys (Svintsyán)[15],[13] et son père, Arieh-Leib Kacew (1883—1942), un homme d'affaires de Trakai (Trok)[16],[17], aussi d'origine lituanienne juive. Romain Gary affirme être le fils biologique de la star du cinéma Ivan Mosjoukine, avec qui sa mère a travaillé et à qui Gary ressemble physiquement. Mosjoukine apparaît d'ailleurs dans son roman autobiographique La Promesse de l'aube[18].
En 1915, la famille est déportée en Russie, après la mise en place d'une mesure générale d'expulsion des Juifs de la zone du front. Ils y passent plusieurs années et les informations sur ce séjour sont obscures. Dans ses livres, Romain Gary évoque des séjours à Koursk et à Moscou, un voyage à travers la Russie en traîneau et en train, la rencontre de matelots révolutionnaires dans un port non précisé ; durant cette période, Mina aurait été comédienne, participant aussi à l'agitprop révolutionnaire[19]. Aucune source indépendante ne confirme ces assertions.
Retour à Vilnius, puis départ en Pologne (1921-1928)
En , la présence de Mina et de son fils est attestée à Vilnius, grâce au registre des locataires d'un immeuble au no 16 de la rue Wielka-Pohulanka (appelée aujourd'hui rue Jonas Basanavičius[20]). Leur retour est sans doute rendu possible par la paix de Riga () qui met fin à la guerre entre la Russie soviétique et la jeune république de Pologne. Ils vivent quelques années à Vilnius, où le père de Gary, démobilisé, les rejoint à une date inconnue.
En 1925, le couple se sépare. Leïb Kacew fonde un nouveau foyer avec Frida Bojarska, avec qui il a deux enfants, Walentyna (1925) et Pawel (1926). Le divorce est prononcé en [21]. Leïb Kacew se remarie presque aussitôt avec Frida (les quatre membres de cette famille mourront durant la Seconde Guerre mondiale[5]). Romain Gary n'a pratiquement rien dit ni écrit de la période où son père vit avec eux à Vilnius, ni sur la séparation ni sur le divorce. Il a revu son père en 1933 à Varsovie[22]. Il évoque des cours particuliers (violon, escrime, tir au pistolet, danse), sans mentionner les écoles qu'il a fréquentées. En mars ou , peu avant la séparation, sa mère l'emmène à Bordighera où il voit la mer pour la première fois[23].
Gary est élevé par sa mère, qu'il présente comme une actrice de théâtre[24]. Après la séparation, elle connaît des difficultés financières, car elle ne dispose plus des revenus du magasin de fourrures de son mari et son petit atelier de chapeaux lui rapporte peu. En , elle quitte Vilnius avec son fils pour Švenčionys, puis ils s'installent en 1926 à Varsovie, où sont déjà présents d'autres membres de la famille Owczynski, notamment un frère de Mina, Boris (1890-1949), avocat, chez qui ils sont hébergés[25]. Gary semble avoir été scolarisé dans un collège polonais (le collège Górskiego[26]), où il est en butte à un antisémitisme verbal. Il suit aussi des cours particuliers de français.
En , ils obtiennent un visa touristique pour la France. Sa mère est persuadée que, dans ce pays, son fils pourra s’accomplir pleinement en tant que diplomate ou artiste[27].
En France
Mina Owczynska et son fils, âgé de 14 ans, arrivent à Menton le . Ils s'installent à Nice, où se trouvent déjà Eliasz, le frère de Mina, et sa famille. Le , Romain commence sa scolarité au lycée Masséna et est intégré directement en classe de 4e[28]. Mina entame les démarches pour obtenir une autorisation de séjour, laquelle est accordée sous réserve qu'elle n'occupe aucun emploi[29]. Obligée de gagner sa vie, elle vend d’abord « au noir » des articles de luxe dans les grands hôtels de Nice ou de Cannes, puis elle s'occupe de vente immobilière[30]. L'un de ses clients lui confie alors la direction d'un petit hôtel, la pension Mermonts, au 7 boulevard François-Grosso[31].
Utilisant désormais son prénom francisé (Romain), son fils se distingue au lycée en classe de français, obtenant en 1929 le premier prix de récitation et en 1931 et en 1932 celui de composition française. « Dans les autres matières, excepté l'allemand qu'il parle et écrit très correctement, il est médiocre[32] ». Ses amis de l'époque sont comme lui des élèves étrangers ou issus de familles d'origine étrangère : François Bondy[33] (1915-2003) ; Alexandre Kardo Sissoeff[34] ; Sigurd Norberg[35] ; René et Roger Agid, dont les parents dirigent plusieurs grands hôtels de Nice (et un à Royat, Puy-de-Dôme), principalement L'Hermitage à Cimiez[36] ; à ce titre, ils connaissent directement la mère de Romain.
Roman Kacew commence des études de droit à Aix-en-Provence en , puis part l'année suivante les poursuivre à Paris, probablement grâce à l'aide financière que lui apporte son père peu après leur rencontre à Varsovie durant l'été 1934[38]. Il obtient une licence de droit en , tout en suivant en parallèle une préparation militaire supérieure au fort de Montrouge : « En attendant son incorporation dans l'armée française, Gary, au terme de médiocres études, bûchait sa procédure[39]. » Il révise au petit jour et passe l'essentiel de son temps à écrire.
À cette époque, il publie ses premières nouvelles dans Gringoire, un hebdomadaire qui n'est alors pas orienté à l'extrême droite. La première, L’Orage, y paraît le , ce qui lui permet de ne plus dépendre financièrement de sa mère qui, minée par un diabète insulinodépendant, s'est usée à la tâche pour préparer l'avenir de son fils[40]. Gary renonce aux rétributions que lui verse l'hebdomadaire quand le journal affiche des idées fascistes et antisémites ; il écrit à la rédaction une lettre pour dire en substance : « Je ne mange pas de ce pain-là[41]. » En 1937, plusieurs éditeurs refusent son premier roman, Le Vin des morts[40].
Engagement militaire et Seconde Guerre mondiale
Service militaire
Naturalisé français le [42], Roman Kacew est incorporé le dans l'Armée de l'air à la base aérienne de Salon-de-Provence[43]. À l'issue d'une formation d'élève officier de réserve de trois mois à l'école d'observation d'Avord près de Bourges, il passe l'examen de sortie en . Parmi les 290 candidats, il est l'un des deux élèves de la promotion à échouer. L'échec tient probablement à la discrimination antisémite dont il est victime : bien que français, sa naturalisation est trop récente[44]. Il reçoit le grade le plus bas, celui de caporal. Breveté mitrailleur, il se contente du grade de sergent[45].
En , il est rattaché en Grande-Bretagne au groupe de bombardement Lorraine. Il est affecté à la destruction des bases de lancement des missiles V1. Durant cette période, Romain Kacew choisit le nom de Gary — signifiant en russe « brûle ! » à l'impératif[53] — qui est retenu par l'état civil à partir de 1951[54] : « Romain Gary » devient son nom francisé à l'état civil français en octobre de cette année[55].
Sa mère, qu'il aimait par-dessus tout et qui l'avait poussé à « devenir quelqu'un », meurt le ; dans La Promesse de l'aube, l'écrivain raconte l'avoir appris seulement en 1944, lors de son retour à Nice après la guerre[56] :
« Le ruban vert et noir de la Libération bien en évidence sur ma poitrine, au-dessus de la Légion d'honneur, de la croix de guerre et de cinq ou six autres médailles (...) je revenais à la maison après avoir démontré l'honorabilité du monde, après avoir donné une forme et un sens au destin d'un être aimé. […]
À l'hôtel-pension Mermonts où je fis arrêter la jeep, il n'y avait personne pour m'accueillir. On y avait vaguement entendu parler de ma mère, mais on ne la connaissait pas. Mes amis étaient dispersés. Il me fallut plusieurs heures pour connaître la vérité. Ma mère était morte trois ans et demi auparavant, quelques mois après mon départ pour l'Angleterre (…). Au cours des derniers jours qui avaient précédé sa mort, elle avait écrit près de deux cent cinquante lettres, qu'elle avait fait parvenir à son amie en Suisse. (...) Je continuai donc à recevoir de ma mère la force et le courage qu'il me fallait pour persévérer alors qu'elle était morte depuis plus de trois ans. Le cordon ombilical avait continué à fonctionner. »
En réalité, cet épisode est soit un mensonge, soit une invention littéraire : Romain Gary, qui connaissait l'état de santé de sa mère, a rapidement été averti « par un télégramme très brutal »[57] de la mort de celle-ci, veillée par ses amis de jeunesse Sylvia Stave et René Agid auxquels La Promesse de l'Aube est dédié, ladite mère n'ayant jamais rédigé la moindre lettre[58].
En tant qu'observateur, il remplace Pierre Mendès France dans l'équipage du sous-lieutenantArnaud Langer. Le lieutenant Gary se distingue particulièrement le alors qu'il se trouve dans l'avion de tête d'une formation de six appareils. Il est blessé, et le pilote Arnaud Langer est aveuglé ; Gary guide ce dernier, le dirige, effectue le bombardement et guide le pilote pour ramener l'avion à sa base. Cette version est peut-être romancée, car l'opérateur radio, René Bauden, prétend que la blessure reçue par Romain Gary ne lui aurait pas permis de ramener l'appareil à sa base, ayant causé son évanouissement.
Après la fin des hostilités, Romain Gary entame une carrière de diplomate au service de la France, en considération des services rendus pour sa libération.
En 1937 Romain Gary écrit un premier roman, Le Vin des morts, qui est refusé par plusieurs éditeurs[63] (il est publié pour la première fois en 2014).
En 1945, il écrit Éducation européenne et le publie aux éditions Calmann-Lévy. Le livre est distingué par le prix des Critiques et lance sa carrière. Il publie plusieurs romans et c'est avec Les Racines du ciel, récompensé du prix Goncourt en 1956, qu'il rencontre le grand public. Il reçoit le prix Durchon-Louvet de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre la même année. À partir de la publication de La Promesse de l'aube, en 1960, il se consacre de plus en plus à son activité d'écrivain, écrivant également sous divers pseudonymes, dont l'ultime et le plus connu, Émile Ajar, marque la fin de sa carrière avec quatre romans. Fait unique, il obtient pour La Vie devant soi un second prix Goncourt le , déclenchant à la fin des années 1970 « l'affaire Émile Ajar » lorsque Gisèle Halimi, l'avocate de Gary, annonce le choix initial de son client Ajar de refuser le prix, ce qui incite la presse à enquêter sur celui qu'elle croit être le véritable auteur, Paul Pavlowitch[64]. « Ce que l'on appelle “l'affaire Ajar” cache en fait une véritable tentative de renouvellement identitaire et artistique[65] ».
Dès l’immédiat après-guerre, entre 1946 et 1956, la figure littéraire du rescapé de la Shoah hante l’œuvre romanesque de Romain Gary qui s'interroge sur la question : comment vivre après Auschwitz ? C’est Tulipe, dans l'œuvre homonyme (1946), qui au sortir de Buchenwald s’installe dans le « nouveau monde » de Harlem ; c'est Vanderputte, dans Le Grand vestiaire (1948), qui a dénoncé un réseau de résistants ; c’est le compagnon de la Libération, Jacques Rainier, dans Les Couleurs du jour (1952), qui voit l’idéal de la France Libre se déliter et s’engage comme volontaire en Corée ; c’est Morel, dans Les Racines du ciel (1956), qui a survécu à l’expérience concentrationnaire en imaginant des troupeaux d’éléphants battre la savane. Ce n'est qu'avec l'œuvre d'Émile Ajar qu'une réponse vient sublimer ses premiers écrits : « Celle d'un altruisme désintéressé, d'une banalité du bien qui contraste avec la banalité du mal d'un Eichmann[66],[67]. »
L'œuvre littéraire de Romain Gary est marquée par un refus opiniâtre de céder devant la médiocrité humaine[réf. nécessaire]. Ses personnages sont fréquemment en dehors du système car révoltés contre tout ce qui pousse l'homme à des comportements qui lui font perdre sa dignité. Ils oscillent entre la souffrance de voir leur monde abîmé et la lutte pour garder coûte que coûte l'espérance[réf. souhaitée]. Romain Gary vit lui-même ces combats, mêlant admirablement le dramatique et l'humour. Ainsi, dans Chien blanc (1970), récit autobiographique écrit dans le contexte de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis dans les années 1967-1968, il écrit : « ll est soûl, affirma solennellement Saint-Robert, et c'était un peu vrai, bien que je ne touche jamais ni à l'alcool, ni à la marijuana, ni au LSD, parce que je suis trop acoquiné avec moi-même pour pouvoir tolérer de me séparer d'une aussi agréable compagnie par le truchement de la boisson ou de la drogue. Mais je me soûle d'indignation. C'est ainsi d'ailleurs que l'on devient écrivain[68]. » Puis : « J'écris pendant une heure ou deux : cette façon d'oublier… Lorsque vous écrivez un livre, mettons, sur l'horreur de la guerre, vous ne dénoncez pas l'horreur, vous vous en débarrassez[69]… ».
Romain Gary et le cinéma
L'œuvre littéraire de Romain Gary a été fréquemment adaptée au cinéma et lui-même s'intéresse à la discipline à plusieurs reprises.
En 1978, lors d'un entretien avec la journaliste Caroline Monney[70], lorsque celle-ci lui pose la question : « Vieillir ? », Romain Gary répond : « Catastrophe. Mais ça ne m'arrivera pas. Jamais. J'imagine que ce doit être une chose atroce, mais comme moi, je suis incapable de vieillir, j'ai fait un pacte avec ce monsieur là-haut, vous connaissez ? J'ai fait un pacte avec lui aux termes duquel je ne vieillirai jamais »[71].
Romain Gary se suicide le avec son Browning GP, se tirant une balle dans la bouche[72],[73]. Il laisse une lettre mystérieusement datée « Jour J » et dans laquelle est notamment écrit : « Aucun rapport avec Jean Seberg » (l'actrice se serait elle-même suicidée le )[74]. Compagnon de la Libération, il a droit aux honneurs militaires français suivis d'une mélopée russe lors de ses obsèques à l'église Saint-Louis des Invalides le . Le , sa dernière compagne Leïla Chellabi disperse ses cendres, selon son vœu, en mer Méditerranée au large de Menton[75].
Vie privée
Dans un recueil de confidences sous la forme d'entretiens livrés à la radio en 1980, Romain Gary fait cette déclaration : « La seule chose qui m'intéresse, c'est la femme, je ne dis pas les femmes, attention, je dis la femme, la féminité[76] ».
L'une des premières histoires importantes est celle nouée avec une jeune journaliste suédoise qu'il rencontre à Nice en , Christel Söderlund. Jeune mère de famille, déjà mariée, elle suit Romain quand il étudie à Paris. Elle envisage de divorcer ; après quelques mois elle rentre en Suède y retrouver son mari[77].
Ilona Gesmay est une autre femme importante dans la vie de Roman Kacew. Jeune femme d'origine hongroise de quatre ans son aînée, elle inspire l'auteur de La Promesse de l'aube, de La nuit sera calme et d'Europa. Comme sa famille lui coupe les vivres, elle rentre à Budapest en ; elle survit à la guerre frappée de schizophrénie. Ils ne se reverront plus jamais[78]. Romain Gary raconte dans la nouvelle À bout de souffle[79] qu'elle est la seule femme qu'il ait jamais aimée et qu'il admirait ses yeux « gris angora »[80]. Il y explique également qu'il continue à recevoir des lettres d'elle à partir de 1953, toutes identiques. Il lui répond, il reçoit toujours la même réponse. Un jour, il apprend qu'Ilona est internée dans un hôpital psychiatrique en Belgique et qu'elle lui écrit inlassablement la même lettre pendant les quelques dizaines de minutes de lucidité qu'elle a par jour. Les lettres qu'elle reçoit de Romain Gary sont interceptées par les médecins qui ne souhaitent pas provoquer un choc à la jeune femme. La sœur de cette dernière expliquera à Romain Gary qu'Ilona, lorsqu'elle est lucide, demande toujours des nouvelles de « son Romain »[81].
En , bien que l'amour d'Ilona continue à le hanter[82], Roman Kacew épouse Lesley Blanch, femme de lettres britannique rencontrée l'année précédente.
Jean Seberg en 1963, année de son mariage avec Romain Gary.
En 1959, il fait la connaissance de l’actrice américaine Jean Seberg dont il tombe amoureux et avec qui il entame une liaison. En 1963, il divorce et se marie avec l'actrice. Leur fils, Alexandre Diego Gary, nait en 1962. Romain, grâce à ses relations, fait établir un acte de naissance daté de 1963 pour sauvegarder les apparences[83]. Un acte de mariage secret est retrouvé dans les années 2010 en Corse, ainsi qu'un témoin photographe de l'époque. Entre 1964 et 1970, Romain Gary se rend souvent à Majorque, où il possède une villa, près d'Andratx[84].
En 1968, lorsque Romain Gary apprend que sa femme entretient une liaison avec Clint Eastwood pendant le tournage de La Kermesse de l'Ouest, il prend l'avion et provoque l'acteur en duel au revolver ; le « cow-boy américain » se défile[85]. Romain Gary et Jean Seberg se séparent et divorcent en 1970.
En 1978, il rencontre Leïla Chellabi, danseuse puis mannequin, animatrice de radio et parolière[86].
Émile Ajar
La disparition de Romain Gary fait éclater la vérité sur le véritable auteur des quatre romans signés du pseudonyme Émile Ajar. Un proche parent de Romain Gary, Paul Pavlowitch (son petit-cousin), avait tenu le rôle d’Ajar auprès de la presse (notamment auprès d’Yvonne Baby dans Le Monde[87] et de l'hebdomadaire Le Point qui retrouve « Ajar » dans le Lot et publie deux semaines durant en 1975 des articles et une interview littéraire de Paul Pavlowitch par Jacques Bouzerand, à la veille du prix Goncourt). Romain Gary a déjà envoyé en 1930 des manuscrits à la NRF sous les pseudonymes de François Mermont (du nom de l’hôtel-pension à Nice dont sa mère est gérante) ou de Lucien Brûlard (allusion à Stendhal et autre variation sur le thème du feu — voir ci-après) qui ne sont cependant pas acceptés. Romain Gary est ainsi le seul écrivain à avoir été récompensé deux fois par le prix Goncourt, ce qui est officiellement impossible en vertu des règles de ce concours. Il a remporté son premier prix sous son nom d'usage, pour Les Racines du ciel, en 1956, et la seconde fois sous le pseudonyme d’Émile Ajar, pour La Vie devant soi, en 1975. Les deux noms se ressemblent, dans le cadre d'une volonté de mystification ambigüe (en russe, Gary signifie « brûle ! » (2e personne du singulier à l'impératif) alors qu'Ajar, qui fut le nom d'actrice de sa mère, signifie « braise »[53] [жар])[88]. En outre, il est possible de retrouver des phrases typiques de Gary dans les textes d'Ajar[89].
La mystification Ajar–Gary ne serait pas passée inaperçue de tous. Dans son roman autobiographique Le Père adopté, Didier van Cauwelaert rapporte qu'une étudiante de la faculté de lettres de Nice, qu'il nomme Hélène, a préparé, deux ans avant la révélation publique, un mémoire soutenant, au grand désarroi de ses professeurs, que Gary et Ajar sont une seule et même personne[90].
Ajoutons qu'Ajar et Gary ne furent pas ses seuls pseudonymes (en tant qu'écrivain publié) puisqu'il est aussi l'auteur d'un polar politique sous le nom de Shatan Bogat (« Satan le riche » en russe[91]) : Les Têtes de Stéphanie et d'une allégorie satirique contre l'ONU signée Fosco Sinibaldi (Fosco veut dire « sombre » en italien mais c'est aussi un prénom, Sinibaldi serait un hommage à Garibaldi[92]) : L'Homme à la colombe.
En 2007 est dévoilée une statue de Romualdas Kvintas, « Le Garçon avec une galoche », qui représente le petit héros de la Promesse de l'aube, âgé de 9 ans, s’apprêtant à manger une chaussure pour séduire sa petite voisine, Valentina. Elle est placée à Vilnius, en face du 16 Basanavičius où le romancier a habité avec sa mère[95].
En octobre 2024, l’Institut français de Bulgarie et l’Ambassade de France à Sofia ont consacré une semaine d’hommage à Romain Gary, marquant également le 145ᵉ anniversaire des relations diplomatiques franco-bulgares[98].
Intitulée « Romain Gary à Sofia (1946-1948) : de l’expérience totalitaire », cette série de rencontres, de débats et de projections a exploré l’influence de son premier poste diplomatique en Bulgarie sur sa vision politique et morale.
Parmi les invités figuraient le biographe Kerwin Spire et l’écrivaine polonaise Agata Tuszyńska, aux côtés de plusieurs universitaires bulgares.
Les discussions ont notamment porté sur le rapport de Gary à l’identité, à l’engagement et à la mémoire européenne, tandis que des projections de films adaptés de ses œuvres, tels que Clair de femme (1979) ou L’Enchanteur (2023), accompagnaient l’événement[99].
Affiche officielle de la Semaine Romain Gary organisée par l’Institut français de Bulgarie et l’Ambassade de France à Sofia (21–25 octobre 2024).
En 2007-2008, La Vie devant soi est adapté au théâtre par Xavier Jaillard dans une mise en scène de Didier Long et remporte trois Molières (meilleure adaptation théâtrale, meilleure comédienne, meilleure production théâtrale).
En 2010, Les Racines du ciel a été adapté en comédie musicale par Éric Ploquin sous le titre Ubaba-Giva, qui reprend le surnom africain de Morel dans le roman[107],[108],[109].
↑Ce certificat, conservé aux Archives de l'État de Lituanie (cf. Jean-François Hangouët, Romain Gary : à la traversée des frontières, Gallimard, , p. 12) a été traduit en russe, puis en français par l'ambassade de France à Moscou en 1963 (cf. Anissimov, chap. 1, 2004, p. 24-25).
↑Anissimov 2004, ch. 17, p. 100 ; dans son roman La Promesse de l'aube, il reconnaît lui-même les difficultés qu'il a rencontrées lors de ses études secondaires et le manque d'intérêt qu'il éprouve pour les études supérieures, auxquelles il s'astreint essentiellement pour répondre aux désirs de sa mère.
↑François Bondy est le père du dramaturge Luc Bondy (né en 1948) ; le fils de Fritz Bondy (Anissimov, chapitre 19, 2004, p. 109-110), né à Prague, écrivain (sous le pseudonyme de N.O. Scarpi) et cinéaste suisse de langue allemande. Voir : Wikipédia anglaise : François Bondy(en) et allemande : Fritz Bondy(de).
↑Né en 1914 à Moscou, de parents russes nés à Tiflis et à Gori.
↑Romain voyage avec lui en Pologne en 1933 et en Suède en 1939.
↑Sur la famille Agid : Anissimov, chapitre 14, 2004, p. 84-87. René Agid est le père d'Yves Agid.
↑Romain Gary, Le Caméléon de Myriam Anissimov, Folio, 2006, deuxième partie, p. 147 ; entretien avec René Agid, recueilli par Variety Moszinsky. Les recherches de Myriam Anissimov sur l'hebdomadaire Gringoire sont par ailleurs très complètes ; voir notamment p. 145-147. En 1935, le journal payait 1 000 francs la page, alors que Gary recevait moins de 300 francs mensuels de sa mère.
↑Jean-François Hangouët, Romain Gary : à la traversée des frontières, Gallimard, , p. 32.
↑Mireille Sacotte, Mireille Sacotte commente la promesse de l'aube de Romain Gary, éd. Gallimard, 2006, p. 223.
↑Note suivante au pied de son lit :
« Jour J.
Aucun rapport avec Jean Seberg. Les fervents du cœur brisé sont priés de s’adresser ailleurs.
On peut mettre cela évidemment sur le compte d’une dépression nerveuse. Mais alors il faut admettre que celle-ci dure depuis que j’ai l’âge d’homme et m’aura permis de mener à bien mon œuvre littéraire. Alors, pourquoi ? Peut-être faut-il chercher la réponse dans le titre de mon ouvrage autobiographique : « La nuit sera calme » et dans les derniers mots de mon dernier roman : « Car on ne saurait mieux dire ».
Je me suis enfin exprimé entièrement. »
cité par D. Bona, Romain Gary, Paris, Mercure de France-Lacombe, 1987, p. 397-398.
↑Jean-François Hangouët, Romain Gary. À la traversée des frontières, Gallimard, , p. 86-87.
↑« Si jamais on la retrouve, évidemment elle vivra avec nous. » annonça Romain à Lesley (cité dans Myriam Anissimov, Romain Gary, Le Caméléon, Folio, 2006, deuxième partie, p. 162).
↑(en) Daniel O'Brien, Clint Eastwood. Film-maker, B.T. Batsford, , p. 92.
↑Christian Arthaud et Eric L. Paul, La Côte d'Azur des écrivains, Édisud, , 250 p. (ISBN9782744900808), p. 79
↑Pour donner plus de véracité à son personnage, Gary accepte le principe d'une rencontre entre Ajar-Pavlowitch et son éditeur Simone Gallimard, puis avec Yvonne Baby, fin septembre 1975 à Copenhague. Source : Paul Pavlowitch, entretien avec Yvonne Baby, Le Monde, 10 octobre 1975, p. 20.
↑Entretien avec Caroline Monney, Romain Gary, L'affaire homme, Folio, 2005, p. 300.
↑(en) Ralph Schoolcraft, Romain Gary : The Man Who Sold His Shadow, p. 89.
↑Jérémy Gallet, « Romain Gary entre dans la Pléiade », sur www.avoir-alire.com, (consulté le ) : « L’œuvre de l’écrivain fait aujourd’hui son entrée dans la prestigieuse collection de la Pléiade […] Ces écrits sont édités sous la direction de Mireille Sacotte ».
Jean-Marie Catonné, Romain Gary : de Wilno à la rue du Bac, Arles, Actes Sud / Solin, coll. « Biographiques », .
Marianne Stjepanovic-Pauly, Romain Gary : la mélancolie de l'enchanteur, Clichy, Éditions du Jasmin, coll. « Signe de vie », , 253 p. (ISBN978-2-35284-141-8).
Valérie Mirarchi, Gary-Ajar, un génie à double face, préfacé par Jérôme Camilly, Éditions universitaires de Dijon, 2020, 152 p. (ISBN978-2-36441-349-8).
Thèmes divers
Jean-Marie Catonné, Romain Gary / Émile Ajar, Paris, Pierre Belfond, coll. « Les dossiers Belfond », 1990.
Dominique Rosse, Romain Gary et la modernité, Paris, Nizet, Paris, 1995.
Dominique Rosse, « Europa ou la défense Gary », dans Échiquiers d'encre: le jeu d'échecs et les lettres XIXe-XXe siècles, Droz, coll. « Histoire des idées et critique littéraire », (ISBN2-600-00289-8, présentation en ligne)
Europe, « Romain Gary », Maxime Decout et Julien Roumette (dir.), juin-, no 1022-1023.
Hélène Staes, « La France libre à travers l'itinéraire de trois compagnons de la Libération », Les cahiers de la Fondation de la Résistance, Fondation de la Résistance, vol. 1, , p. 36
En anglais
David Bellos, Romain Gary A Tall Story, éd. Harvill Secker, 2010.
Ralph Schoolcraft, Romain Gary: The Man Who Sold His Shadow, University of Pennsylvania Press, Philadelphie, 2002.
Denis Labouret (co-éditeur des deux tomes Romans et récits de Gary dans La Pléiade, 2019), « L'Éducation africaine de Romain Gary » [vidéo], sur cultureGnum.