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Qui aurait cru que cette jeune bourguignonne arrivée à Paris en 1917, sans un sous, aurait été l’égérie des années folles ?
Qui aurait pensé qu’elle deviendrait le modèle fétiche de l’avant-garde artistique ?
Que reste- t-il de cette femme libre ? Un visage, un corps, immortalisés par Man Ray, l’amour de sa vie, et des mémoires écrites en 1929.
Hemingway, qui a préfacé ses mémoires, lui rend un vibrant hommage :
« Voici un livre écrit par une femme qui n'a jamais été une lady... mais une reine. »
Enfant illégitime, la jeune Alice Ernestine Prin est élevée par sa grand-mère dans une grande pauvreté. En 1913, elle quitte Châtillon-sur-Seine en Bourgogne pour rejoindre sa mère, Marie Prin, linotypiste à Paris. En 1916, Marie Prin rencontre Noël Delecœuillerie, un jeune homme revenu blessé du front, qu'elle épouse deux ans après.
Modèle
En 1914, Alice Prin termine son cycle scolaire fondamental (obligatoire, gratuit & laïque) et sa mère la fait travailler comme apprentie. Ainsi, dès 13 ans, Alice est successivement brocheuse, fleuriste, laveuse de bouteilles chez Félix Potin et visseuse d'ailes d'avion[3]. En 1917, elle est bonne à tout faire chez une boulangère, place Saint-Georges (Paris 9e). Se révoltant contre les mauvais traitements qu'elle subit, elle est renvoyée.
Pour gagner de quoi vivre, elle devient modèle, posant nue chez un sculpteur, ce qui cause une violente dispute avec sa mère qui l'expulse de chez elle malgré l'hiver. Elle est recueillie par le peintre Chaïm Soutine (1893–1943) pour lequel elle pose[4]. Elle fréquente la brasserieLa Rotonde, dans le quartier du Montparnasse, mais uniquement au bar, car pour avoir le droit de s'asseoir dans la salle, une femme devait porter un chapeau[3]. En 1918, elle se met en ménage avec le peintre Maurice Mendjizki (1890-1951).
Elle pose pour les peintres Amedeo Modigliani et Tsugouharu Foujita dont le Nu couché à la toile de Jouy sera l'événement du Salon d'automne de 1922. Moïse Kisling, qui lui a trouvé le surnom de « Kiki »[5], l'a également peinte à de nombreuses reprises. Elle adopte la coupe au carré, les yeux abondamment soulignés de khôl, les lèvres peintes de rouge vif et le pseudonyme Kiki, lesquels ajoutent à son succès[3].
Kiki, Noire et Blanche par Man Ray.
En 1921, elle devient la compagne et le modèle préféré de Man Ray qui trouve son physique « de la tête aux pieds, irréprochable »[3]. Il la photographie notamment à côté d'un masque baoulé, ainsi que de dos, nue, pour un célèbre cliché auquel il dessine deux ouïes de violon et qu'il intitule Le Violon d'Ingres, en 1924. Dorénavant elle devient la reine de La Rotonde : « C'est Kiki, la seule, l'unique qui traverse majestueusement les salles, flanquée du fidèle Man Ray »[6] qui lui fait rencontrer les dadasTristan Tzara, Francis Picabia et les surréalistesLouis Aragon, André Breton, Paul Éluard, Max Ernst et Philippe Soupault.
Brasserie de La Rotonde dans le quartier de Montparnasse.
Elle commence également à dessiner des portraits pour les soldats britanniques et américains qui fréquentent La Rotonde. Par la suite, elle expose régulièrement ses peintures dans des galeries parisiennes, notamment en 1927 dans la galerie Au Sacre du printemps[7], en 1930 dans la prestigieuse galerie Georges Bernheim[8], en 1931 à la galerie Jean Charpentier[9], rue du Faubourg-Saint-Honoré. Le sculpteur Pablo Gargallo fait son portrait en bronze doré en 1928.
En 1929, Kiki devient la maîtresse du journaliste Henri Broca (18xx-1935)[10]. Ce dernier fonde le magazine Paris-Montparnasse où paraissent les premiers chapitres du livre de souvenirs que Kiki écrit, et qu'il publie ensuite : Les souvenirs de Kiki[11]. Malgré l'engagement du journaliste américain Edward William Titus, époux d'Helena Rubinstein, les autorités douanières refusent l'introduction du livre aux États-Unis pour cause de propos jugés « scabreux »[12].
Buvant trop et se nourrissant mal, Kiki pèse 80 kg en 1934. Henri Broca meurt en 1935. La presse semble s'amuser de sa prise de poids puisqu'en 1936, elle relate qu'à la suite d'un régime, Kiki passe de 80 kg à 57 kg[18]. Ce qui ne l'empêche pas de poser pour le peintre norvégien Per Krohg qui, trouvant sa « croupe très belle », pense « à un trois-mâts toutes voiles dehors »[réf. nécessaire].
En 1937, elle ouvre son propre établissement, Babel chez Kiki, rue Vavin[22]. André Laroque, pianiste et accordéoniste de ce cabaret, agent des contributions indirectes le jour, devient son nouvel amant. Il aide Kiki à se défaire de la drogue et tape à la machine son second livre de souvenirs, Souvenirs retrouvés, qui ne sera publié qu'en 2005[3]. En 1939, elle chante au cabaret Le Gipsy's au 20, rue Cujas[23]. Le , elle fait sa rentrée au Jockey, 127 boulevard Montmartre et s'y produit jusqu’à [24].
En 1952, Frederick Kohner, qui fut déniaisé par elle à l'âge de 19 ans, la revoit :
« La porte du bar s'ouvrit… Je la vis entrer. Elle portait un manteau de phoque très usé et un chapeau d'une taille ridicule, avec une voilette qui cachait ses yeux… J'eus un choc… J'avais l'impression qu'une terrible explosion s'était produite, ne laissant rien que d'horribles ruines. Je scrutais son visage tandis qu'elle titubait vers le bar… Son visage était ravagé par l'âge au point de la rendre méconnaissable. C'était un visage où l'on sentait la mort toute proche, où l'on devinait déjà le cadavre. Un maquillage outrancier ne faisait qu'accentuer l'impression de décomposition qu'il donnait[25]. »
Le Violon d'Ingres, 1924, photographie, épreuve aux sels d’argent rehaussée à la mine de plomb et à l’encre de Chine et contrecollée sur papier, Paris, Musée national d’art moderne[33]
1934 : Iris perdue et retrouvée de Louis Gasnier - Elle fait une apparition, jouant son propre rôle dans un grand café de Montparnasse reconstitué en studio[34],[35],[36].
Publications
Les Souvenirs de Kiki, préface de Foujita ; six illustrations et reproductions de tableaux de l’auteur ; dix photographies de Man Ray, Paris, H. Broca, 1929, 174 p.
Souvenirs, introduction d’Ernest Hemingway et Foujita, avant-propos et notes de Billy Klüver et Julie Martin, traduction de Dominique Lablanche, Hazan, 1999, 279 p.
Souvenirs retrouvés, préface de Serge Plantureux, José Corti, 2005, 319 p.[37],[38]
En avril 2007, l’opéraKiki de Montparnasse fait ses débuts à Paris au Théâtre Rive gauche, création mondiale par Appel d’Airs - l’Opéra de Poche, sur un livret de l’écrivain et chansonnier Marco Ongaro et la musique du compositeur contemporain Andrea Mannucci[41]
Jean-Jacques Beineix met en scène sa biographie musicale dans le spectacle Kiki de Montparnasse, joué en 2015 et 2016 au Lucernaire à Paris[42].
À la télévision
Dans l’épisode de la série Gossip Girl nommé "B & S : fin de règne" (S05E19), la soirée mondaine où se rendent les protagonistes est organisée chez une certaine Kiki de Montparnasse en hommage au modèle français.
Notes et références
↑Au no 2 rue de la Charme. Enfant naturelle de Marie Ernestine Prin, âgée de 19 ans. Acte de reconnaissance du 26 octobre 1901.
↑ abcde et fDominique Paulvé, « Kiki, reine des Montparnos », Connaissance des arts, no 658, mars 2008, p. 78-83.
↑Carlo Rim, Le Grenier d'Arlequin, journal 1916-1940, Denoël, 1981, p.124, à la date du : "Kiki de Montparnasse, qui en est à son troisième godet, évoque en riant ses débuts de modèle… Et aussi Soutine avec ses yeux tout brûlants qui vous font froid dans le dos, et une tête de cosaque sous-alimenté. Un chic type qui n'a rien à lui et qui donne tout aux autres. On s'est un peu aimés, mais il ne pensait qu'à son art, et il peignait même la nuit. Je lui ai posé des séances de nu en plein hiver dans son atelier glacial. On s'est quittés question de tempérament, je devenais phtisique galopante."
↑Peintures de Alice Prin-Kiki. Catalogue : exposition, Paris, Galerie Au Sacre du Printemps, du au . Feuillet (31 x 45 cm) plié en 4, présentant la liste des tableaux, un court texte de Robert Desnos "Vie de Kiki, à Man Ray" et la reproduction en noir et blanc du tableau Cirque ambulant. Paris, Bibliothèque Forney (RES ICO 5609 2 3 Fol).
↑ a et bL’Africain. Hebdomadaire illustré, , p. 5.
↑Auteur de T'en fais pas, viens à Montparnasse ! Enquête sur le Montparnasse actuel.
↑Kiki de Montparnasse, Les souvenirs de Kiki, préface de Foujita ; six illustrations et reproductions de tableaux de l’auteur ; dix photographies de Man Ray, Paris : H. Broca, 1929, 174 p.
↑(en-US) Kiki de Montparnasse, Kiki's memoirs, traduit du français par Samuel Putnam ; préface d’Ernest Hemingway ; reproductions de 20 peintures de Kiki de Montparnasse, Paris, E. W. Titus at the sign of the Black Manikin Press, 1930, 180 p.
↑Paris Soir, , p. 7 ; Paris Soir, , p. 7 ; Paris Soir, , p. 8 ; Paris Soir, , p. 6 ; La Semaine à Paris, , p. 61 ; Paris Soir, , p. 10 ; Paris Soir, , p. 6 ; Paris Soir, , p. 12
↑Kiki de Montparnasse, Souvenirs, introduction d’Ernest Hemingway et Foujita, avant-propos et notes de Billy Klüver et Julie Martin, traduction de Dominique Lablanche, Hazan, 1999, 279 p.
↑Reproduction dans Connaissance des arts, n°658, mars 2008, p. 81.
↑Le Populaire, , p. 4 : « Il n’est guère de film se déroulant à Montparnasse dans lesquels on ne puisse voir Kiki de Montparnasse, qui tourne actuellement dans le film Iris perdue et retrouvée, que Louis Gasnier met en scène actuellement. C’est d’ailleurs le seizième film dans lequel elle paraît. »
Sarah Coudray, Kiki de Montparnasse : modèle, muse et artiste, Mémoire de recherche en histoire de l’art, sous la direction de Guillaume Le Gall, Nancy, Université de Lorraine, 2021, 150 p