Kairos

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Bas-relief du dieu Kairos par Lysippe, exemplaire de Trogir (Croatie).
Kairos, par Francesco Salviati.

Le kairos (καιρός) est un concept qui, adjoint à l'aiôn et au chronos, permet, sinon de définir le temps, du moins de situer les événements selon cette dimension. Faire le bon acte au bon moment participe au Kaïros. Pour ce qui est de la pensée occidentale, le concept de kairos apparaît chez les Grecs sous les traits d'un petit dieu ailé de l'opportunité, qu'il faut attraper quand il passe (saisir une opportunité).

Définition

Le kairos est le temps du moment opportun. Il qualifie un intervalle, ou une durée précise, importante, voire décisive.

Dans le langage courant, on parlerait de point de basculement décisif, avec une notion d'un avant et d'un après au sens de Jankélévitch (voir plus bas). Le kairos est donc « le temps T » de l'opportunité : avant est trop tôt, et après trop tard.

In fine, l'expression « instant d'inflexion » semble convenir : « Maintenant est le bon moment pour agir. »

Pour le pseudo-Aristote, « Le mélancolique est l’homme du kairos, de la circonstance[1]. »

Le kairos, une dimension du temps n'ayant rien à voir avec la notion linéaire de chronos (temps physique), pourrait être considéré comme une autre dimension du temps créant de la profondeur dans l'instant. Une porte sur une autre perception de l'univers, de l'événement, de soi. Une notion immatérielle du temps mesurée non pas par la montre, mais par le ressenti.

Le dieu grec Kairos est représenté par un jeune homme qui ne porte qu'une touffe de cheveux sur la tête. Quand il passe à notre proximité, il y a trois possibilités :

  1. on ne le voit pas ;
  2. on le voit et on ne fait rien ;
  3. au moment où il passe, on tend la main, on « saisit l'occasion aux cheveux » (en grec ancien : καιρὸν ἁρπάζειν) et on saisit ainsi l'occasion.

Kairos a donné en latin opportunitas (opportunité, saisir l'occasion).

Le kairos dans divers domaines

Kairos, marque d'imprimeur d'Andreas Cratander, d'après un dessin de Hans Holbein le Jeune et gravée par Jacob Faber, 1522. La phrase en grec précise le sens de la devise Occasio : « En toute chose, il est préférable de saisir le bon moment »[2].

Le kairos est un temps dont le discernement est primordial dans beaucoup de domaines :

Du local vers le temporel, en passant par la juste mesure, le kairos a eu de nombreuses significations plus ou moins établies et compatibles. On le traduit souvent par « occasion », mais le terme ne restitue que très partiellement une notion riche de tous ses déplacements. Il n’est pas possible de trouver un terme français équivalent qui puisse marquer toutes les parentés que la notion grecque a connues.

Le kairos opère la rencontre de deux problèmes : celui de l’action et celui du temps. Toutes ses acceptions ne sont pas temporelles (notamment celles qui se rapportent à la « juste mesure » et la « convenance »), mais elles contiennent et complètent les germes d’une signification spécifiquement temporelle. Le kairos implique une vision du temps qui puisse se concilier avec une exigence d’efficacité de l’action humaine. Le kairos est un moment, mais si on comprend « moment » uniquement comme une durée mesurable qui s’étend d’un point A à un point B, on est certain de le rater. Il est d’autant plus tentant de parler d’un temps propre au kairos que les Grecs en ont fait une divinité temporelle souvent associée, voire confondue, avec Chronos.

Le kairos se rattache à un certain type d’actions qui doivent être accomplies « à temps » et ne tolèrent ni le retard, ni l’hésitation. Si la notion de kairos est indissociable du mot grec, elle est aussi indissociable d’un contexte qui est celui de la Grèce des Ve et IVe siècles av. J.-C. À une époque où l’action devient autonome et ne dépend plus de la volonté divine, la nécessité d’observer le kairos s’est dégagée pour les Grecs de leurs expériences dans de multiples domaines, à savoir selon Monique Trédé-Boulmer[3] :

  • le domaine politique : dans l'Histoire de la guerre du Péloponnèse, Thucydide fait une place importante aux kairoi qui traversent l’Histoire, ces moments qui engagent le sort des cités : déclarations de guerre, négociations ou ruptures d’alliances…
  • en rhétorique, « le kairos est le principe qui gouverne le choix d’une argumentation, les moyens utilisés pour prouver et, plus particulièrement, le style adopté », il désigne aussi le moment où il faut attirer l’attention des auditeurs pour accomplir un retournement de persuasion ;
  • en théologie, le Kairos est l'action de Dieu à un moment particulier du continu du temps humain (le Chronos), invitant une action (réponse) humaine opportune concomitante.
  • le domaine artistique : c’est l’infime nuance, la minime correction, qui fait l’œuvre réussie, c’est devenu, par voie de conséquence, le moment où un artiste doit s’arrêter et laisser son œuvre vivre sa propre vie ;
  • le domaine médical : les hippocratiques ont dégagé la notion de crise, instant critique où la maladie évolue vers la guérison ou la mort, c’est à ce moment précis que l’intervention du médecin prend un caractère nécessaire et décisif ;
  • le domaine militaire : le bon stratège sait que la victoire n’est pas une simple question de supériorité numérique et qu’il y a un moment où l’attaque portée sur l’adversaire amènera la panique et donnera une issue définitive à la bataille ;
  • le domaine moral : chez les tragiques, le kairos nous préserve de la démesure et nous enseigne qu’il faut respecter la convenance – dans les traités éthiques d’Aristote, le sens de la notion se réduit pour devenir la catégorie du Bien selon le temps.
  • le domaine de la navigation, où le kairos, associé avec Tyché, permet au navigateur de se diriger en déjouant les pièges de la mer, c’est plus particulièrement dans ce contexte que l’on trouve la mètis, ou intelligence de la ruse ;

Le kairos a donc un très large champ d’application. Hésiode nous dit qu’il est « tout ce qu’il y a de mieux » et Euripide que c’« est le meilleur des guides dans toutes entreprises humaines ». Il n’est cependant pas donné à tout le monde de le saisir ; il appartient au spécialiste qui, ayant des connaissances générales, est capable d’y intégrer les facteurs du moment, qui vont lui permettre de saisir la particularité de la situation. Le kairos relève d’un raisonnement et il n’est pas soumis au jeu du hasard. Pourtant, il joue un rôle décisif dans les situations imprévisibles et inhabituelles.

Toutes les acceptions de kairos ne sont pas directement liées au temps, mais toutes sont liées à l’efficacité. Quel que soit le domaine envisagé – médecine, stratégie, rhétorique… –, il renverse les situations et leur donne une issue définitive : la vie ou la mort, la victoire ou la défaite. Il est la condition de l’action réussie et il nous apprend que, paradoxalement, la réussite tient à presque rien. S’il est si difficile de le définir, cela vient aussi de ce qu’il relève du « presque rien »[4].

Il échappe constamment aux définitions qu’on essaye de lui appliquer, parce qu’il se trouve toujours à la jointure de deux notions : l’action et le temps, la compétence et la chance, le général et le particulier. Il n’est jamais tout entier d’un côté ou d’un autre. Cette indétermination est liée à son pouvoir de décision. Il retient pour chaque cas les éléments pertinents pour agir, mais il ne se confond pas avec eux. Il est « libre » de changer, et c’est pour cela qu’il est aussi difficile à saisir dans la pratique qu’à comprendre dans la théorie.

Fortuna de Machiavel

Un Prince digne de ce nom se devait, déclara Machiavel, de faire preuve de virtù dans les circonstances imprévisibles de l'action politique. La virtù qui, faisant fond sur le libre-arbitre et sur les habiletés — propres, en grande partie, à l'art de la guerre — du Prince, se rapproche bien plus du kairos que de la fortuna ; celle-ci étant, au point de vue du Prince, bien plus mauvaise que bonne. Et Machiavel d'avoir interdit au Prince de « prier » pour que le sort lui fût favorable, c'est-à-dire d'abdiquer son libre-arbitre et de s'en remettre à une fortuna, complètement aveugle dans son déploiement.

Sous l'angle de la sémiosis, les exégètes des textes de Machiavel — et surtout du Prince et des Discours sur la première décade de Tite-Live — en ont, alors, pu dégager le concept d'« occasion ». À dire vrai, l'occasion est implicite à ladite virtù et fait écho au kairos, d'autant que le Prince, loin d'être passif comme ses sujets qui, somme toute, sont réduits au rang d'objet du projet politique, se doit de conserver le pouvoir et de l'accroître en prenant les bonnes initiatives, en saisissant les bonnes occasions, en ayant le goût du risque, en sachant faire preuve de ruse et de force devant les circonstances changeantes de l'État, en un mot : de savoir user du kairos. En ce sens, occasion et kairos sont synonymes.

Chez Nietzsche

Dans Par-delà bien et mal, 274, Nietzsche évoque le καιρός : « Le "Raphaël sans mains", ce mot pris au sens le plus large, serait-il dans le domaine du génie, non pas l'exception, mais la règle ? - Le génie n'est peut-être pas si rare ! mais il lui manque les cinq cents mains nécessaires pour maîtriser le Kairos, le "moment propice", pour saisir l'occasion aux cheveux ! »

Kairos et synchronicité en psychologie analytique

Le kairos est une notion employée par Carl-Gustav Jung pour élaborer son concept de synchronicité[5]. Il est l'instant où la conscience d'un individu exprime une sensibilité particulière à la survenance concomitante de deux évènements fortuits. Cet individu opère à ce moment une association entre ces deux évènements en raison d'un état de son être. La coïncidence, alors perçue comme une correspondance, devient signifiante pour la personne qui l'éprouve. L'expérience du kairos relatée par l'analysant constitue un évènement spécifique au sein du processus psychothérapique[6],[7].

Relief moderne du Kairos par l'artiste néerlandais Janny Brugman-de Vries sur l'ancien gymnase Alexander Hegius au Nieuwe Markt à Deventer aux Pays-Bas

Annexes

Bibliographie

Liens externes

Articles connexes

Références

  1. Aristote, L’Homme de génie et la mélancolie (traduction, présentation de J. Pigeaud), Payot - Rivages, 1988, p. 88.
  2. Christian Müller et al., Hans Holbein the Younger: The Basel Years, 1515–1532, Munich, Prestel, 2006 (ISBN 9783791335803).
  3. (Trédé-Boulmer 1992)
  4. Vladimir Jankélévitch, Le je-ne-sais-quoi et le presque-rien, Paris, PUF, 1957.
  5. Jung, C. G. (Carl Gustav), 1875-1961. et Pflieger-Maillard,, Syncronicité et Paracelsica, Albin Michel, (ISBN 2-226-02820-X et 978-2-226-02820-4, OCLC 20082157, lire en ligne)
  6. H.F. Ellenberger, « Développement historique de la notion de processus psychothérapique », Psychotherapy and Psychosomatics, vol. 29, nos 1-4,‎ , p. 1–12 (ISSN 1423-0348 et 0033-3190, DOI 10.1159/000287095, lire en ligne, consulté le )
  7. Duc Lê Quang, « Faire advenir l'effet : le moment opportun en psychothérapie dans le miroir de la Chine », Psychothérapies, vol. 33, no 4,‎ , p. 245 (ISSN 0251-737X, DOI 10.3917/psys.134.0245, lire en ligne, consulté le )
  8. « La valeur du Temps », sur Éditions Racine, (consulté le )


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